« Le phénomène de narcotrafic émerge dans les petites villes françaises » (Jérôme Durain, sénateur PS)

ENTRETIEN - Le sénateur PS et président de la Commission d’enquête sur le narcotrafic, revient sur ce phénomène qui a gagné du terrain partout en France.
(Crédits : © LTD / Stephen Caillet / Panoramic)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Votre commission a auditionné plusieurs associations de maires français. Peut-on considérer que les petites villes françaises ne sont plus épargnées par le narcotrafic ?

JÉRÔME DURAIN - Effectivement, on sent que le trafic a gagné du terrain partout. Je cite souvent l'exemple d'une commune de 1 500 habitants de mon département où un laboratoire d'héroïne a été découvert alors même que le maire n'était pas au courant. Cela prouve que le trafic est partout. On observe que des phénomènes réservés jusque-là à des zones urbaines sensibles, comme la région parisienne ou Marseille, commencent à arriver dans des territoires plus petits. C'est le cas de Verdun, où nous sommes allés avec la commission d'enquête. Les zones urbaines, quelle que soit leur taille, sont des points de rebond pour la drogue. Le trafic de stupéfiants est un phénomène émergent dans les petites villes françaises. Bien souvent, celles qui se situent à proximité des axes de circulation et des frontières sont des zones privilégiées par les trafiquants.

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Les élus locaux sont-ils devenus des cibles ?

Notre rapport décrit une forme de violence décomplexée des trafiquants, dont les codes sont ceux de la confrontation et du business quoi qu'il en coûte. Ils sont prêts à régler leurs comptes de manière violente dans l'espace public, sans considération pour les victimes collatérales, avec le profit comme seule boussole. Ceux qui se mettent en travers de leur chemin peuvent faire l'objet de menaces ou d'agressions. On voit que la Mocro Maffia [nom donné aux organisations mafieuses marocaines implantées en Belgique et aux Pays-Bas] a décidé d'entrer en confrontation avec les pouvoirs publics, en s'en prenant à un ministre par exemple. En France, les cas impliquant des élus locaux existent, car là où il y a du trafic, il y a de la corruption. Cette dernière est une des conditions d'installation du trafic. Pour contourner les barrières légales, il faut des complicités et des collaborations. Mais les élus ne sont pas les cibles prioritaires car ils ne sont pas les plus utiles au trafic, comme peuvent l'être un gardien de prison, un docker ou un policier.

Il faut progresser en matière de coordination entre les services des polices nationale et municipale

Quelles peuvent être les solutions des petites villes pour lutter contre l'implantation du narcotrafic ?

Il faut progresser en matière de coordination entre les services des polices nationale et municipale. Il existe des structures, comme les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, qui permettent cette articulation. C'est important, car lors d'une enquête en cours il peut être utile que le maire n'envoie pas ses policiers municipaux pour éviter de mettre un coup de pied dans la fourmilière et de gêner les enquêteurs, qui ont besoin d'un peu de calme. À l'inverse, après une opération de nettoyage d'un point de deal par les policiers nationaux, il peut être utile que les policiers municipaux viennent patrouiller dans les semaines qui suivent, pour éviter que le point de deal ne se reconstitue. Cela suppose beaucoup de concertation. Ensuite, les maires sont les premiers capteurs de la vie locale. C'est important pour les petites villes de signaler des commerces éphémères ou une société-écran qui peuvent être liés à des trafics. Mais les effets viendront de notre capacité à nous attaquer au haut du spectre. Faute de quoi, on fera du curatif.

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