LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous présenterez d'ici quelques semaines en Conseil des ministres un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Concrètement, à quoi servira ce texte ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER - Il s'agit de sortir la France de sa dépendance aux énergies fossiles, qui représentent plus de 60 % de l'énergie que nous consommons. Mon ambition est d'abaisser ce chiffre à 40 % en 2035. Pour réduire nos émissions de CO2 et protéger le pouvoir d'achat des Français, mais aussi pour gagner en souveraineté. L'invasion de l'Ukraine nous a rappelé à quel point il était important de se protéger des aléas géopolitiques, alors que l'énergie est devenue une arme de guerre. Le texte fixe ainsi des objectifs ambitieux de déploiement des moyens de production décarbonés (nucléaires et renouvelables). Il rompt avec la précédente loi de programmation, qui réduisait à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique d'ici à 2025 [date portée à 2035 en 2019]. Nous traitons également la protection des consommateurs et la régulation des prix de l'électricité conformément à l'engagement du président.
Le texte fait la part belle au nucléaire en actant la volonté d'engager huit réacteurs EPR en plus des six déjà annoncés, et sans fixer d'objectif précis sur la part des renouvelables d'ici à 2030...
Il faut du nucléaire au-delà des six premiers EPR puisque le parc historique ne sera pas éternel. Mais la rédaction reste neutre technologiquement : il s'agit d'engager, après 2026, « des constructions supplémentaires représentant 13 gigawatts ». Ce qui correspond bien à la puissance de huit EPR, sans graver dans le marbre telle ou telle technologie. Je souhaite également garantir notre sécurité d'approvisionnement dans les pointes de consommation électrique, ce qui suppose d'avoir un socle minimal d'énergies pilotables, en particulier nucléaire, hydraulique, biomasse, ou du stockage. Ces sources d'énergie ne dépendent pas des conditions météorologiques, contrairement à l'éolien et au solaire. Dernier objectif : produire plus d'électricité que nous en consommons. Et c'est là qu'il faut massifier les renouvelables.
Comptez-vous aller au-delà de 14 EPR ?
C'est un bon objet de discussion avec les parlementaires.
L'EPR de Flamanville devrait être mis en service cette année, avec douze ans de retard. Après tous ces déboires, la France peut-elle encore se lancer dans une telle aventure industrielle ?
Il s'agit probablement du plus gros projet industriel de ces cinquante dernières années. Mais nous pouvons compter sur l'une des meilleures filières au monde. Depuis plusieurs années, nous travaillons à renforcer l'excellence industrielle de nos PME et ETI et développons des formations pour recruter 100 000 personnes d'ici dix ans. Tout cela sera essentiel.
Le projet de loi vise également à « renforcer la protection des consommateurs ». Comment, alors qu'une hausse de la facture d'électricité est attendue en février avec la réintroduction de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) ?
Nous avions abaissé la TICFE autant que possible dans le cadre du bouclier tarifaire. Il y aura un retour progressif à la normale, mais il n'est pas question d'augmenter de plus de 10 % le tarif réglementé de vente de l'électricité au 1er février. Pour l'avenir, nous consacrons deux volets du projet de loi à la régulation des prix pour en reprendre le contrôle, ainsi qu'à la protection des consommateurs. Certains ont vu leurs mensualités exploser sans avoir d'informations claires. Nous souhaitons obliger les fournisseurs à transmettre un échéancier mensuel et une estimation annuelle à chaque changement de contrat. Nous voulons aussi sanctionner plus rapidement les fournisseurs voyous en simplifiant les procédures d'enquête de la Commission de régulation de l'énergie [la CRE, l'autorité administrative indépendante chargée d'arbitrer les différends]. Une petite minorité de fournisseurs qui ne respectent pas leurs obligations ne doit pas jeter le discrédit sur tous les autres.
Redoutez-vous des blocages sur ce texte ?
