Paris, 12 janvier 2022. En pleine campagne présidentielle, le média d'extrême droite Boulevard Voltaire souffle ses 10 bougies dans une salle du 13e arrondissement. Parmi les convives, on trouve d'anciens complices : Jean-Yves Le Gallou, énarque du Club de l'Horloge qui vient de rallier Éric Zemmour, et Philippe Olivier, beau-frère et conseiller « spécial » de Marine Le Pen. En 1998, les deux hommes ont rompu avec Jean-Marie Le Pen en contribuant à la scission fomentée par Bruno Mégret. Deux décennies plus tard, ils évoquent les tourments de la candidate du Rassemblement national, concurrencée par Reconquête au point de passer sous les 20 % d'intentions de vote.
À son interlocuteur, Philippe Olivier certifie que la croisade zemmouriste contre l'immigration et l'islam est vouée à l'échec. La ligne « sociale » de Marine Le Pen serait le ticket gagnant. Et l'eurodéputé d'illustrer son pronostic : « Les Français sont des Bevalot. Il faut leur parler de pouvoir d'achat. » Le patronyme - une connaissance commune des deux hommes - résonne aussitôt dans la tête de Jean-Yves Le Gallou comme une allusion aux Thénardier, ce clan des Misérables mû par l'appât du gain. « Sur le coup, ça m'a choqué, affirme aujourd'hui l'intellectuel identitaire. Il prenait les électeurs pour des benêts. »
Labourer les terres de LR
Entaché ou non de cynisme, le pari s'est avéré largement gagnant. Au premier tour de la présidentielle, le RN a distancé Reconquête de 16 points. Le rival nationaliste de Marine Le Pen, qui a attiré des talents venus de chez elle (comme Nicolas Bay, lui aussi ex-mégrétiste) et des Républicains, a vu son élan brisé. L'écart s'est creusé depuis: pour les européennes du 9 juin, la liste conduite par Jordan Bardella est donnée à 30 % des suffrages, tandis que celle de Marion Maréchal stagne autour des 6 %. De quoi faire jubiler Philippe Olivier, pour qui le zemmourisme n'est qu'une redite du Parti des forces nouvelles, mouvement néofasciste qui rivalisait jadis avec le FN. « Dans les années 1980, ces gens ont enfilé des cravates pour ressembler à la droite classique; ils ont tous fini chez Charles Pasqua », persifle-t-il en privé.
La droite classique, celui que beaucoup surnomment « PO » déborde de mépris à son égard. « Les LR, je m'en fous », a-t-il coutume de lâcher en pleine discussion politique. Cela n'empêche pas Philippe Olivier, de temps à autre, d'inciter sa cheffe à labourer leurs terres - quitte à désarçonner le socle lepéniste, comme avec le slogan « Libertés, libertés chéries » en 2021. « L'idée n'était pas bête et Marine était lumineuse sur l'affiche, se rappelle Jean-Philippe Tanguy, vice-président du groupe RN à l'Assemblée nationale. Mais le concept de liberté est trop vague pour devenir un moteur du vote. »
À sa rentrée estivale, en septembre dernier, Marine Le Pen a dévoilé sa « Déclaration des droits des peuples et des nations » à laquelle Philippe Olivier - obnubilé par l'affrontement entre empires et nations - a beaucoup contribué. Quid de la « DDPN » depuis? « Trop dans la stratosphère, trop intello », juge un dirigeant du parti. Un constat que récuse la patronne. « À l'étranger, j'en parle énormément avec nos alliés. L'objectif était d'avoir un outil à longue maturation, se défend Marine Le Pen auprès de La Tribune Dimanche. Philippe a une vraie vision et une capacité à repérer les sujets qui vont monter. »
Au point de partir dans tous les sens, comme s'en plaignent certains cadres RN, présents comme anciens? La députée du Pas-de-Calais connaît la formule consacrée, selon laquelle son beau-frère (époux de Marie-Caroline Le Pen) produit « des dizaines d'idées à la minute, dont une seule de bonne ». La cheffe et son conseiller, qui travaillent beaucoup en bilatéral, s'en agacent. Adhérent du FN dès ses 18 ans, en 1979, Philippe Olivier se vit comme un militant pur et dur, mais aussi un adepte des coups marketing. « La "vague bleu marine", c'est de moi; le slogan "Tenez bon, on arrive", je l'ai développé il y a trente ans ; les luttes contre le wokisme et la décroissance, c'est moi qui les ai préconisées, nous égrène-t-il. Après, quand vous conseillez, certaines choses sont prises, d'autres non... » Un stratège qui a travaillé à ses côtés le perçoit comme « un créatif qui comprend la politique » mais dont le logiciel idéologique est « très "old school" ». « Il est une pure incarnation du FN des années 1990 », ajoute notre source.
À cette époque, Philippe Olivier fuit moins la lumière médiatique. Il est le bras droit de Bruno Mégret, ancien RPR devenu tout-puissant délégué général du mouvement de Jean-Marie Le Pen. Les deux hommes partagent le même credo: professionnaliser et normaliser le Front pour en faire un parti de gouvernement. Les saillies antisémites et racistes du « Menhir » l'en empêchent. Philippe Olivier repère les tendances, comme la colère montante des Français envers la mondialisation, phénomène raccord avec sa sensibilité antilibérale. Il lance des syndicats estampillés FN, assez vite interdits par la justice. « C'était un excellent formateur, se souvient Louis Aliot, maire de Perpignan et fidèle du vieux Le Pen. L'école Mégret était rigoureuse, mais on n'y diffusait pas les idées défendues par Marine aujourd'hui; c'était plutôt du RPR très à droite. »
« Je suis nationaliste »
L'ex-compagnon de Marine Le Pen entretient des relations cordiales mais distantes avec Philippe Olivier. Ce dernier a beau être revenu au FN en 2015, après l'exclusion de son fondateur, Louis Aliot ne lui a jamais totalement pardonné la rupture de 1998, qui a privé le mouvement d'une bonne partie de ses cadres. « On ne vient pas des mêmes milieux, moi je suis un petit-enfant de l'empire, complète ce fils de pied-noire qui assume sa nostalgie de l'Algérie française. Je suis plus proche de Georges Bidault [président du Conseil national de la Résistance devenu sympathisant de l'OAS] que de Dominique Venner. » La référence n'est pas anodine. Cofondateur du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (Grece), Dominique Venner a été une figure de la mouvance racialiste la plus radicale. Philippe Olivier se défend de toute proximité avec cette frange. « Ma fiche Wikipédia indique que j'ai été au Grece, mais c'est complètement faux: le Grece est communautariste, je suis assimilationniste; il est païen, je suis chrétien; il est européen, je suis nationaliste », nous énumère la plume de Marine Le Pen. À ses yeux, sa championne a réalisé la « refondation » du FN pour laquelle il a toujours milité. Du folklore anti-islam que Bruno Mégret a laissé prospérer autour de lui après avoir fondé son propre parti, Philippe Olivier assure n'avoir rien gardé. Sans doute par conviction, aussi parce que cela fait partie des oripeaux qui empêchent l'extrême droite d'accéder au pouvoir. Or, à l'instar de celle qu'il inspire, le pouvoir, il veut y accéder.