Une semaine de psychodrame politique pourrait se conclure ce soir. La Première ministre réunit une nouvelle fois Les Républicains (LR) à Matignon pour d'ultimes négociations autour de la loi immigration. Ce week-end, beaucoup en Macronie pariaient sur un accord. « Tant pis si c'est vécu comme une victoire de LR », tranche un parlementaire de l'aile droite de Renaissance au sujet des dernières tractations avant la commission mixte paritaire (CMP) qui se tient demain après-midi.
Mardi soir, c'était l'aile gauche de la majorité qui se réunissait, comme tous les mois, dans une salle de l'Assemblée nationale. Les grands jours, ils sont 70. Cette fois-là, ils sont une quarantaine et ce huis clos ne ressemble pas aux précédents, l'ambiance est particulièrement fraîche. La veille, le projet de loi immigration porté par Gérald Darmanin a été rejeté par l'Assemblée nationale sans que le gouvernement l'ait vu venir. « Qu'êtes-vous prêts à accepter ? » questionne d'emblée Sacha Houlié, président de la commission des lois, qui se retrouve aujourd'hui dans un rôle d'équilibriste intenable : il préside la commission mixte paritaire - ce conclave réunissant sept députés et sept sénateurs censés parvenir à un accord sur le texte - mais il est aussi tenant de l'aile gauche de Renaissance, à qui il est aujourd'hui reproché d'avoir contribué à « gauchiser » le texte jusqu'à en faire un repoussoir pour la droite. « Je suis baisé dans tous les cas », lâche l'élu de Poitiers à l'un de ses collègues LR.
Voilà la gauche de la Macronie coincée dans un drôle d'embarras. Elle doit renoncer à ses ambitions pour accepter que l'objet le plus politique du quinquennat Macron soit le fruit d'un deal avec Les Républicains. C'est le seul moyen de lui donner une chance d'être adopté lors de cette fameuse CMP, demain à 17 heures. Si cette dernière accouchait d'un texte forcément très droitisé, la majorité serait-elle prête à le voter? Élisabeth Borne a bien conscience que le sujet est épidermique pour sa majorité. Elle s'est toujours fracassée sur les textes migratoires.
Jeudi après-midi, Sacha Houlié passe une heure dans le bureau de la Première ministre. Elle le sonde dans tous les sens. Qui pourrait voter contre ? S'abstenir ? Sur quelles lignes rouges ? Lui-même comprend qu'il n'a d'autre choix que de mettre de l'eau dans son vin sur un texte qu'il juge pourtant très dur. La question de l'aide médicale d'État (AME), que la droite veut supprimer, sera finalement traitée dans un texte à part à la rentrée, comme Élisabeth Borne s'est engagée à le faire face aux LR.
Ambiance exécrable
Jeudi, c'est la réunion à Matignon des ministres concernés par le projet de loi qui vire à « la boucherie ». Bruno Le Maire se fait recadrer par la cheffe du gouvernement pour avoir dit publiquement qu'il fallait « prendre le texte du Sénat ». Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, juge qu'il faut arrêter de tout concéder aux Républicains, qui ne respectent rien. L'ambiance est exécrable. Quelques heures plus tard, la Première ministre réunit les composantes de sa majorité (Renaissance, MoDem et Horizons). « On veut aboutir à un texte en responsabilité, surtout dans le contexte terroriste », justifie-t-elle. Les députés présents apprécient son exercice de transparence. Plusieurs l'interrogent, notamment ceux issus de l'aile gauche, comme Stella Dupont, Éric Bothorel ou Erwan Balanant. Sacha Houlié passe une tête mais ne prend pas la parole. Et file prendre son train pour Poitiers.
La Première ministre prend soin de ne dire publiquement aucun mal des responsables LR. Elle les reçoit deux jours de suite dans son bureau, mercredi et jeudi. Face à eux, elle pose un argument sur la table : ne pas laisser les mesures d'expulsions des délinquants étrangers à Marine Le Pen, qui s'empresse de déposer une proposition de loi sur le sujet. À Matignon, on note une volonté d'aboutir de la droite. Tout en ayant bien conscience que les chefs LR n'engagent pas 100 % de leurs troupes, et c'est tout le problème.
Mercredi, Bruno Le Maire a reçu à déjeuner le club « Solferi-NO », qui rassemble des députés de l'aile droite de Renaissance. Autour de la table, tout le monde est au diapason... y compris sur le cas d'Élisabeth Borne, Première ministre en sursis. Pour « BLM », candidat à Matignon, pas de doute : l'adoption d'un texte sorti de la CMP entraînerait une évolution du dispositif macroniste encore un peu plus vers la droite. « Borne serait-elle à l'aise avec ça ? » fait mine de s'interroger l'un des convives.
En cas d'accord lundi soir, les choses pourraient devenir plus complexes mardi, lors du vote du projet de loi par les deux chambres. Combien de députés pourraient s'abstenir ou rejeter une version qui n'est que la résultante de concessions accordées aux LR ? Chez Renaissance, on s'inquiète du cas de 15 parlementaires. Que le texte échoue en raison d'une défection d'une partie de la majorité serait le scénario noir pour le gouvernement. Une crainte partagée par plusieurs ministres, parmi lesquels Gabriel Attal, Olivier Véran, Stanislas Guérini et Aurore Bergé, qui l'ont fait savoir jeudi à Élisabeth Borne.
Ce qui est sûr, c'est que s'il a lieu, le vote de mardi à l'Assemblée nationale dépendra d'une poignée de voix. Celui du 11 décembre s'est joué à deux voix près. Les macronistes échafaudent déjà leur riposte en cas d'échec. « Gérald Darmanin pourra dire "je constate que le Parlement ne veut pas réguler l'immigration", et basta », glisse un député de l'aile droite de Renaissance. Mais les choses seront-elles si simples ? Que se passerait-il dans ce cas précis pour Élisabeth Borne ? Depuis Bruxelles, Emmanuel Macron a affirmé vendredi qu'il tirerait « les conséquences » de cette séquence. Une formule assez elliptique pour pouvoir tout et rien dire.