LA TRIBUNE DIMANCHE - Êtes-vous surprise par l'entrée de Rachida Dati dans le gouvernement Attal ?
ANNE HIDALGO - Comme tout le monde, mais peut-être moins que les acteurs du monde de la culture, à qui, du fond du cœur, je souhaite bon courage.
Rachida Dati pourrait être la candidate des macronistes à Paris en 2026. Que pensez-vous de ce « deal » passé avec Emmanuel Macron ?
Au Conseil de Paris, elle a fait entrer l'injure, l'insulte, la provocation permanente, la remise en question de la légitimité des élus où les mensonges et l'outrance tiennent lieu de proposition et de vision. Ce qui est désormais en marche, c'est la trumpisation de la culture et de l'audiovisuel public. Un beau programme pour 2026.
Gabriel Attal Premier ministre, qu'en dites-vous ?
Cette nomination ne changera strictement rien. Ni pour le quotidien des Français, ni pour le fonctionnement démocratique de notre pays. Il n'a toujours pas de majorité à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas par des débauchages individuels qu'il va procéder à son élargissement. Prenez la loi immigration, adoptée dans le plus grand chaos à l'Assemblée nationale. Le président de la République, sans boussole, finit par s'en remettre au Conseil constitutionnel pour supprimer les articles qui ne lui conviennent pas ! Une aberration démocratique.
L'année 2023 aura été compliquée pour vous... Quelles leçons tirez-vous des polémiques dont vous avez fait l'objet ?
Vous savez, elle n'était pas très différente de 2022, 2021, 2020, 2019, 2018, 2017... Aujourd'hui, la place de la vérité dans le débat public a beaucoup régressé, pour laisser place à du spectacle, un show permanent souvent de très mauvaise qualité. On n'est pas élu pour jouer la comédie. Dans toutes les démocraties, la vie politique est devenue, sous l'effet aussi des réseaux sociaux, beaucoup plus dure, centrée sur des attaques personnelles, et quand il s'agit de femmes progressistes, écologistes, etc., c'est encore pire. J'en tire comme conclusion qu'il faut garder un cap, avoir des équipes solides et toujours fidèles à leurs convictions.
Votre déplacement à Tahiti début octobre a soulevé beaucoup de critiques. Avez-vous des regrets ?
Pas du tout. Je n'ai aucun regret. Paris est une métropole avec une population ultramarine importante. Que Paris travaille avec la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie, qui sont des territoires français, est une évidence. Que je puisse par ailleurs me payer des vacances et prendre du temps pour m'occuper de ma famille, ça, c'est mon affaire. Que la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, mise en examen pour corruption et trafic d'influence, ose me donner des leçons en jetant l'opprobre sur l'ensemble des élus dans une espèce de course un peu folle vers le « tous pourris » pour essayer de masquer ce qui lui arrive, on croit rêver. Ça fait vingt ans que je suis élue à Paris, vingt ans que certains essaient de trouver des affaires diverses et variées et il n'y a rien. Dans la vie politique, il faut surmonter ce type d'épreuves car certains essaient de vous entraîner soit dans leur délire, soit dans quelque chose qui viendrait masquer leurs propres turpitudes. Il faut être solide, rester honnête, profondément honnête.
L'année 2023 a aussi été celle de l'éclatement de la Nupes. Jean-Luc Mélenchon est-il le principal obstacle au rassemblement de la gauche ?
Oui. J'ai toujours dit que la Nupes était une impasse. Il n'y a rien à construire avec quelqu'un qui a quitté le PS et veut le détruire. Jean-Luc Mélenchon prouve tous les jours qu'il est un populiste, ne serait-ce que dans le fonctionnement de son propre parti. Le très bel essai de Giuliano da Empoli Les Ingénieurs du chaos décrit très bien ce que sont ces formations politiques populistes. D'ailleurs, de ce point de vue, Renaissance n'en est pas très loin non plus, parce qu'il n'y a pas de congrès, pas de vote, pas de ligne défendue, aucune démocratie interne. Il y a un chef et tout le monde doit se plier à sa volonté. Beaucoup de gens rêvent d'une alternative, mais ça ne peut pas être Mélenchon.
