Agnès Pannier-Runacher : « Il faut du nucléaire au-delà des six premiers EPR »

ENTRETIEN - La ministre de la Transition énergétique détaille le projet de loi sur la souveraineté énergétique, qui doit tracer la voie vers une France libérée des combustibles fossiles.
Agnès Pannier-Runacher en visite à la centrale nucléaire du Bugey, le 24 juillet.
Agnès Pannier-Runacher en visite à la centrale nucléaire du Bugey, le 24 juillet. (Crédits : © Vincent Isore/IP3)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous présenterez d'ici quelques semaines en Conseil des ministres un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Concrètement, à quoi servira ce texte ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER - Il s'agit de sortir la France de sa dépendance aux énergies fossiles, qui représentent plus de 60 % de l'énergie que nous consommons. Mon ambition est d'abaisser ce chiffre à 40 % en 2035. Pour réduire nos émissions de CO2 et protéger le pouvoir d'achat des Français, mais aussi pour gagner en souveraineté. L'invasion de l'Ukraine nous a rappelé à quel point il était important de se protéger des aléas géopolitiques, alors que l'énergie est devenue une arme de guerre. Le texte fixe ainsi des objectifs ambitieux de déploiement des moyens de production décarbonés (nucléaires et renouvelables). Il rompt avec la précédente loi de programmation, qui réduisait à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique d'ici à 2025 [date portée à 2035 en 2019]. Nous traitons également la protection des consommateurs et la régulation des prix de l'électricité conformément à l'engagement du président.

Lire aussiPourquoi 2024 est décisive pour la relance du nucléaire français

Le texte fait la part belle au nucléaire en actant la volonté d'engager huit réacteurs EPR en plus des six déjà annoncés, et sans fixer d'objectif précis sur la part des renouvelables d'ici à 2030...

Il faut du nucléaire au-delà des six premiers EPR puisque le parc historique ne sera pas éternel. Mais la rédaction reste neutre technologiquement : il s'agit d'engager, après 2026, « des constructions supplémentaires représentant 13 gigawatts ». Ce qui correspond bien à la puissance de huit EPR, sans graver dans le marbre telle ou telle technologie. Je souhaite également garantir notre sécurité d'approvisionnement dans les pointes de consommation électrique, ce qui suppose d'avoir un socle minimal d'énergies pilotables, en particulier nucléaire, hydraulique, biomasse, ou du stockage. Ces sources d'énergie ne dépendent pas des conditions météorologiques, contrairement à l'éolien et au solaire. Dernier objectif : produire plus d'électricité que nous en consommons. Et c'est là qu'il faut massifier les renouvelables.

Comptez-vous aller au-delà de 14 EPR ?

C'est un bon objet de discussion avec les parlementaires.

L'EPR de Flamanville devrait être mis en service cette année, avec douze ans de retard. Après tous ces déboires, la France peut-elle encore se lancer dans une telle aventure industrielle ?

Il s'agit probablement du plus gros projet industriel de ces cinquante dernières années. Mais nous pouvons compter sur l'une des meilleures filières au monde. Depuis plusieurs années, nous travaillons à renforcer l'excellence industrielle de nos PME et ETI et développons des formations pour recruter 100 000 personnes d'ici dix ans. Tout cela sera essentiel.

Nous développons des formations pour recruter 100 000 personnes d'ici dix ans

Le projet de loi vise également à « renforcer la protection des consommateurs ». Comment, alors qu'une hausse de la facture d'électricité est attendue en février avec la réintroduction de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) ?

Nous avions abaissé la TICFE autant que possible dans le cadre du bouclier tarifaire. Il y aura un retour progressif à la normale, mais il n'est pas question d'augmenter de plus de 10 % le tarif réglementé de vente de l'électricité au 1er février. Pour l'avenir, nous consacrons deux volets du projet de loi à la régulation des prix pour en reprendre le contrôle, ainsi qu'à la protection des consommateurs. Certains ont vu leurs mensualités exploser sans avoir d'informations claires. Nous souhaitons obliger les fournisseurs à transmettre un échéancier mensuel et une estimation annuelle à chaque changement de contrat. Nous voulons aussi sanctionner plus rapidement les fournisseurs voyous en simplifiant les procédures d'enquête de la Commission de régulation de l'énergie [la CRE, l'autorité administrative indépendante chargée d'arbitrer les différends]. Une petite minorité de fournisseurs qui ne respectent pas leurs obligations ne doit pas jeter le discrédit sur tous les autres.

