LA TRIBUNE DIMANCHE - Avec la crise politique ouverte par le rejet du projet de loi immigration, diriez-vous que nous sommes à un moment de bascule du quinquennat Macron?
BORIS VALLAUD - La crise politique n'est pas dans le fait que le texte ait été rejeté. Au fond, ce sont les contingences de la vie parlementaire, a fortiori lorsqu'il y a une majorité relative. En réalité, la crise politique naît maintenant dans le refus obstiné du gouvernement de retirer un texte rejeté et dans le maintien d'un ministre de l'Intérieur qui a échoué. Dans n'importe quelle autre démocratie, ça se serait passé autrement. La crise politique vient aussi du fait que nous sommes en train de toucher du doigt dans cette compromission la fin du « en même temps », de révéler une forme d'illusion. Emmanuel Macron ne conduit plus ses réformes, il finit par les subir. Il n'est plus maître de rien, ni du jeu ni des horloges. Aujourd'hui, le gouvernement ne demande même plus aux Républicains de voter sa loi, ce sont Les Républicains qui demandent à la majorité de voter la leur. C'est la fin du macronisme, le début d'une cohabitation d'Emmanuel Macron avec la droite ciottiste.
Que dites-vous à l'aile gauche de la Macronie, qui vit aujourd'hui un moment difficile ?
J'appelle tous les humanistes de la Macronie à la raison et à la cohérence. Je sais qu'il en reste. Ils peuvent encore refuser l'accord écrit dans le dos même de la commission mixte paritaire [CMP], au mépris de la séparation des pouvoirs, dans le bureau de la Première ministre sous la dictée de la droite. Aujourd'hui, la majorité a la possibilité d'en rester là, sur un texte qui ne satisfait personne. J'ai parfois le sentiment que le macronisme manque de macronistes, il y a une sorte de perte de foi. À ceux qui sont des humanistes, qui parfois se revendiquent d'un héritage de gauche, je veux leur poser cette question : pensez-vous être fidèle à la promesse formulée en 2017 ? On disait que le macronisme était une décomposition-recomposition ; en réalité, il ne finit pas d'être une décomposition. On est dans ce moment de réveil qui correspond à la perte des illusions pour certains. La majorité doit se ressaisir et ne pas céder aux diktats des Républicains, ne pas servir les idées empruntées à l'extrême droite. Le risque de fracture de la majorité sur le texte est finalement sa seule espérance de dignité.
En votant la motion de rejet de la gauche, c'est un texte encore plus droitisé qui pourrait sortir de la CMP. N'avez-vous pas un regret ?
Cette idée est fausse. La CMP rebat les cartes, tout peut y être proposé et réécrit. La réalité, c'est que la dérive droitière du texte du gouvernement est engagée depuis des mois dans les négociations exclusives entre Gérald Darmanin, Bruno Retailleau et Éric Ciotti. Cela a été poursuivi en choisissant d'introduire le texte au Sénat, dont il connaît parfaitement la composition politique et le programme en matière d'immigration. Dans la multiplicité des concessions et la complicité qu'il a nouée avec la droite sénatoriale, le gouvernement a multiplié des avis de sagesse sur l'aide médicale d'État, sur les conditions de résidence pendant cinq ans pour percevoir les allocations. Et enfin, la faute morale, le vote des sénateurs macronistes en faveur de ce texte honteux du Sénat. À l'Assemblée, après quinze jours de surenchère de la droite, nous aurions eu un texte durci, sans majorité, et nous serions allés en CMP avec la même composition et les mêmes exigences des Républicains.
Mais pas sur les mêmes bases de travail...
Sur exactement les mêmes. Les seuls qui acceptent de durcir le texte, c'est la majorité. Rien ne l'oblige à se jeter dans les bras de la droite qui s'est elle-même jetée dans les bras de l'extrême droite. Alors qu'une commission mixte paritaire se déroule lundi, les discussions se déroulent dans le huis clos du bureau de la Première ministre, au mépris des institutions. Élisabeth Borne est en train de tout lâcher. Ce dont on prend la mesure, c'est que de lignes rouges, ils n'en ont plus aucune. Les seuls responsables d'un texte écrit sous la dictée d'Éric Ciotti, c'est la majorité et le gouvernement.
Que la gauche vote d'une seule voix a-t-il un impact sur la Nupes, en état de mort cérébrale ?
La cause était plus grande que nos bisbilles. Je ne sais pas ce que sera la suite, mais une chose est sûre : l'union de la gauche est indispensable, mais ce ne sera pas un retour à l'état antérieur.