Apportez-vous votre soutien à Raphaël Glucksmann, qui sera soutenu par le PS pour les élections européennes ?
On ne peut pas aborder l'échéance des européennes comme on est en train de le faire. Les temps sont graves, j'appelle à l'union entre les écologistes et les socialistes. Il y a une proximité très grande entre les deux électorats. Sur les questions européennes, nous portons les mêmes valeurs. Pour moi, il y a vraiment matière à marquer dès cette élection européenne une avancée en ce sens-là. J'espère que nous saurons trouver le chemin de l'union.
Vous appelez donc Raphaël Glucksmann et Marie Toussaint, pour les écologistes, à faire liste commune ?
Oui. Je pense qu'il faut absolument rapprocher leurs listes et les élargir. J'ai toujours respecté le choix des écologistes de déclarer que les européennes sont leurs élections de prédilection. Mais là, on a une responsabilité historique au regard de la montée de l'extrême droite partout en Europe, du délitement de l'offre présidentielle. Il y a la place pour une offre humaniste, socialiste, écologiste.
Dans votre propre majorité, les écologistes semblent de plus en plus critiques quant à votre action...
J'ai une équipe et une majorité très solides. Ça fait dix ans qu'on me prédit qu'elle vont exploser en plein vol. La leçon que j'en tire, c'est qu'il faut garder un cap, avoir une vision et veiller à la bonne exécution des décisions jusqu'au détail. La mairie de Paris est une machine exceptionnelle avec des agents municipaux extrêmement bien formés, impliqués dans leur travail, très soucieux de faire du bon boulot. Ils ont le sens du service public.
Bertrand Delanoë avait fait de vous sa successeure avant la fin de son mandat. Comptez-vous faire la même chose avec votre premier adjoint, Emmanuel Grégoire ?
Cette année, la priorité, ce sont les JO. On est à deux ans et demi de la fin de ce mandat, ce n'est pas encore le moment pour moi de faire un choix.
Vous n'entendez pas les critiques et ne voyez pas les sondages pas très bons...
Les Parisiennes et les Parisiens que je rencontre tous les jours sont d'une très grande gentillesse. Surtout les femmes, d'ailleurs, qui voient bien ce que ça veut dire d'être une femme au pouvoir et comment on est traitée. De 2017 à 2020, j'ai déjà subi un bashing. Et en 2020, j'ai été réélue. Les citoyens ont un rapport direct avec leur maire et ils voient tout ce que l'on fait. Ces opérations de critiques systématiques sont quand même très organisées et orchestrées. On a découvert récemment que l'Azerbaïdjan avait fait une grande campagne contre Paris et que la Russie avait fait monter le sujet des punaises de lit. On en est là.
Avec le recul, considérez-vous que votre candidature à la présidentielle était une erreur ?
Pas du tout. J'ai pris ma décision en responsabilité parce que j'étais celle qui pouvait le faire. Je venais de gagner l'élection municipale de 2020. Je savais qu'il me restait encore plusieurs années après la présidentielle pour poursuivre mes activités de maire. Évidemment qu'on n'allait pas gagner cette élection. Je n'ai pas été audible. Le PS avec Olivier Faure ne m'a pas soutenu. Depuis, je vois que mon parti s'est encore enfoncé. Bien sûr que j'aurais aimé obtenir un score bien supérieur. Mais cela a quand même été une belle expérience. Je ne regrette absolument pas.
Cela a dû vous changer personnellement ?
Je pense que ça m'a changée de voir un pays si triste, dans le doute complet, avec des gens qui se sentent abandonnés et des services publics en déshérence. J'ai aussi rencontré des personnes avec une énergie folle. Je sais que toute expérience vous transforme. J'écris actuellement un livre qui va tourner autour des questions démocratiques. La politique, c'est aussi des échecs ; à chaque fois je
me suis relevée.
