Derrière Le Pen, l’omniprésent M. Tanguy

Idéologue touche-à-tout formé à Sciences-Po et auprès de Nicolas Dupont-Aignan, le souverainiste s’est imposé comme le « Monsieur Économie » de la cheffe du RN.
Jules Pecnard
Le député RN à l’Assemblée nationale, le 21 mai.
Le député RN à l’Assemblée nationale, le 21 mai. (Crédits : © LTD / Xose Bouzas / Hans Lucas)

De son propre aveu, l'intervention n'était pas terrible. « J'étais ému », plaide Jean-Philippe Tanguy. Vendredi, au Palais-Bourbon, le député Rassemblement national de la Somme apprend comme ses collègues la mort de Marie-France Garaud, la très droitière éminence grise de Georges Pompidou puis de Jacques Chirac dans les années 1970. Beaucoup de Français l'ont oubliée, lui non. À la reprise de séance, le numéro deux du groupe RN à l'Assemblée nationale bredouille un éloge funèbre. Lorsqu'on l'interroge plus tard, Jean-Philippe Tanguy retrouve sa verve habituelle : « Garaud a théorisé le gaullisme sans de Gaulle, le bonapartisme sans César. Elle a fondé toute la doctrine souverainiste jusqu'à 2012. » La forme, cocktail d'emphase et de technicité, est typique du personnage. Inconnu pendant ses huit années passées au côté de Nicolas Dupont-Aignan, le diplômé de Sciences-Po et de l'Essec s'est vite plu dans l'hémicycle, terrain de jeu qu'il guignait de longue date.

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Sa passion et ses excentricités ont vite marqué les esprits. « Jean-Philippe cultive un amour du pays presque mystique », résume son ami Thomas Ménagé, parlementaire frontiste formé à l'école « NDA » comme lui et leur camarade Alexandre Loubet, actuel directeur de campagne de Jordan Bardella pour les européennes. Las de voir stagner le souverainiste qui leur a mis le pied à l'étrier, ils ont claqué la porte de Debout la France en 2020 - dépouillant au passage l'appareil du parti - pour rejoindre Marine Le Pen. Très vite, celle-ci a fait de Jean-Philippe Tanguy l'un des piliers de son dispositif. « Je l'aime beaucoup, c'est un type extrêmement rigoureux, salue la candidate à l'élection présidentielle auprès de La Tribune Dimanche. C'est aussi quelqu'un de sincère. Il n'a pas ce côté retors qu'on trouve beaucoup en politique. »

Des notes à la pelle

Cela se traduit parfois par de la naïveté, l'intéressé le sait, comme lorsqu'il se prend en boomerang la commission d'enquête sur les ingérences étrangères qu'il a voulue et présidée il y a un an, dans le but de faire pièce aux soupçons de collusion entre le RN et Moscou. L'opération s'est soldée par un rapport au vitriol, rédigé par une députée macroniste, sur le tropisme prorusse des élus lepénistes. « Ce que les gens ne veulent pas comprendre, c'est que si j'avais été rapporteur, mon texte n'aurait pas été adopté », insiste Jean-Philippe Tanguy, toujours ulcéré par l'épisode.

Pas découragé, l'ex-salarié de General Electric - ligne de CV qu'il aime brandir pour fustiger, avec un certain brio, la rapacité des multinationales américaines - a continué de se démultiplier pour servir la cheffe qu'il admire après l'avoir crainte. Opérant en tandem avec le secrétaire général du groupe d'extrême droite à l'Assemblée, Renaud Labaye, il pond des notes à la pelle et inonde le canal WhatsApp « M l'argu », qui nourrit les cadres marinistes en éléments de langage. Les autres n'essaient plus de rivaliser. « On se concentre sur nos circonscriptions », balaie un membre de la boucle, signifiant la préférence du crack pour le chaudron parisien. Marine Le Pen, elle, lui envoie des signes d'approbation. « Il y a un côté provoc dans mon flux », nous glisse Jean-Philippe Tanguy, le sourire taquin. Comprendre : aux autres pontes du RN, aussi, de monter en gamme.

