Le cannabis médical va-t-il fleurir en France ?

Après une expérimentation conduite depuis plus de deux ans, le cannabis thérapeutique pourrait être généralisé dès 2024. Depuis plusieurs années, la trentaine d'acteurs français intervenant sur toute la chaîne de production se préparent à cette entrée dans le droit commun.
(Crédits : DR)

Les médecins vont-ils bientôt pouvoir prescrire du cannabis ? Après des années d'atermoiements, les pouvoirs publics semblent prêts à franchir le pas. Le prochain budget de la Sécurité sociale, examiné au parlement cet automne, devrait acter l'entrée dans le droit commun du cannabis thérapeutique) à la fin de l'expérimentation en cours (qui a été prolongée d'un an), fin mars 2024. Les derniers arbitrages sont attendus ce mois de juillet.

Depuis son lancement, au printemps 2021, 2.600 patients ont été inclus dans la phase d'essai. Elle vise d'une part à « évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis », et d'autre part à « recueillir les premières données françaises sur l'efficacité et la sécurité de son utilisation dans un cadre médical en vue de déterminer si elle pourra, à terme, être généralisée », rappelle l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

Huiles et fleurs séchées

Mais pas question de fournir les participants en joints. Le cannabis médical peut être consommé sous forme de fleurs séchées à vaporiser pour inhalation ou d'huiles à prendre par voie orale. Ces produits contiennent du CBD, du THC, ou les deux.

Cinq indications sont concernées : douleurs neuropathiques réfractaires, symptômes associés aux cancers ou à ses traitements, épilepsie, soins palliatifs et sclérose en plaques. Nicolas Authier, président du comité scientifique temporaire chargé du suivi de l'expérimentation et chef du service de pharmacologie et médecine de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand, observe :

« Pour certains patients, le cannabis médical a permis des améliorations importantes, en particulier sur la douleur et la qualité de vie. Le cannabis médical n'est pas une panacée, mais il peut être une alternative importante lorsque la médecine n'a plus de solution à apporter ».

Autorisée à des fins thérapeutiques dans 22 pays de l'Union européenne, cette plante reste considérée comme un stupéfiant et l'amalgame est fréquent entre les différents usages.

« Le rapport de pharmacovigilance est plutôt rassurant, sans pour l'instant de cas de dépendance ou d'addictions qui figuraient parmi les effets indésirables les plus scrutés. Les posologies sont plus faibles que pour un usage récréatif, le cannabis médical est donc bien moins addictogène », poursuit Nicolas Authier.

À côté de l'expérimentation, deux produits bénéficient d'autorisations de mise sur le marché (AMM) : l'Epidyolex, pour certains types d'épilepsie, et le Sativex (non commercialisé à ce jour) dans le traitement de la sclérose en plaques. Pour les autres médicaments, ce sésame est pour l'instant hors d'atteinte faute de données cliniques suffisantes. Les pouvoirs publics planchent donc sur un statut ad hoc. Les questions du prix et du remboursement de l'Assurance maladie, essentielles pour l'accès des patients, devront également être réglées.

500 millions d'euros de marché potentiel

Frantz Deschamps est président de Santé France Cannabis, l'organisation professionnelle du secteur (qui rassemble une trentaine de membres) :

« La future filière française recouvre chacun des maillons de la chaîne, de la graine au patient. Il y a un réel enjeu de souveraineté à lui faire une place sur le marché, d'autant plus que les acteurs historiques étrangers ont un modèle hybride à la fois pharmaceutique et récréatif, contrairement aux Français dont l'approche est 100% médicale ».

Certains acteurs sont déjà dans les starting-blocks, face à un potentiel de 300.000 patients (en se limitant aux indications de l'expérimentation) et un marché français estimé à environ 500 millions d'euros d'ici 4-5 ans. Isabelle Chanel, directrice du pôle affaires scientifiques et médicales de Boiron, avance :

« Nous fabriquons déjà des médicaments à partir de souches d'origine végétale, plus de 800 plantes figurent dans notre répertoire, dont plusieurs de statut stupéfiant. Et avant 1970, le cannabis sativa et le cannabis indica étaient dans notre nomenclature (l'utilisation a ensuite été interdite ndlr).

