« La compétition ne me fait pas peur » (Édouard Philippe)

La nomination de Gabriel Attal à Matignon, ce qu’il prépare... L’ancien Premier ministre, bien décidé à être candidat en 2027, se confie.
Ludovic Vigogne
Édouard Philippe, jeudi à la mairie du Havre.
Édouard Philippe, jeudi à la mairie du Havre. (Crédits : © ÉLIOT BLONDET/ABACAPRESS POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

La semaine prochaine, Édouard Philippe débutera une série de déplacements au long cours. Pendant trois jours, il s'installera dans les Pays de la Loire et sillonnera la Mayenne et la Sarthe. La semaine suivante, il en passera quatre à La Réunion. Au début de mars, il rééditera l'exercice dans une autre région... À chaque fois, privilégiant les sous-préfectures, celui qui prépare sa candidature à la présidentielle de 2027 cherchera à prendre le pouls des profondeurs du pays. « On sent que lui voit des électeurs », avait noté à travers ses interventions Jordan Bardella, cet automne, à l'occasion des deux rendez-vous de Saint-Denis, organisées par Emmanuel Macron avec les chefs de parti. Le maire du Havre va continuer à tracer sa route.

Autour de lui, cet hiver, le paysage a pourtant considérablement changé. Emmanuel Macron vient d'opérer un big bang qui l'a forcément impacté. À Matignon, une nouvelle étoile est peut-être née. Au sein de la majorité, l'axe des planètes a évolué. Jusqu'où cela peut-il le menacer, alors qu'il a pour l'instant choisi d'être discret ? « J'ai regardé ce qui s'est passé avec intérêt et une certaine distance. Sans m'énerver, et en sachant que l'essentiel est moins la composition du gouvernement que ce qu'il doit faire, confie Édouard Philippe à La Tribune Dimanche. Ce qui m'intéresse maintenant, c'est que la France avance. J'ai envie que le gouvernement apporte des solutions. Dans toute la mesure où je pourrai le soutenir, je le soutiendrai. Je suis un joueur collectif. »

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À ces grandes manœuvres, il a été peu associé. Le 5 janvier, Emmanuel Macron l'a reçu à l'Élysée dans le cadre de ses consultations en vue du remaniement. Le chef de l'État l'a écouté défendre le maintien d'Élisabeth Borne Rue de Varenne et lui expliquer que son intérêt était d'attendre l'issue des européennes de juin pour changer de locataire. Il ne lui a pas parlé de son envie de faire de Gabriel Attal son nouveau Premier ministre. Puis, en vue de la composition gouvernementale, une liste de noms a été commandée au maire du Havre. Celui-ci l'a élaborée avec Laurent Marcangeli, le patron du groupe Horizons à l'Assemblée. Il y a glissé quelques suggestions au-delà de son parti. C'est à peu près tout.

Édouard Philippe

L'ex président d'Horizons rencontre des militants à la pizzeria La Grande école, au Havre, jeudi. (Crédits : © ÉLIOT BLONDET/ABACAPRESS POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Un mois plus tard, Édouard Philippe le reconnaît. « J'ai trouvé la composition du gouvernement surprenante », affirme-t-il. Il n'a notamment pas compris pourquoi le portefeuille d'Amélie Oudéa-Castéra était étendu des Sports à celui de l'Éducation*. À des proches il a confié douter des capacités de Stéphane Séjourné, le secrétaire général de Renaissance, à occuper le Quai d'Orsay et peu saisir les raisons du choix de Rachida Dati pour la Culture. Le 23 janvier, à l'Élysée, l'ambiance s'en ressent. L'ex-Premier ministre y a été convié à dîner en compagnie de François Bayrou pour préparer les européennes. Au début du repas, l'atmosphère est fraîche. Les deux invités attendent de leur hôte quelques explications. Cette semaine, la liste des ministres délégués et secrétaires d'État ne l'a en revanche pas mis en ébullition comme le chef du MoDem. Le patron d'Horizons considère que, pour son parti, la logique numérique sur laquelle repose la majorité a été respectée. Il y a finalement deux ministres issus de sa formation (et à la tête de secteurs cruciaux) : Christophe Béchu à la Transition écologique et Frédéric Valletoux à la Santé. « Je ne regarde pas l'action du gouvernement seulement par le prisme Horizons. Il n'y a pas que cela dans la vie. Avec François Bayrou, on s'entend bien, mais on est assez différents », argue-t-il.

