Le 9 octobre, dans l'avion qui emmenait une bonne partie du gouvernement à Hambourg, Éric Dupond-Moretti s'est épanché auprès d'Emmanuel Macron. La veille, sur BFMTV, Élisabeth Borne a été interrogée sur le procès automnal qui attend le garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République (CJR). Celui-ci n'a pas du tout apprécié ce qu'elle a dit. « S'il est condamné, Éric Dupond-Moretti peut-il rester dans le gouvernement ? » a-t-il été demandé à la Première ministre. « Il y a une règle claire qui existe et qui s'est appliquée, y compris dans le précédent quinquennat, à certains ministres », a-t-elle répondu, faisant référence au départ de l'ancien ministre délégué chargé des PME Alain Griset, après sa condamnation pour avoir minoré son patrimoine. Le ministre de la Justice estime que la réponse d'Élisabeth Borne a piétiné sa présomption d'innocence. Il le fait savoir au chef de l'État. Pour un avocat, la dextérité oratoire est la clé de tout.
Éric Dupond-Moretti va pouvoir se défendre
Depuis que ses ennuis, trois mois seulement après sa nomination, ont commencé, il a pris sur lui. Domptant sa colère, il s'est publiquement tu.
« Il avait compris que tout cela était fait pour qu'il ne puisse pas être ministre et que, s'il nourrissait la bête, elle le dévorerait, rapporte un de ses anciens collaborateurs. Il a donc laissé attaquer le justiciable qu'il était pour que le ministre puisse faire son travail. »
Enfin Éric Dupond-Moretti va pouvoir se défendre. Il plaidera non coupable et tentera de démontrer que ce qui lui est reproché n'était que des « actes administratifs ministériels ». Le débat aura lieu aux yeux de tous. Il en attend beaucoup.
« Dans son dossier de passation de pouvoir figurait l'obligation de mener l'inspection qui lui est reprochée [une enquête administrative contre trois magistrats du parquet national financier] ; qu'aurait-on dit s'il l'avait mise sous le tapis ? le défend un haut gradé macroniste. Tout cela est une vengeance personnelle de François Molins [à l'époque procureur général près de la Cour de cassation], fâché de ne pas avoir été nommé à sa place alors qu'il avait été approché. »
Comment assurer ses fonctions pendant le procès ?
En amont, ces dernières semaines, un autre point a beaucoup préoccupé le locataire de la Place Vendôme : comment assurerait-il ses fonctions durant le procès, qui durera jusqu'au 17 novembre ? Comment ferait-il pour le Conseil des ministres, les séances de questions d'actualité au Parlement ? Serait-il obligé de se déporter ? Élisabeth Borne le suppléerait-elle ? Une discussion a été engagée avec la cheffe du gouvernement. « Ce qui est important, c'est que le ministère continue à tourner ; on verra selon quelle modalité », répète le garde des Sceaux chaque fois que la question lui est posée, ne manquant pas de rappeler que son procès ne « durera que six jours et demi ». « Il n'est pas obligé d'assister à toutes les audiences, précise son entourage. Il peut en sortir quelques minutes si une urgence est à gérer. »
« Tenir leurs gosses »
Le 6 novembre, cela fera 1.218 jours qu'Éric Dupond-Moretti a quitté sa robe d'avocat pour endosser l'habit de ministre. Il a survécu à deux remaniements, alors que d'aucuns ne donnaient guère cher de sa peau. Après la réélection d'Emmanuel Macron en mai 2022, il convainc celui-ci, à la surprise générale, de le reconduire pour mener à bien les réformes qu'il a entreprises, malgré ses relations exécrables avec une partie de son écosystème. En juillet 2023, la question de sa reconduction ne se pose même pas. Lors des émeutes qui viennent de marquer le pays, il a frappé les esprits en appelant les parents à « tenir leurs gosses ».
« J'ai réagi avec mes tripes », dira-t-il plus tard. « Il a trouvé sa place, constate Hervé Marseille, le président du groupe Union centriste au Sénat. Il est devenu une pièce qui compte dans le dispositif gouvernemental. C'est une personnalité à part : il a une gouaille, une compagne chanteuse... S'il devait partir, je ne vois pas qui pourrait le remplacer. »
Le métier est vite rentré. Quelques jours après sa nomination, Éric Dupond-Moretti est assis au Sénat à côté de son collègue Olivier Dussopt. « Vous êtes dans de bonnes dispositions ? glisse-t-il au ministre délégué aux Comptes publics. Je ne connais pas les règles budgétaires et on m'a dit que c'était impressionnant. » L'après-midi même se tient à Bercy une réunion d'arbitrage sur son budget. Lors de celle-ci, il laisse sa directrice de cabinet répondre sur tous les points techniques. Durant l'été, il a eu le temps d'assimiler les choses. À la rentrée, il revient à la charge. Alors que les lettres de plafond pour chaque ministère ont pourtant été arrêtées par Matignon, il obtient une augmentation de 8 % de ses crédits. En juillet 2022, c'est Gabriel Attal, désormais chargé des Comptes publics, qui a affaire à lui. « On m'avait dit que ce serait une plaidoirie ; c'est vrai », racontera celui-ci peu après. Pour vaincre les réticences du jeune ministre qui avait contesté certains de ses chiffres, Éric Dupond-Moretti a apporté des photos de cellules de prison.
Augmentation des moyens de la justice
Aujourd'hui, celui-ci revendique être un garde des Sceaux qui aura considérablement accru les moyens de la justice française, renforçant ainsi sa rapidité et sa proximité. Grâce à sa loi de programmation de la justice adoptée il y a dix jours, 1.500 magistrats et 1.800 greffiers vont être embauchés au cours des quatre prochaines années. Dans ce combat, Emmanuel Macron aura toujours été pour lui une porte d'entrée précieuse. Alors que l'opinion juge majoritairement la justice laxiste, il aura aussi tenté d'incarner une certaine fermeté. Ses relations avec Gérald Darmanin s'en sont ressenties. Les deux hommes s'entendent bien. Le 11 octobre, lors du Conseil des ministres, profitant d'une intervention sur la collaboration entre leurs deux maisons, Éric Dupond-Moretti a souhaité un bon anniversaire au ministre de l'Intérieur.
Mercredi, en fin d'après-midi, l'ex-avocat a participé à la réunion post-émeutes qui s'est tenue à l'Élysée. Il y a fait part de ses propositions inspirées, pour certaines, par un rendez-vous avec des élus locaux à Matignon qu'il avait trouvé riche. Il travaille sur un texte sur les repentis. Il aimerait également porter le projet de loi sur la fin de vie, en préparation, avec Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée des Professions de santé. Le sujet le passionne et comporte une dimension essentielle touchant aux libertés fondamentales.
Place Vendôme, sur le mur du ministère où s'affichent tous les visages des anciens gardes des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, 62 ans, a déjà repéré que son portrait prendrait place au-dessus de celui de Robert Badinter. Il aimerait le voir accroché le plus tard possible, même si son avenir est aujourd'hui en suspens.