LA TRIBUNE DIMANCHE - Comment avez-vous trouvé Jordan Bardella lors de votre débat jeudi sur France 2 ?
GABRIEL ATTAL - Je crois que les masques sont tombés. J'ai vu Jordan Bardella contraint d'admettre que sa proposition de priorité nationale dans le marché unique serait un carnage économique et social pour les Français. On a 150 000 entreprises exportatrices et on a la chance, parce qu'on a les meilleures entreprises avec les meilleurs salariés et entrepreneurs, d'avoir des milliers d'entre elles qui décrochent des contrats publics dans d'autres pays européens. L'application de sa proposition les priverait d'un marché de 450 millions de consommateurs. J'ai vu Jordan Bardella reconnaître qu'il ne lisait pas les textes de loi avant de s'y opposer. C'est quand même ahurissant d'entendre un responsable politique national, chef du premier parti d'opposition, député sortant du Parlement européen, vice-président de son groupe, l'affirmer dans le plus grand des calmes et avec la plus grande assurance. J'ai vu Jordan Bardella échouer à nous expliquer son concept de double frontière, sans qu'on sache toujours à la fin si son projet c'est la transformation de toutes nos frontières terrestres en péage de Saint-Arnoult un week-end de chassé-croisé, en obligeant tous les 400 000 Français qui travaillent dans des pays frontaliers à passer des heures à attendre pour montrer patte blanche ou alors si son projet c'est simplement ce que l'on fait déjà aujourd'hui, c'est-à-dire des contrôles aléatoires. Au vu de la gravité du moment que traverse l'Europe aujourd'hui, les Français ont besoin de sérieux et de crédibilité. Nos retraités seraient la première victime d'une instabilité financière liée à une crise européenne. Les Français de classe moyenne verraient leurs emplois disparaître si on sortait du marché unique.
Vous avez vu chez lui de la légèreté, de l'amateurisme...
Je pense plutôt que cela a été la démonstration de la détestation du Rassemblement national pour l'Europe. Ils la vomissent tellement, l'Europe, qu'ils ne se préoccupent pas des conséquences de leurs propositions sur le pouvoir d'achat des Français ou les intérêts de la France.
Et pourtant, le Rassemblement national est à la veille d'un succès triomphal, si on en croit les sondages...
D'abord, le principe d'une élection, c'est qu'elle se joue dans les urnes, le jour du vote, même si manifestement Jordan Bardella, depuis maintenant plusieurs mois, dans une forme d'ivresse de lui-même, nous annonce déjà quel sera son discours une fois qu'il aura gagné. Je trouve ça très méprisant pour les Français, qui sont les premiers à décider du résultat de l'élection. Partout en Europe, l'extrême droite a progressé. C'est un fait. Ça doit nous pousser d'abord à nous interroger sur l'efficacité de nos politiques. C'est pourquoi pour moi le pacte asile et migration, qui vient d'être adopté, est une avancée majeure, parce que enfin il va faire sortir l'Europe de sa naïveté en la matière en se donnant les moyens de maîtriser effectivement les flux migratoires. Ça doit ensuite ne pas nous inciter à sous-estimer l'enjeu du 9 juin. Ces élections européennes sont les plus décisives depuis qu'elles existent. Alors que la guerre est en Europe, que les puissances américaine et chinoise se réaffirment, que nous avons des défis majeurs à relever comme le dérèglement climatique ou l'intelligence artificielle, l'extrême droite peut être en capacité d'obtenir une minorité de blocage au Parlement européen et donc empêcher tout notre continent d'avancer. Face à cela, j'appelle au sursaut, j'appelle au réveil de tous ceux qui croient que c'est l'union qui fait la force. Car je le dis : si vous ne votez pas le 9 juin, vous prenez le risque d'un effacement de l'Europe et d'un affaiblissement de la France. L'Union européenne, c'est ce qui nous a permis de vivre en paix depuis quatre-vingts ans sur notre continent. C'est ce qui garantit la prospérité de notre économie. Je veux convaincre les Français, y compris ceux qui ont pu douter en raison de telle ou telle réforme, de telle ou telle mesure portée par la majorité au niveau national, que la liste la plus à même de nous défendre dans un tel moment de gravité, c'est celle de Valérie Hayer.