Cela a donc immédiatement fait sens de nous impliquer dans l'expérimentation. Nous attendons désormais la réglementation et le cadre légal pour monter une stratégie adaptée ».

Innover pour exister

À l'échelle mondiale, les leaders du secteur (États-Unis, Israël, Australie) ont un peu surestimé le marché et doivent ralentir la cadence. Pour s'imposer, la filière française devra donc se différencier.

« Notre savoir-faire agronomique, chimique et pharmaceutique, nous permettra d'innover sur les aspects de phytochimie et de mieux comprendre le rôle des différentes molécules. Les enjeux portent également sur la formulation galénique, aujourd'hui archaïque, nous pouvons améliorer la stabilité du produit et la qualité d'usage », fait valoir Frantz Deschamps.

Sous couvert d'autorisation de recherche, quelques entreprises se sont déjà lancées dans une démarche d'innovation. Hugues Péribère est fondateur et PDG de la pionnière Overseed (Orléans), créée en janvier 2021 :

« Contrairement à l'approche verticalisée de la grande majorité des acteurs, Overseed a été créée pour intervenir en amont de la chaîne de valeur jusqu'au produit fini, en agrégeant les meilleures expertises françaises. La première étape est d'intégrer le futur marché, dans la définition et les spécifications de l'ANSM, avec l'objectif d'être prêts pour la généralisation. Ensuite, nous voulons développer un médicament de spécialité, dans un parcours pharmaceutique avec des études précliniques ».

La biotech est la première à avoir obtenu, l'année de sa création, une autorisation de l'ANSM pour lancer un projet de R&D. Son équipe scientifique rassemble trois ingénieurs agronomes, un docteur en écophysiologie (discipline entre la biologie des organismes et l'écologie) et une docteure en chimie analytique, en collaboration avec l'université d'Orléans.

Après une mise en route financée notamment grâce au soutien de Business Angels et de la BPI, la jeune pousse a récolté 1,2 million avec la pré-série A lancée au premier trimestre 2023.

« Nous sommes en train de finaliser la stratégie d'Overseed sur le développement d'un médicament, que nous présenterons dans les prochaines semaines à des fonds d'investissement pour passer à l'étape suivante », ajoute Hugues Péribère.

Après la fin de l'expérimentation sur le cannabis médical, une période transitoire pourrait être instituée, le temps de régler les derniers détails techniques et réglementaires. Et alors que l'arrêté encadrant la culture est en cours de finalisation, les futurs patients devront peut-être encore patienter avant de tous accéder à des traitements à base de cannabis 100% français.

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Commentaires 5
à écrit le 22/07/2023 à 17:13
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Bonjour, Non merci , les drogues douces, le cannabis en particulier fait des ravages dans nos sociétés... Alors imaginez que cela soit légalisé... D'ailleurs, allée voir a paris les dégâts occasionnés au individus prêt des zone de choot légalisé....

le 22/07/2023 à 19:46
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"Alors imaginez que cela soit légalisé..." Pas besoin d'imaginer, aucun pays qui l'a légalisé n'a connu d'augmentation de la consommation et la Suisse qui elle a tout légalisé arrive enfin à maîtriser le nombre des véritables junkies. Le bilan est po...

le 22/07/2023 à 19:53
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Où avez-vous lu légaliser ? Une molécule accessible que sur ordonnance, quand y a pas d'autre alternative (en dernier recours), ça serait dérangeant si ça peut apaiser certaines douleurs chroniques, etc ? Vous n'irez pas (si vous habitez en France) a...

à écrit le 22/07/2023 à 10:30
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En tout cas ce serait bien que cette plante, sous forme de CBD ou médicale, soit cultivée en France au moins. 30ù de consommation de GES en plus ! Pourquoi la faire pousser ailleurs !?

à écrit le 21/07/2023 à 18:32
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"...d'autant plus que les acteurs historiques étrangers ont un modèle hybride à la fois pharmaceutique et récréatif, contrairement aux Français dont l'approche est 100% médicale" Toujours en retard d'une ou deux guerres. De quel droit l'état jacobi...

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