Un consensus est possible. J'ai déjà fait voter deux projets de loi avec de larges majorités. Je veux mettre les groupes politiques face à leurs responsabilités et éviter les postures. Si nous sommes d'accord pour décarboner l'énergie et assurer la sécurité d'approvisionnement au prix le plus compétitif, il n'y a aucune raison de ne pas trouver un compromis.
Un texte de loi organisant la fusion de l'ASN, le gendarme du nucléaire, et de son bras technique, l'IRSN, doit être étudié au Sénat début février. Ce projet avait été retoqué au printemps dernier et reste controversé. Pourquoi le maintenir alors qu'aucune défaillance de la sûreté nucléaire n'a été observée récemment ?
Je crois profondément que cette réforme permettra une plus grande efficacité de la sûreté. Aujourd'hui, lorsque l'ASN et l'IRSN sont confrontés à un problème nouveau, comme de la corrosion sur une tuyauterie, ils doivent négocier un protocole pour se mettre d'accord sur la manière de traiter le sujet. Les regrouper en une seule entité apportera de la fluidité sans changer nos exigences de sûreté.
Quels sujets seront abordés lors du prochain Conseil de politique nucléaire (CPN), prévu en janvier ?
Nous aborderons la question des infrastructures de recyclage des combustibles nucléaires, qui représentent des centaines de millions d'euros d'investissements. C'est un enjeu clé pour réduire les déchets et rester souverain sur l'ensemble du cycle nucléaire.
Il faut prendre des décisions ; construire de nouvelles capacités fait partie de nos options. Par ailleurs, des décisions sur les petits réacteurs nucléaires modulaires, au-delà des soutiens financiers de France 2030, pourraient être prises. Enfin, il sera question des programmes de recherche et de notre stratégie à l'international.
Sur l'international justement, quelles sont vos prochaines échéances ?
Je verrai demain en République tchèque le ministre de l'Industrie et du Commerce, Jozef Síkela. L'idée est de renforcer notre partenariat en nous appuyant sur l'industrie tchèque pour augmenter nos capacités européennes de production de réacteurs. Nous ferons également un point sur l'Alliance du nucléaire, qui regroupe 14 pays, et évoquerons le prochain sommet sur le nucléaire prévu en mars. D'ici à la fin du mois, je me rendrai également en Inde.
L'Inde et la République tchèque sont deux pays où EDF espère décrocher des contrats pour la construction de réacteurs, mais la compétition reste vive, notamment face à l'américain Westinghouse...
J'ai confiance en les capacités d'export d'EDF. Rappelons en tout cas qu'on ne sait pas construire un réacteur en Europe sans la filière tricolore.
Sur la mobilité électrique cette fois, le gouvernement s'est engagé à atteindre 15% de véhicules électriques en circulation d'ici 2030. Pour cela, vous avez lancé un leasing social en décembre, destiné aux 50% des ménages aux revenus les plus faibles qui effectuent plus de 8.000 kilomètres par an. Quels sont vos retours à presque un mois du lancement ?
Il y a eu plus d'un million de connexions sur la plateforme du dispositif et plus de 80.000 personnes ont demandé à être recontactées, ce qui a été fait vendredi. Il y a donc un vrai intérêt pour cette mesure. Ces aides ouvrent le droit à des véhicules à des prix équivalents aux voitures thermiques, grâce à l'arrivée sur le marché de modèles comme la Citroën C3 électrique à 23.000 euros. Avec les 13.000 euros d'aides du gouvernement, la voiture électrique devient une solution accessible et non plus un produit de luxe.
Vous avez annoncé 25 000 modèles disponibles pour ce dispositif pour 2024, est-ce qu'il faudra établir une sélection s'il y a plus de demandes que d'offres ?
Nous ne connaissons pas encore le nombre exact de commandes. Priorité est donnée à ceux qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler. J'ai refait le point cette semaine avec les constructeurs et je vous confirme que le groupe Stellantis est prêt à mettre davantage de véhicules dans ce dispositif si l'intérêt des Français est au rendez-vous. Jamais un gouvernement n'a fait autant. L'Allemagne, de son côté, a coupé les aides pour l'électrique du jour au lendemain. Nous ne ferons pas cela chez nous.
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