Maintenant, il faut « transformer l'essai ». Qu'ils soient ou non fans de rugby, les députés Les Républicains (LR) filent la métaphore depuis plusieurs jours. Après le coup de poker de la motion de rejet, voulu par Éric Ciotti, président du parti, et par Olivier Marleix, chef du groupe à l'Assemblée nationale, la droite LR est dans une situation paradoxale. Côté cour, elle a l'occasion de faire voter un projet de loi immigration qu'elle aura largement contribué à durcir. L'unique texte qui servira de base de travail à la commission mixte paritaire (CMP) réunie demain sera celui de la majorité sénatoriale, chapeautée par Gérard Larcher, Bruno Retailleau et le centriste Hervé Marseille. Cette version est conforme aux desiderata de la droite ; son adoucissement par la commission des lois du Palais-Bourbon a été balayé. Même les opposants à la motion de rejet - un tiers des députés LR - ont reconnu, une fois n'est pas coutume, qu'Olivier Marleix a fait preuve de sens tactique. « On a évité la fracturation du groupe sur un 49.3 », s'est félicité en privé l'élu d'Eure-et-Loir.
Sauf qu'au théâtre il y a aussi le côté jardin. Selon l'un des parlementaires absents de l'hémicycle lundi - « je m'en prends plein la gueule en circo », regrette-t-il -, l'électorat exige désormais un « point d'atterrissage ». « Si la CMP est conclusive et si l'Assemblée adopte un texte de droite, on aura coché toutes les cases », veut croire le même. On n'y est pas encore. En témoigne le marathon de réunions LR cette semaine : entre ses dirigeants et les centristes d'une part, avec Élisabeth Borne d'autre part. Tous formats confondus, cela en fait une quinzaine. « On sent une volonté de dialogue », se satisfait un proche d'Olivier Marleix. Et pour cause : les compromis, réels ou feints, se préparent minutieusement. Ils sont indispensables pour éviter que les cinq macronistes présents à la CMP fassent capoter les discussions. Et chez LR, dont les 62 députés représentent autant de sensibilités et de sous-chapelles, le moindre geste ouvre une porte puis en ferme une autre.
Pradié en embuscade
Parmi les points sur lesquels la direction se prépare à lâcher du lest, il y a la transformation de l'aide médicale d'État (AME) en aide médicale d'urgence, mais aussi l'interdiction du placement des mineurs non accompagnés dans des centres de rétention administrative, les fameux CRA, et le délai de versement des prestations sociales aux étrangers présents sur le territoire. Quant à l'article 4 bis du projet de loi, celui qui encadre les régularisations dans les secteurs dits « en tension », il devrait également être avalisé par Éric Ciotti malgré son hostilité initiale : le soutien d'Hervé Marseille, proche de Gérard Larcher, est à ce prix. Un terrain d'entente sera recherché aujourd'hui - une ultime réunion est prévue chez la Première ministre - sur le droit du sol, que les LR veulent restreindre.
Ces tractations, le duo Ciotti-Marleix en tient Laurent Wauquiez informé. Mercredi, le candidat virtuel du parti à la prochaine présidentielle a réuni une vingtaine de parlementaires d'Auvergne-Rhône-Alpes. Pour les motiver, mais aussi pour indiquer que la droite devait absolument tirer des gains politiques de la séquence. « On a empêché un mauvais texte ; reste qu'un texte présentable doit être adopté à la fin, avec des mesures dont on a vraiment le sentiment qu'on les doit à LR », décrypte un proche de l'ex-ministre. Un vœu illusoire aux yeux des macronistes, qui s'estiment seuls bénéficiaires possibles de l'adoption d'un texte sorti de CMP, malgré la claque subie en amont.
C'est bien ce que pressent quelqu'un comme Aurélien Pradié. Le député du Lot, déjà adversaire irréductible de la réforme des retraites, se prête au même jeu sur le projet de loi immigration, quitte à passer pour plus exigeant qu'Éric Ciotti. Les deux hommes se détestent cordialement. L'ancien vice-président de LR ne perd pas une occasion de mettre en garde le chef contre d'éventuelles compromissions. Sur la transformation de l'AME, par exemple, qu'Aurélien Pradié juge inamovible. « Les CMP sont là pour finir les virgules, pas pour rediscuter en profondeur des articles de loi », grince-t-il en petit comité. En cas d'accord, le Lotois fera-t-il dérailler la mécanique en convainquant des collègues de rejeter le texte ? « Tout le monde a intérêt à avoir un texte, prévient l'une des membres LR de la CMP. Pour le vote de Pradié, on verra. » Une haie à la fois.