Redoutez-vous des blocages sur ce texte ?

Un consensus est possible. J'ai déjà fait voter deux projets de loi avec de larges majorités. Je veux mettre les groupes politiques face à leurs responsabilités et éviter les postures. Si nous sommes d'accord pour décarboner l'énergie et assurer la sécurité d'approvisionnement au prix le plus compétitif, il n'y a aucune raison de ne pas trouver un compromis.

Un texte de loi organisant la fusion de l'ASN, le gendarme du nucléaire, et de son bras technique, l'IRSN, doit être étudié au Sénat début février. Ce projet avait été retoqué au printemps dernier et reste controversé. Pourquoi le maintenir alors qu'aucune défaillance de la sûreté nucléaire n'a été observée récemment ?

Je crois profondément que cette réforme permettra une plus grande efficacité de la sûreté. Aujourd'hui, lorsque l'ASN et l'IRSN sont confrontés à un problème nouveau, comme de la corrosion sur une tuyauterie, ils doivent négocier un protocole pour se mettre d'accord sur la manière de traiter le sujet. Les regrouper en une seule entité apportera de la fluidité sans changer nos exigences de sûreté.

Quels sujets seront abordés lors du prochain Conseil de politique nucléaire (CPN), prévu en janvier ?

Nous aborderons la question des infrastructures de recyclage des combustibles nucléaires, qui représentent des centaines de millions d'euros d'investissements. C'est un enjeu clé pour réduire les déchets et rester souverain sur l'ensemble du cycle nucléaire.

Il faut prendre des décisions ; construire de nouvelles capacités fait partie de nos options. Par ailleurs, des décisions sur les petits réacteurs nucléaires modulaires, au-delà des soutiens financiers de France 2030, pourraient être prises. Enfin, il sera question des programmes de recherche et de notre stratégie à l'international.

Sur l'international justement, quelles sont vos prochaines échéances ?

Je verrai demain en République tchèque le ministre de l'Industrie et du Commerce, Jozef Síkela. L'idée est de renforcer notre partenariat en nous appuyant sur l'industrie tchèque pour augmenter nos capacités européennes de production de réacteurs. Nous ferons également un point sur l'Alliance du nucléaire, qui regroupe 14 pays, et évoquerons le prochain sommet sur le nucléaire prévu en mars. D'ici à la fin du mois, je me rendrai également en Inde.

L'Inde et la République tchèque sont deux pays où EDF espère décrocher des contrats pour la construction de réacteurs, mais la compétition reste vive, notamment face à l'américain Westinghouse...

J'ai confiance en les capacités d'export d'EDF. Rappelons en tout cas qu'on ne sait pas construire un réacteur en Europe sans la filière tricolore.

Sur la mobilité électrique cette fois, le gouvernement s'est engagé à atteindre 15% de véhicules électriques en circulation d'ici 2030. Pour cela, vous avez lancé un leasing social en décembre, destiné aux 50% des ménages aux revenus les plus faibles qui effectuent plus de 8.000 kilomètres par an. Quels sont vos retours à presque un mois du lancement ?

Il y a eu plus d'un million de connexions sur la plateforme du dispositif et plus de 80.000 personnes ont demandé à être recontactées, ce qui a été fait vendredi. Il y a donc un vrai intérêt pour cette mesure. Ces aides ouvrent le droit à des véhicules à des prix équivalents aux voitures thermiques, grâce à l'arrivée sur le marché de modèles comme la Citroën C3 électrique à 23.000 euros. Avec les 13.000 euros d'aides du gouvernement, la voiture électrique devient une solution accessible et non plus un produit de luxe.

Vous avez annoncé 25 000 modèles disponibles pour ce dispositif pour 2024, est-ce qu'il faudra établir une sélection s'il y a plus de demandes que d'offres ?

