
« Pas de lignes rouges mais l'idéal de la République. » Voilà, en une phrase laconique, la lettre et l'esprit du discours prononcé par Emmanuel Macron à la tribune de l'Assemblée de Corse qui affichait complet, à l'exception assumée de l'élue unique représentant le mouvement indépendantiste.
Pourtant, quelques lignes rouges ont circonscrit l'allocution présidentielle où le mot autonomie n'a jamais été prononcé du bout des lèvres et c'est déjà en soi une avancée significative pour les nationalistes au pouvoir. Il apparaît, comme prévu, que la Corse sera inscrite dans la Constitution, sous réserve du vote du Parlement réuni en Congrès, mais sans titre particulier mâtiné de solennité du genre « De la Corse » comme l'a suggéré Gilles Simeoni. Pas de référence non plus à la notion de « Peuple Corse » qui avait provoqué, en 1991, une poussée d'urticaire aux sages du Conseil constitutionnel. Le Président de la République lui préfère, dixit, « Une communauté insulaire, historique, linguistique et culturelle », mordant imperceptiblement sur la ligne rouge. Pas question non plus de « Statut de résident » dont le principe est d'imposer à chaque nouveau arrivant dans l'île une durée de séjour d'au moins cinq ans avant d'envisager une acquisition foncière ou immobilière. Pas plus qu'il n'est envisagé de « Coofficialité de la langue corse », c'est-à-dire sa parité avec la langue française dans tous les actes administratifs du quotidien. Mais là encore, un pas en avant a été consenti avec l'annonce de la création d'un service public de la langue corse pour intensifier son enseignement dans toutes les écoles et ainsi tendre vers le bilinguisme. Pas de langue... de bois, donc.
Pouvoir d'adaptation et d'habilitation
Toutes ces demandes, consubstantielles de la lutte d'émancipation de la Corse menée par la violence puis sur le terrain démocratique depuis plus d'un demi-siècle, étaient inscrites noir sur le blanc dans le rapport intitulé « Autonomia » adopté le 5 juillet dernier par l'Assemblée de Corse à une solide majorité. En définitive, c'est un peu comme si Emmanuel Macron avait lu ce rapport en diagonale. Pour autant, il n'a pas sauté un des chapitres parmi les plus importants si on met de côté les revendications qui relèvent du symbole : celui consacré au pouvoir législatif. Il ne l'a pas dit comme ça. Le chef de l'État a parlé de « capacité normative » mais honnêtement, sans se perdre dans des circonvolutions sémantiques, cela revient à peu près au même. « La Corse pourra définir ses propres normes, elle aura un droit d'adaptation et d'habilitation ». Cela signifie concrètement que les élus pourront prendre des mesures d'ordre législatif dans le périmètre des compétences qui lui ont été progressivement conférées, et la Corse en a davantage que la moyenne des Régions de France, transports, logement, aménagement du territoire, tourisme, énergie, éducation et sport, etc. Y compris, laisse-t-il entendre, échafauder des dispositions fiscales pour dissuader les spéculateurs.
En réalité, cette faculté à l'adaptation des lois existe depuis les célèbres « Accords de Matignon » de 2002 du temps où Lionel Jospin était Premier ministre. Mais c'était à titre expérimental et ça n'a jamais fonctionné. Cette fois, Emmanuel Macron en fait la pierre angulaire du statut d'autonomie qu'il imagine original, « une autonomie à la Corse » dit-il, qui ne s'inspire ni de près ni de loin des institutions des territoires ultramarins. Mais attention : chaque adaptation de la loi du règlement sera soumise à la validation du Conseil d'État ou du Conseil constitutionnel. Une rambarde susceptible de rassurer les franges les plus conservatrices du Parlement...
Nouveau plan d'investissement en gestation
En revanche, s'il a tenu à réaffirmer sa volonté de faire davantage rayonner la Corse en Méditerranée, il a été assez peu question d'économie sinon de manière très indirecte. L'autonomie corse version macronienne ne s'envisage pas sans la présence et l'aide pérennes de l'État. Il y a vingt ans, Lionel Jospin avait fait voter au Parlement un Plan exceptionnel d'Investissement de 2 milliards échelonnés sur 15 ans pour, en théorie, combler le retard infrastructurel (centrales thermiques, routes, etc.). Mais il n'a pas eu l'effet escompté.
Aussi, en 2018, Emmanuel Macron a pris une initiative analogue sous l'intitulé PTIC, Plan de transformation et d'innovation pour la Corse. Une manne de 500 millions sur la période 2021-2027 pour soutenir le développement durable. Tout à l'heure, à l'Assemblée de Corse, le Président de la République s'est engagé sur « un PTIC de nouvelle génération » sans en préciser le montant. Il a également promis de doter Bastia d'un nouveau Centre hospitalier (pas forcément le CHU demandé par les nationalistes) et Ajaccio d'une nouvelle Centrale thermique, celle qui existe et fonctionne au fioul est hors normes européennes depuis dix ans. Manquent au tableau présidentiel les mesures contre la cherté de la vie (10% de plus que la moyenne nationale), le coup de pouce financier après une saison touristique médiocre pour quasiment tous les professionnels du secteur et, plus encore, des compensations fiscales pour gommer les handicaps structurels entre les entreprises corses et celles du Continent.
Ce « moment historique » comme l'a qualité le Président de la République, c'est une nouvelle page à écrire « dans l'ambition commune et la reconnaissance mutuelle », tout en essayant de refermer celle sur les relations conflictuelles décennales.
« La volonté du peuple corse est de vivre dans une société démocratique et apaisée » a martelé Gilles Simeoni en serrant la main d'Emmanuel Macron. Ça reste un vœu pieu dans une île toujours prompte à s'embraser. Discrètement, l'autre main devait croiser les doigts derrière le dos.