
En juin 2022, Marine Le Pen avait été accueillie à l'Élysée par Emmanuel Macron. Cette année, c'est en tant que chef de parti que Jordan Bardella a participé à la rencontre avec le chef de l'État à Saint-Denis. Emmanuel Macron avait appelé le leader d'extrême droite auparavant au téléphone. Mais au sein du Rassemblement National, ces deux têtes d'affiche sont de moins en moins en ligne, notamment sur les questions internationales. « Ces derniers mois, Bardella a essayé de changer les alliances en Italie, préférant Giorgia Meloni, qui est clairement pro-américaine, pro-OTAN, et pro-européenne, à Matteo Salvini, qui est pro-russe et l'allié historique du RN via la Ligue du Nord », analyse un ancien proche de Marine Le Pen.
Bardella multiplie les voyages en Italie
Selon nos informations, Jordan Bardella a ainsi multiplié les voyages en Italie ces derniers mois, en particulier à Rome, où il a pu retrouver ses amis issus du GUD, Frédéric Chatillon et son bras droit Jildaz Mahé O'Chinal, qui a lancé depuis 2015 dans la capitale italienne un lieu de 600 m2 consacré à la gastronomie française non loin du Vatican. Or, historiquement, le GUD a toujours privilégié en Italie les réseaux du Gladio, pro-américains. Et selon un ancien du RN que nous avons interrogé, c'est par l'intermédiaire de Chatillon et Mahé que Jordan Bardella serait entré en contact avec l'entourage de Giorgia Meloni ces derniers mois, au point de rencontrer le ministre de l'Intérieur italien. « Il aurait voulu voir carrément Meloni, mais il a dû se contenter du ministre », ironise notre interlocuteur.
Zelensky applaudi
Une autre source indique que le contact entre l'entourage de Meloni et Jordan Bardella aurait pu se faire par l'intermédiaire de Vincenzo Sofo, l'époux de Marion Maréchal-Le Pen et homme politique d'extrême droite en Italie. Bardella et Maréchal-Le Pen, vice présidente de Reconquête, le mouvement d'Éric Zemmour, se sont d'ailleurs rendus début mai à Budapest lors du rassemblement annuel en Europe de la CPAC (Conservative Political Action Conference), un mouvement américain rassemblement les ultra conservateurs américains, pour la plupart pro Trump.
Ces voyages italiens de Jordan Bardella éclairent sous un jour nouveau son interview de février 2023 dans l'Opinion dans laquelle il déclarait : « Il y a eu une naïveté collective à l'égard des ambitions de Vladimir Poutine ». Et d'expliquer : « Le réel est venu frapper à nos portes et il est clair que le Vladimir Poutine d'il y a cinq ans n'est pas celui qui, cinq ans plus tard, décide d'envahir l'Ukraine et de commettre des crimes de guerre à Odessa ou à Marioupol ». Tout en enfonçant le clou : « On ne peut pas être patriote et souverainiste et être insensible à la violation de la souveraineté d'un Etat européen (...) Il n'y aura pas d'issue à ce conflit sans le retrait des troupes russes et sans le retour à une souveraineté pleine et entière de l'Ukraine ». Plus qu'un mea culpa pour le RN, ces déclarations surprises devaient être analysées comme une véritable divergence de vue sur les questions internationales entre les deux poids lourds du parti d'extrême droite. Quelques jours avant cette interview, Jordan Bardella avait d'ailleurs applaudi debout Volodymyr Zelensky à la fin de son discours devant le Parlement européen.
Marine Le Pen réaffirme son attachement à Matteo Salvini
Cet activisme international et italien de Jordan Bardella a poussé Marine Le Pen à réagir publiquement. Si ses paroles n'ont été guère relayées en France, la leader d'extrême droite avait choisi en avril dernier le très sérieux quotidien italien La Repubblica pour « corriger le tir » dans le cadre d'une interview, et réaffirmer son attachement à l'alliance du RN avec Matteo Salvini, le patron de la Ligue du Nord. Dans cette interview, elle avait tenu à expliquer que, concernant la Chine, la France pouvait incarner seule une voie médiane face à Xi Jinping car « la France est la seule puissance nucléaire de l'UE ». Et elle avait réaffirmé son positionnement hostile à l'OTAN et contre l'UE : « Je reste eurosceptique, et chaque jour qui passe, je le suis davantage. Je ne suis pas sceptique à propos de l'Europe, mais sur l'organisation politique de l'UE. De plus, la France a un héritage politique et une indépendance sur le plan international. Meloni est favorable à l'OTAN parce qu'elle est italienne. Il y a des éléments de son projet que je ne partage pas. Politiquement, je me sens plus proche de Matteo Salvini et je n'adapte pas mon discours aux résultats des élections : je suis une personne loyale ». Ce terme loyal visait donc Jordan Bardella et sa tentative en coulisses de renverser la table en Italie.
Ces paroles de Marine le Pen plus d'un an après le début de la guerre en Ukraine sont lourdes de sens. Car depuis 2014, Matteo Salvini a clairement affiché sa proximité avec Vladimir Poutine. En Europe, la Ligue du Nord a été le parti le plus actif dans la contestation des sanctions économiques contre le régime de Moscou depuis l'annexion de la Crimée. Et rappelons que la présidente du groupe RN à l'Assemblée Nationale a été l'une des rares personnalités politiques françaises à s'être entretenue avec le maître du Kremlin en se rendant à Moscou en 2017 lors de la campagne présidentielle. Le RN avait également obtenu en 2014 un prêt auprès d'une banque tchéco-russe, ce que n'avait pas manqué de relever Emmanuel Macron lors du débat télévisé de l'entre-deux tours de la dernière présidentielle. Raison pour laquelle les nationalistes polonais ne veulent pas entendre parler d'une éventuelle alliance avec le RN français. L'Europe des Nations chère à Marine Le Pen n'est pas un chemin facile...
Marc Endeweld.