Nous ne connaissons pas encore le nombre exact de commandes. Priorité est donnée à ceux qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler. J'ai refait le point cette semaine avec les constructeurs et je vous confirme que le groupe Stellantis est prêt à mettre davantage de véhicules dans ce dispositif si l'intérêt des Français est au rendez-vous. Jamais un gouvernement n'a fait autant. L'Allemagne, de son côté, a coupé les aides pour l'électrique du jour au lendemain. Nous ne ferons pas cela chez nous.

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Commentaires 30
à écrit le 01/02/2024 à 10:01
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Voici les bilans carbone selon l’Ademe. Nucléaire : 6 gCO2/kWh. Eolien : 15 gCO2/kWhSolaire : 55 gCO2/kWh. Pour l’éolien et le solaire, il faut rajouter les émissions des centrales thermiques nécessaires pour gérer l’intermittence. Toute politique én...

à écrit le 26/01/2024 à 9:40
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«réduire les déchets et rester souverain sur l'ensemble du cycle nucléaire ». Il y a une bonne solution : la surgénération à uranium appauvri, déchet des centrales actuelles, et qui permet de brûler des déchets, notamment le plutonium. Mais notre Pré...

à écrit le 26/01/2024 à 9:39
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Voici les bilans carbone selon l’Ademe. Nucléaire : 6 gCO2/kWh. Eolien : 15 gCO2/kWhSolaire : 55 gCO2/kWh. Pour l’éolien et le solaire, il faut rajouter les émissions des centrales thermiques nécessaires pour gérer l’intermittence. Toute politique én...

à écrit le 22/01/2024 à 10:41
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Voici les bilans carbone selon l’Ademe. Nucléaire : 6 gCO2/kWh. Eolien : 15 gCO2/kWh. Solaire : 55 gCO2/kWh. Pour l’éolien et le solaire, il faut rajouter les émissions des centrales thermiques nécessaires pour gérer l’intermittence. Toute politique ...

à écrit le 21/01/2024 à 18:41
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Une technologie du passé pour une filière sans avenir. Fini le mythe d'une sois disant énergie nucléaire illimité et la moins chère du monde. Le colosse nucléaire aux pieds d'argile commence à se fissurer tout comme le mythe d’ailleurs. C’est tout ...

à écrit le 19/01/2024 à 10:06
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«réduire les déchets et rester souverain sur l'ensemble du cycle nucléaire ». Il y a une bonne solution : la surgénération à uranium appauvri, déchet des centrales actuelles, et qui permey de brûler des déchets, notamment le plutonium. Mais notre Pré...

à écrit le 19/01/2024 à 9:52
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Voici les bilans carbone selon l’Ademe. Nucléaire : 6 gCO2/kWh. Eolien : 15 gCO2/kWhSolaire : 55 gCO2/kWh. Pour l’éolien et le solaire, il faut rajouter les émissions des centrales thermiques nécessaires pour gérer l’intermittence. Toute politique én...

à écrit le 08/01/2024 à 16:09
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Généralisons les générateurs à pédales; les prisons et les chômeurs fourniront la main d'oeuvre nécessaires. Pour la nuit? Il reste les insomniaques. Pour l'instant, notre danseuse, ce sont les EPR.

à écrit le 08/01/2024 à 12:59
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Reste plus qu'à trouver des soudeurs.

à écrit le 08/01/2024 à 11:46
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Donc on paie pour, on assume le risque d'accident nucléaire, mais par contre on a aucun avantage et l'on paie comme les autres pays pour permettre aux amis de macron d'acheter l'électricité a bas prix pour nous obliger a l'acheter 5 fois plus cher? ...

le 09/01/2024 à 10:43
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Tout compris !

à écrit le 07/01/2024 à 21:51
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Comme l'EPR Frnaçais ne fonctionne pas encore, les suivants seront prévus pour l'an 3000.

à écrit le 07/01/2024 à 20:29
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Le 22 novembre La Tribune écrivait : « L'objectif, c'est de permettre à EDF d'engranger des recettes compatibles avec son programme d'investissement », a précisé mardi Marc Benayoun, directeur exécutif en charge du pôle Clients, Services et Territoir...

le 08/01/2024 à 12:59
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Le solaire n’est qu’une énergie d’appoint. Le rendement actuel est encore faible. Et même en couvrant tout le territoire de panneaux solaires, il faudra des batteries pour stocker et fournir la nuit. C’est plutôt une solution individuelle pour fourni...