Paris sera transformé pour les Jeux olympiques. Quelle trace laisseront-ils dans la capitale ?
Premier héritage, les Parisiens et les visiteurs pourront se baigner dans la Seine. Je m'y baignerai moi-même en juillet, juste avant l'ouverture des JO ! Sans les Jeux, la promesse de Jacques Chirac serait restée en l'air. Et dès l'été 2025, il y aura dans Paris trois sites de baignade. Il y aura aussi de très belles transformations sur le terrain de l'écologie, avec une dimension sociale non négligeable puisque la porte de la Chapelle sera transformée, avec un aménagement paysager extraordinaire, une nouvelle salle de spectacle et demain l'université Condorcet. Dans ce quartier, la vie des habitants va changer. Enfin, il y aura toute cette surface reconquise sur la voiture : la Concorde, le Trocadéro et Iéna qui, avec le Champ de Mars, constituent 50 hectares d'espaces piétons et plantés, pour la promenade. Sans oublier la place accordée au vélo, avec 60 kilomètres de pistes cyclables supplémentaires par rapport à ce qu'on aurait fait sans les Jeux.
Que voulez-vous faire de la place de la Concorde ?
La moitié de sa surface ne sera pas rendue aux automobilistes après les Jeux. Elle sera offerte à la promenade depuis les Tuileries jusqu'à l'Obélisque. On a déjà l'expérience du fonctionnement de la place en demi-jauge avec la Coupe du monde de rugby. Les faits sont là, la circulation est plus fluide quand la moitié de la Concorde est fermée. Je suis très soucieuse de conserver son caractère patrimonial exceptionnel et minéral, tout en adaptant la ville aux pics de chaleur qu'on va connaître, jusqu'à 50 degrés. Je veillerai aussi à respecter sa symétrie, qui fait partie de la vision des architectes de l'époque classique. Je vous le dis, la place accordée à la voiture dans ce lieu emblématique n'aura été qu'une parenthèse dans l'Histoire.
Le président de Paris 2024, Tony Estanguet, affirme dans notre journal que tout sera prêt pour les Jeux. A-t-il raison ?
Je n'ai cessé de le dire : on est prêts. Concernant les infrastructures, la Seine, le réseau de pistes cyclables, l'accueil des touristes, l'accueil des épreuves sur les sites olympiques, nous sommes prêts. Il y a d'autres sujets, comme celui des transports en commun, sur lesquels il y a encore du boulot. Est-ce que ça empêchera les Jeux de se dérouler correctement et d'être exceptionnels ? Non. Nous avons fait le choix de Jeux dans la ville. Donc oui, on est prêts.
Sur le plan de la sécurité, pouvez-vous affirmer que vous serez prêts ?
Bien sûr. D'abord parce qu'on travaille très bien avec Gérald Darmanin. Il n'y a pas une feuille de papier à cigarette entre nous sur l'organisation de la sécurité. On a aussi la chance d'avoir un grand professionnel avec le préfet de police, Laurent Nuñez, avec la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, toutes les forces de police et de gendarmerie qui seront mobilisées, mais aussi notre police municipale.
Travaux, bouchons, doublement du prix des transports... Les JO ne risquent-ils pas d'être avant tout une contrainte pour les Parisiens ?
Je crois au contraire que ces jeux vont être formidables pour les Parisiens. Déjà en permettant le plus possible à la « vie habituelle » de se dérouler. Bien sûr, il y aura des contraintes avec l'installation des sites olympiques, pour certaines d'entre elles dès mars-avril. Mais quand on arrivera aux beaux jours, croyez-moi, les Parisiennes et les Parisiens se rendront compte de ce que seront les Jeux. Il y a ceux qui aiment le sport, pas besoin de les convaincre. Il va falloir embarquer, et c'est mon boulot, celles et ceux qui sont inquiets pour leur quotidien. Les Jeux à Paris seront une fête inoubliable. Ce sera un moment de joie et de fraternité, on en compte si peu aujourd'hui.