Si j'avais prononcé un certain nombre des éléments formulés par Gabriel Attal, la majorité de l'époque s'en seraient émus

Édouard Philippe

Ces derniers jours, Édouard Philippe a revu Élisabeth Borne. Quand elle était à Matignon, tout s'est passé parfaitement avec cette polytechnicienne qu'il a toujours trouvée assez drôle. La manière dont Emmanuel Macron s'est séparé d'eux les a-t-il encore un peu plus rapprochés ? « Le pré- sident a peu expliqué pourquoi il avait décidé de changer de Premier ministre, a pointé le Havrais cet hiver. Il l'a peu fait en 2024. Il l'avait d'ailleurs aussi peu fait en 2020. C'est pourtant rarement neutre. » Mais, chez lui, cette séquence a également fait remonter d'autres - meilleurs - souvenirs. « En nommant Gabriel, le président a renoué avec une certaine forme d'audace. Je suis le moins bien placé pour m'en offusquer. Au contraire. J'en ai bénéficié. Gabriel a du talent », dit-il. Avec ce successeur qui a dix-neuf ans de moins que lui, ses rapports ont longtemps été très frais. Depuis mai, tout s'est arrangé. À l'occasion d'un tête-à-tête, ils se sont expliqués. Cela pourra-t-il durer ? Pour lui, ce nouveau Premier ministre change des choses. Gabriel Attal a choisi une ligne à droite, venant sur ses plates-bandes. « C'est un fait que la déclaration de politique générale a traduit une évolution du barycentre politique au sein du bloc central. Si j'avais prononcé un certain nombre des éléments formulés par Gabriel Attal, la majorité de l'époque, peut-être même le président de la République, s'en seraient émus. C'est bien, la poutre travaille encore », fait remarquer Édouard Philippe. Certains, en Macronie, pensent disposer avec le locataire de Matignon de leur futur champion, quand sa popularité à lui s'érode - « Il joue sur son capital Covid, mais quand il arrivera à la présidentielle, il aura fondu », pronostique un ministre. « La compétition ne me fait pas peur. Elle révèle les caractères », rétorque le juppéiste.

Aujourd'hui, le Normand estime qu'ils sont cinq à faire le travail en vue de 2027 : Marine Le Pen, Laurent Wauquiez, David Lisnard, François Ruffin et lui. Il constate à quel point la victoire possible de la leader du Rassemblement national est en train de s'installer partout comme une évidence. Il en ressent déjà la pression. « Tous les jours, je pose l'équation dans ma tête de comment la battre. Et ce n'est pas simple », confessait-il récemment à un proche. Serat-il à la hauteur du rendez-vous ? Saisira-t-il ce que les Français voudront ? Selon lui, dans trois ans, ceux-ci souhaiteront un président « enraciné, grave, qui parle peu mais fait ». Le 17 janvier, il a participé à la réunion des sénateurs Horizons. La veille, à l'Élysée, le chef de l'État a tenu une grande conférence de presse pour annoncer la feuille de route de l'exécutif. Cette grand-messe l'a laissé songeur. Devant ses troupes, Édouard Philippe a jugé qu'elle aurait eu bien davantage sa place lors de la campagne du candidat Macron en 2022.

Édouard Philippe

L'ex président d'Horizons rencontre des militants à la pizzeria La Grande école, au Havre, jeudi. (Crédits : © ÉLIOT BLONDET/ABACAPRESS POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Pour son projet à lui, l'ancien Premier ministre a déjà les idées au clair sur la défense, la santé, l'éducation. Ces prochains mois, il veut approfondir sa réflexion sur la dette, le logement, l'agriculture, la compétitivité (« On ne s'en sortira pas si on n'est pas capables de dégager davantage de prospérité. C'est un grand sujet français », argumente-t-il.) Il commence à percevoir l'idée centrale qui portera son projet. « Je prendrai des risques, promet-il. On ne gagne pas sans. » Le 5 janvier, il en a proposé un au président lors de son entretien avec lui. Édouard Philippe lui a suggéré d'organiser un référendum sur la simplification administrative à la fin de l'année. Il ressent en effet une envie réelle dans le pays d'ouvrir tous les carcans. Emmanuel Macron ne l'a pas suivi. Cela l'a-t-il vraiment surpris ? Depuis bien longtemps, il a compris que le chef de l'État ne le traitait uniquement que quand il le devait et le laissait se faire maltraiter par sa garde rapprochée autant qu'elle le voulait. L'ancien Premier ministre a donc pris son autonomie et vit sa vie. « Édouard a acquis une liberté psychologique par rapport à Emmanuel. Il est passé à autre chose », constate un intime des deux hommes.

