À la roulette, on attend toujours le dernier moment avant de miser sur le rouge ou sur le noir. Le Rassemblement national (RN) donne l'impression d'être dans un scénario analogue concernant le projet de loi immigration. Un coup, Marine Le Pen affirme, le 29 octobre sur France 3, que le RN « peut voter » le texte de Gérald Darmanin, bien qu'il s'agisse d'une « petite loi avec des petites mesures qui améliorent un tout petit peu la situation ». Un autre, le parti invoque l'affadissement de la version du Sénat par la commission des lois de l'Assemblée nationale, puis explique qu'il s'y opposera en séance publique.
Pour les députés nationalistes, le dilemme est de taille. Sur ce thème si structurant, le parti doit-il afficher une forme de sérieux en « enrichissant » un projet de loi supposément laxiste ?
Doit-il, au contraire, jouer l'opposant implacable au même titre que La France insoumise mais pour des raisons totalement inverses ? Peut-il aller jusqu'à voter la motion de rejet préalable qui sera défendue en ouverture des débats, demain, et dont l'adoption signifierait un renvoi immédiat de l'examen du texte à la chambre haute ?
Le groupe parlementaire doit se réunir à 15h30 le jour même pour trancher le sujet. D'ici là, on ferme les écoutilles, car en coulisse les avis sont partagés.
Risque de décalage avec l'opinion publique
Si la motion tombe - cas probable sachant que c'est celle des écolos qui a été tirée au sort, un repoussoir pour les droites - et que le débat court jusqu'à la pause de Noël, le RN agira au fil de l'eau, selon ses intérêts tactiques.
L'équipe d'Edwige Diaz, députée chargée du texte au nom du groupe, adressé une liste des dizaines de dispositions répressives trappées ou allégées en commission des lois. Chacun se prépare à surveiller le « redurcissement » dans l'hémicycle. « À la fin, on va s'abstenir, pressentait récemment un proche de Marine Le Pen. Darmanin va y arriver. » Un tel entre-deux nécessitera son lot d'explications s'il finit par sauver le ministre de l'Intérieur, pour qui chaque voix compte. Surtout si une part des députés Les Républicains (LR), à l'instar de leur chef Olivier Marleix, ne démord pas de son hostilité au projet de loi.
Pour Marine Le Pen et le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, l'option binaire du pour contre présente un avantage - assumer une position claire - et des risques. Un soutien au texte de l'exécutif, même proche de la version sénatoriale, ferait immédiatement l'objet d'un feu nourri de Reconquête, le parti d'Éric Zemmour, qui accuserait son rival de mollesse. A contrario, le rejet en bloc du projet de loi pose un problème semblable à celui de LR: le décalage avec l'opinion publique. Dans un sondage Elabe effectué en novembre pour BFMTV, parmi les Français ayant voté pour Marine Le Pen au premier tour de la dernière présidentielle, 82 % estiment que le texte permettra de mieux lutter contre l'immigration illégale. De quoi inciter à la prudence avant d'abattre son jeu.