J'ai toujours voulu être ministre. J'ai lu davantage sur Vauban et Colbert que sur Louis XIV

Jean-Philippe Tanguy

En Macronie, terre qu'il exècre, un député le connaît bien : l'ex-LR Robin Reda, rencontré en classe préparatoire littéraire. « On s'est retrouvés à Sciences-Po, il avait sa vision souverainiste quand j'étais sarkozyste et européiste, sourit l'élu de l'Essonne. Il était déjà excessif, doté d'une force de persuasion. Il exploitait le moindre de mes doutes, notamment sur l'interprétation très extensive de la Cour européenne des droits de l'homme. » Au soir du premier tour de la présidentielle de 2017, lorsque Nicolas Dupont-Aignan s'apprête à rallier Marine Le Pen, Jean-Philippe Tanguy sonde son ami de droite au téléphone. « Il voulait faire un coup, mais je n'ai jamais compris s'il cherchait une sorte de bénédiction morale », médite Robin Reda.

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C'est que l'élu picard veut le pouvoir. « Pas pour être président de la République, assure-t-il. J'ai toujours voulu être ministre. J'aime l'État et l'idée de le servir. J'ai lu davantage sur Vauban et Colbert que sur Louis XIV. » L'envie ne jure pas, d'après lui, avec sa fibre antisystème, qui « devient rare au RN », prend-il soin d'observer. C'est bien celle-ci qui agace un stratège frontiste, pourtant du genre à railler la « faiblesse intellectuelle » du parti. Ce conseiller regrette l'hostilité viscérale du député de la Somme aux institutions européennes, même s'il sait l'argumenter : « Quand on nous accuse de préparer un "Frexit déguisé", c'est faux et vrai factuellement. Quelqu'un comme Tanguy nous empêche de dépasser cette contradiction. »

 « Plan d'économies massif »

Si Jean-Philippe Tanguy ressent une profonde symbiose idéologique avec Marine Le Pen, le lissage du parti en vue de séduire les milieux économiques n'est pas toujours de son goût. Le souverainiste voit bien une colonne vertébrale au chef de maison, Jordan Bardella, mais laquelle ? « L'avenir le dira », botte-t-il en touche. Comme jadis avec Florian Philippot, Marine Le Pen ne se lasse pas de le solliciter. Cela fait quelques semaines qu'il a achevé, seul, le « livret » économique commandé par la patronne, sorte de « compilation » d'éléments programmatiques de 2022 à destination des chefs d'entreprise. Jean-Philippe Tanguy travaille aussi sur un « plan d'économies massif » axé sur l'immigration, évidemment, mais aussi les collectivités locales. L'un des rêves du bonapartiste est de voir disparaître l'échelon régional.

Quant au fameux livret, sa publication a été reportée au lendemain des élections du 9 juin. Officiellement pour ne pas chiper de bande passante à Jordan Bardella, avec qui les relations sont bonnes, mais sans effusion. Le leader reste aux yeux du député un mystère, entouré d'identitaires qui ne sont pas sa tasse de thé. Cela n'empêche pas Jean-Philippe Tanguy de défendre bec et ongles l'eurodéputé lorsqu'il est mis en difficulté par Gabriel Attal vendredi sur France 2. « Il finira à la poubelle avant Macron, commente-t-il en privé au sujet du Premier ministre. Jordan est très bon malgré le comportement de petit mec d'Attal. » Un bon soldat reste un bon soldat.

Jules Pecnard
Commentaires 3
à écrit le 26/05/2024 à 12:45
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Il faudra qu il nous explique ce que fait au Rn la fille du porte parole de Poutine : Melle Peskova ..

à écrit le 26/05/2024 à 12:45
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Il faudra qu il nous explique ce que fait au Rn la fille du porte parole de Poutine : Melle Peskova ..

à écrit le 26/05/2024 à 9:14
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"Idéologue touche-à-tout formé à Sciences-Po" Ben oui Science po qui continue de (dé)former nos partis politiques. Droite et gauche sont les deux faces d'une même pièce.

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