« Des risques », le maire du Havre réfléchit à en prendre cet automne. Il y voit un intérêt tactique. D'ici à 2027, le chemin est long. Suivre un scénario trop linéaire et attendu, c'est faire la course trop à vue. Il estime aussi qu'une autre phase du quinquennat débutera alors. Les européennes seront passées par là. Quelles en auront été les conséquences ? Dans quel état en sera sortie la majorité ? Que restera-t-il de LR ? Au sein des Républicains, son ex-parti, Gérard Larcher, le président du Sénat, est désormais son interlocuteur le plus régulier. Ils s'entendent très bien. Ils déjeunent ensemble deux fois par an. Avec les uns, les autres, Édouard Philippe entretient ses relations. Il y a ceux qu'il connaît par cœur. Le 17 janvier, en amont d'un déplacement dans l'Aisne, il a envoyé un message à Xavier Bertrand, dont c'est le fief. « Je n'ai pas prévu de grande déclaration. Je me promène. Je rencontre. Mais si un jour on peut se croiser à Paris, j'en serai très heureux », lui écrit-il. Il y a ceux qu'il découvre. Ces derniers jours, il a déjeuné avec Mathieu Darnaud, sénateur LR de l'Ardèche. Il ne le connaissait pas. Gérard Larcher lui en avait dit le plus grand bien. Il partagera cette impression, découvrant un homme « d'une très grande valeur ». Au cœur de sa stratégie, Édouard Philippe s'est fixé une règle : « Je n'ai aucun adversaire dans le bloc central. Je peux avoir des désaccords avec certains, mais je sais que nous avons vocation à travailler ensemble. »

Édouard a acquis une liberté psychologique par rapport à Emmanuel. Il est passé à autre chose

Un intime

Au sein du camp présidentiel, il voit tous les mois Gérald Darmanin. Ils sont amis. Le ministre de l'Intérieur considère que l'ancien Premier ministre est plutôt à l'heure actuelle le mieux placé pour tenter de succéder à Emmanuel Macron. Il le pousse beaucoup à phosphorer et à écrire son récit avec les Français. En novembre, alors en campagne pour Matignon, Bruno Le Maire l'a appelé pour lui proposer de le voir. Les deux quinquas, qui ne s'apprécient pas particulièrement, décident que ce sera au Havre. Mais la venue du ministre des Finances, à la mi-décembre, a dû être déprogrammée pour des raisons d'agenda. Le 13 janvier, à l'issue de la cérémonie de vœux des militants normands d'Horizons, l'ex-chef de gouvernement a déjeuné avec Sébastien Lecornu, qu'il avait convié pour l'occasion. À son retour, le ministre des Armées rapportera avoir discerné chez son hôte une vraie détermination. En ce moment, c'est le sentiment que s'emploie scrupuleusement à renvoyer Édouard Philippe. Il connaît les questions qui reviennent toujours à son sujet. En a-t-il vraiment envie ? Est-il prêt à tout sacrifier pour une bataille qui exige un engagement entier ?... Récemment encore, un de ses plus proches s'agaçait qu'il laisse tant de messages sans réponses et demeure si réticent à décrocher son téléphone.

C'était la première fois qu'il s'y rendait. Le 5 décembre dernier, le maire du Havre est allé déjeuner avec Nicolas Sarkozy, dans les bureaux de celui-ci, rue de Miromesnil. L'ancien président l'avait croisé lors de la manifestation contre l'antisémitisme, le 12 novembre, à Paris. Il l'avait, dans la foulée, invité. Depuis le 4 juin 2020, quand Édouard Philippe l'avait reçu à sa table à Matignon, ils n'avaient pas eu de tête-à-tête.

Édouard Philippe

Édouard Philippe, jeudi à la mairie du Havre. (Crédits : © ÉLIOT BLONDET/ABACAPRESS POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Ces deux-là ne sont pas vraiment des familiers. Ils ne l'ont jamais été, ne le seront jamais. Leurs agapes se sont néanmoins bien passées. Ils ont longuement évoqué la situation internationale. Ils ont évidemment parlé de la future présidentielle. En la matière, l'ex-chef de l'État a conforté quelques intuitions de l'ancien Premier ministre. Lors de leur conversation, le cadet n'a pas manqué de souligner devant cet aîné à quel point il avait dû résister à Emmanuel Macron et ses affidés quand ils avaient tout fait pour l'empêcher de lancer son parti à l'automne 2021, puis d'avoir des élus aux législatives au printemps suivant. Édouard Philippe est reparti satisfait : il a eu le sentiment que Nicolas Sarkozy l'avait perçu comme un candidat qui se préparait sérieusement pour 2027.