à écrit le 07/01/2024 à 19:56
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Il manque un point essentiel à ces prévisions par ailleurs très avisées de la ministre : la relance sans tarder de la filière dite "rapide" qui augmente les réserves d'uranium d'un facteur 100. Sans cela, la politique énergétique basé sur une électri...

le 08/01/2024 à 9:56
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C'est effectivement un point essentiel qui devrait pourtant combler les champions du 'en même temps'; reste à savoir si leur brillante intelligence a encore un peu de place pour intégrer cette évidence?

à écrit le 07/01/2024 à 19:56
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Il manque un point essentiel à ces prévisions par ailleurs très avisées de la ministre : la relance sans tarder de la filière dite "rapide" qui augmente les réserves d'uranium d'un facteur 100. Sans cela, la politique énergétique basé sur une électri...

à écrit le 07/01/2024 à 18:08
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Rien nouveau à l'ouest, c'était déjà annoncé mais quels petits copains va t'on récompenser . Des réacteurs à construire en plus il ne fallait pas être devin vu le retard déjà pris. C'est une bonne nouvelle pour ceux qui savaient depuis longtemps qu...

à écrit le 07/01/2024 à 16:33
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Bonjour, avant toute chose, ils faut dire a cette dame que nous attendons la mise en service de l'EPR depuis déjà 12 ans.... Donc avant de vouloir des engagements d'investissement , ils faudrait que certains soit au travail... Ensuite, nous pourrion...

à écrit le 07/01/2024 à 16:28
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D'ici là, elle ne sera plus là, ce qui la confirme dans ses choix! ;-)

à écrit le 07/01/2024 à 16:05
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Démarré en 2007 flamanville ( réacteur pressurisé européen) devait ouvrir en 2012 pour un coût de 3 milliards. Nous allons atteindre selon certains spécialistes les 19 milliards en 2024, date officielle d'ouverture. Ils ont suivi la courbe du déclin ...

à écrit le 07/01/2024 à 14:38
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Le constat est pourtant simple: la France a pris dix ans de retard dans le remplacement de son parc. La France aurait pu être fournisseur d’électricité à ses voisins, notamment dans les périodes de fortes consommations. La France est dernière dans l’...

à écrit le 07/01/2024 à 13:33
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Ne pas dire la vérité. Ne pas dire la réalité. Les gouvernants ont peur des réalités. A l'annonce de la construction des 6 nouveaux réacteurs, les professionnels savaient que ce chiffre était très faible du égard aux besoins du pays..... Pourvu que ç...

à écrit le 07/01/2024 à 12:09
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Cette ministre travaille !

à écrit le 07/01/2024 à 10:16
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Avec toutes les voitures électriques, le chauffage électrique, les conversions dans l'industrie où les besoins sont immenses, il est clair que ce ne seront pas les énergies renouvelables seules capables d'assurer les quantités d'électricité nécessa...

le 07/01/2024 à 11:03
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Forcément puisque vous le dite.! On attend votre démonstration

le 07/01/2024 à 15:31
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Il existe aussi une alternative à vos deux visions ; des avancées technologiques plus économes en énergie .Exemple les voitures à essence consommaient dans les années 70/80 8 à 10 litres au 100 km alors que les mêmes en sont à moins de 5 litres à u...

le 08/01/2024 à 10:01
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C'est une évidence même si certain ne font pas encore la différence entre filières pilotables et filières intermittentes.

à écrit le 07/01/2024 à 9:37
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On se rend compte du chemin qu'il reste à parcourir lorsqu'on comprend que même avec tous ces investissements (13 GW supplémentaires, isolation thermique etc...) on ne passe que de 60 % à 40 % de fossile dans notre mix. Tant que ce sujet ne sera pa...

le 07/01/2024 à 10:02
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En regardant la durée de construction de ces engins, et les frais que ça demande de s'équiper d'installations dites "sans" carbone (PAC, isolation améliorée, watture), le 40% sera suivi d'un 20% un jour (futur). Même une grosse industrie énergivore n...

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