Dans un coup de gueule remarqué, François-Xavier Bellamy a estimé que votre débat face à Jordan Bardella était une mise en scène que « rien ne justifiait démocratiquement ». Que lui répondez-vous ?
Ceux qui aiment l'Europe et la démocratie devraient plutôt se réjouir qu'une grande chaîne nationale consacre une soirée aux élections européennes. Par ailleurs, ce n'est pas moi qui fais la programmation des débats. Je suis le chef de la majorité : c'est légitime que je débatte avec le président du premier parti d'opposition. Je pense que la colère de François-Xavier Bellamy est surtout motivée par l'absence de dynamique de sa liste, dont on ne peut qu'être frappé par le manque de clarté. C'est une liste qui n'est ni en soutien de l'Europe ni en opposition à l'Europe. C'est une liste d'isolement au Parlement européen puisque, sur des sujets absolument essentiels, les députés LR se sont opposés au reste de leur groupe, au sein duquel ils n'ont aucun pouvoir.
Quelle est la différence entre votre projet européen et celui de Raphaël Glucksmann ?
Il y a aujourd'hui plusieurs listes issues de la Nupes. Je note d'ailleurs que celles-ci passent plus de temps à parler de ce qui se passera sur la scène politique nationale après les élections européennes que d'Europe. J'ai ainsi encore entendu récemment Raphaël Glucksmann parler d'une union de la Nupes sans Jean-Luc Mélenchon. La belle affaire ! Ça voudrait dire une union avec Mmes Obono, Panot, Hassan ou avec Adrien Quatennens, qui portent des valeurs totalement contraires à celles de la gauche sociale-démocrate, dans laquelle je me suis toujours retrouvé. Sur les sujets essentiels, on a aussi vu que toutes ces listes de la Nupes sont unies au Parlement européen. Quand s'est posée la question de la reconnaissance du nucléaire, Raphaël Glucksmann, Manon Aubry et Marie Toussaint ont voté contre. Sur le pacte asile et migration, ou le plan de relance, cela a été la même alliance !
Vous estimerez-vous comptable d'un échec de la majorité présidentielle le 9 juin ? Quelle conséquence en tirerez-vous ?
Je me bats pour que l'enjeu de cette élection soit bien perçu par tous. Si les sondages d'aujourd'hui se concrétisaient, la France, pays fondateur de l'Europe, enverrait le premier bataillon d'extrême droite au Parlement européen. Notre capacité à peser sur l'avenir de l'Europe serait affaiblie. Je crois que le président de la République, garant des institutions, l'a indiqué dans vos colonnes : c'est une élection européenne. Les conséquences seront européennes.
Depuis que vous êtes à Matignon, vous êtes aspiré par les crises et les urgences permanentes. Cela fait de vous un Premier ministre de l'immédiateté. C'est ça, la marque Attal ?
Le défi à Matignon, c'est d'arriver à conjuguer la gestion des crises avec la projection sur le temps long. C'est pourquoi j'ai eu à cœur d'engager des chantiers profonds sur le rapport au travail, la transition écologique et numérique. Ma méthode, c'est d'abord être lucide sur le constat et reconnaître quand il y a des choses qui ne fonctionnent pas. Ensuite, c'est, trancher, prendre des décisions claires et m'assurer qu'elles soient mises en œuvre immédiatement, avancer. Enfin, c'est assumer d'agir pour le quotidien très concret des Français. Quand j'annonce que les pharmaciens pourront désormais prescrire eux-mêmes des antibiotiques contre les cystites ou les angines, c'est très pratico-pratique. Certains diront que ce n'est pas du niveau d'un Premier ministre. Moi, je considère qu'il n'y a ni bon ni mauvais niveau. Le seul qui vaille, c'est celui des Français.