* Nicole Belloubet lui a succédé jeudi au ministère de l'Éducation.

En chiffres

36 % des Français seraient satisfaits si Édouard Philippe était élu président en 2027.

24 500 adhérents sont revendiqués par le parti Horizons

2 ministres (Christophe Béchu et Frédéric Valletoux ) sont issus d'Horizons. Le parti dénombre 29 députés, 10 sénateurs et 2 députés européens.

Ludovic Vigogne
Commentaires 15
à écrit le 11/02/2024 à 20:15
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Avec ces 80km/h il compte quand même pas être élu? En plus d'appartenir à la macronie...

à écrit le 11/02/2024 à 15:03
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Franchement c'est hallucinant ! Atos, j'aimerai dire qu'il s'agit d'un stand up? Atos, comprenez que vous avez devant vous l'exact exemple de ceux qui nous mènent dans le trou ! Trop fort ! Comme castex récemment qui se vantait sur les transpor...

à écrit le 11/02/2024 à 14:39
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Monsieur Philippe était administrateur d'Atos, et quand le vent a tourné, il a démissionné avant que le scandale de la banqueroute l'éclabousse. Mais on ne peut pas dire qu'il ait brillé, il a gagné sa croûte sans trop se fouler, c'est déjà une preuv...

le 11/02/2024 à 20:50
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@Atos le remercie: Rémunération des administrateurs votée en 2018: fixe de 20000€ (annuel) plus 1500€ pour la présence effective à la réunion du conseil plus 1500€ pour la présence effective aux réunions de comité.

à écrit le 11/02/2024 à 14:03
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Il faut en finir avec la France des énarques et des hauts fonctionnaires. Ils ne produisent au fil du temps que des déficits et de l’endettement. Edouard Philippe ne s'est nullement attaqué, en son temps, au millefeuille administratif qui est devenu ...

le 11/02/2024 à 14:15
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le veritable visage se dévoile une election présidentiel n'est pas une competition mais un acte démocratique et celui qui a faute par le passe ou rendu une gestion désastreuse voir des conflit interne au pays il doit accepter d'etre qualifie de néf...

à écrit le 11/02/2024 à 10:56
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La véritable question démocratique en France : à la différence des autres pays de l’ ocde , les politiques français nationaux/ régionaux/ locaux font carrière et cumuls les mandats et les retraites alors qu ailleurs c’ est 1 ou 2 mandats et ils sor...

à écrit le 11/02/2024 à 10:53
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S'il aime la compétition qu'il monte une entreprise. Les présidents sont tous des ratés

à écrit le 11/02/2024 à 10:36
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Nous ne sommes plus en République mais en Enarchie depuis Giscard, avec les résultats brillants que nous vivons misérablement; seul sort du lot François Hollande qui a remis, avec bon sens, le pays à l'heure en restaurant la politique de l'offre; que...

à écrit le 11/02/2024 à 9:12
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On sent bien qu'il ne pense qu'a sa gu.... ce qui donne raison de ne pas l'avoir conservé comme 1er ministre ! ;-)

à écrit le 11/02/2024 à 9:09
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Celui qui fait des allez retour entre le Conseil d'Etat et les boites privés pour mettre en oeuvre ses décisions, et qui émarge a plein de conseils d'administration ! Une belle république bananière organisé par nos élites politiques.

à écrit le 11/02/2024 à 8:41
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Bonjour, la compétence ne lui fais pas peur...MDR, le gas n'as pas fait grand chose pour notre pays, et ils se pointe tout sourire pour l'élection présidentielle... Alors la , ils n'as pas mal ( je garde le reste de cette citation pour moi). Le s...

le 11/02/2024 à 8:58
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a t' il compris qu'il est hors jeu les gilet jaunes tout est sa responsabilite des taxes et 80km h c'est lui le fautif il revient et la france est dans la rue.. ce n'est pas en renvoyant la responsabilite sur les autres qu'il se sort grandit

le 11/02/2024 à 10:43
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COMPETITION et non Compétence le sens n'est pas le même convenez en !

à écrit le 11/02/2024 à 8:30
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Le programme de M.Philippebedt déjà connu à la merge idem à M.Macron. En pire peut être car avoir choisi le maire de Nice comme numéro 2 montre sa méconnaissance des compétences. M. Estrosi premier ministre nous lui rappellerons sa promesse non tenue...

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