Nicolas Sarkozy date la bascule à l'automne 2009. « Si j'avais eu besoin que l'on me rappelle que je venais d'entamer la deuxième moitié de mon quinquennat, la multiplication des polémiques sur tant de sujets périphériques aurait pu me servir de sonnerie d'alarme. J'étais en quelque sorte passé dans la "phase descendante" de mon mandat. Nous n'étions pas encore à la prochaine élection, mais l'objectif devenait visible. On ne touchait pas encore au but, mais on pouvait l'apercevoir. Cela attisait les tensions, excitait les acteurs qui se sentaient pousser des ailes, et bien sûr aiguisait les appétits », écrit-il dans Le Temps des combats (Fayard), relatant la période qui s'ouvrait deux ans et demi à peine après son installation à l'Élysée.
Pour Emmanuel Macron, la culbute aura-t-elle lieu, comme pour son prédécesseur, à l'automne prochain ? Dans tous les cas, 2024 sera une année charnière pour lui. Elle sera jalonnée de moments si symboliques qu'ils ne pourront manquer d'avoir sur lui des répercussions politiques. S'ils sont des réussites, le chef de l'État abordera la dernière partie de sa décennie élyséenne avec de l'oxygène et une marge de manœuvre suffisante pour réformer. S'ils connaissent des ratés, sa fin de règne sera sombre.
« L'esprit français »
En 2024, la France sera comme rarement sous les regards du monde. Les 5, 6 et 7 juin auront lieu en Normandie et en Bretagne les cérémonies pour le 80e anniversaire du Débarquement présidées par le chef de l'État. Nombre de ses homologues étrangers feront le déplacement - cela devrait être l'occasion d'une visite d'État de Joe Biden. Sur le plan mémoriel, l'année s'ouvrira avec la panthéonisation par le président du résistant Missak Manouchian le 24 février. L'Élysée a également décidé de rendre hommage en juillet à Georges Mandel.
Du 26 juillet au 11 août, ce seront les Jeux olympiques. Quatre milliards de téléspectateurs devraient suivre la cérémonie d'ouverture de trois heures, le long de la Seine, qui mettra en valeur toute la culture du pays - « le plus grand événement des cent dernières années », s'emballe-t-on à l'Élysée. À l'automne, la réouverture de Notre-Dame connaîtra elle aussi un écho mondial. Le pape y sera invité.
Pour le chef de l'État, chacun de ces rendez-vous sera l'occasion de réaffirmer le rôle et l'influence de la France au niveau mondial, hier comme aujourd'hui, et de mettre en avant l'« esprit français ». Le message aura une double vocation. Sur le plan extérieur, il doit permettre de renforcer diplomatiquement le rôle du pays et de faire rayonner économiquement la « marque France » afin d'attirer de nouveaux investisseurs. Dans ce contexte, la traditionnelle réunion Choose France, organisée chaque année à Versailles avec les plus grands PDG de la planète, prendra en mars une dimension supplémentaire. Dans cette logique de soft power, une campagne d'affichage avec une série de personnalités (Kylian Mbappé, Victor Wembanyama, Thomas Pesquet...) et un slogan (« Make it iconic ») vient de démarrer dans les aéroports du monde entier et la presse internationale.
À l'échelle intérieure, Emmanuel Macron aura un autre objectif : développer chez ses concitoyens la « fierté d'être français » à l'heure où le pays accueillera tant d'événements si prestigieux. C'est déjà ce qu'il disait dans L'Équipe à l'occasion du début de la Coupe du monde de rugby en septembre : « Une année de fierté française. » Peut-il parvenir à susciter un tel sentiment ?
« Emmanuel Macron a montré qu'il était très à l'aise dans le registre com- mémoratif et mémoriel. Mais pour que ça fonctionne, il ne faut pas que cela se limite à un discours comme il en fait beaucoup. Il faut des initiatives parallèles, par exemple sur le plan diplomatique », préconise Gaspard Gantzer, ancien conseiller en communication de François Hollande, fort de son expérience de 2014 : en marge des cérémonies autour du 70e anniversaire du Débarquement, le président d'alors avait, avec Merkel, réuni Poutine et son homologue ukrainien de l'époque pour calmer les tensions entre les deux pays, créant ainsi le « format Normandie ». « Si tous ces événements sont fédératifs, ils ne font pas gagner des points, ajoute Franck Louvrier, ex-conseiller en communication de Nicolas Sarkozy. Les Français considèrent qu'ils font partie du job du président. Même si celui-ci est très mobilisé par eux, il ne doit pas oublier le quotidien. C'est toujours là-dessus qu'il sera jugé. » À l'Élysée, on en est conscient. C'est notamment sur l'école et l'écologie que l'on veut montrer la permanence de l'action présidentielle.
L'enjeu sera crucial
Au milieu de tout cela se glissera en effet une autre date déterminante pour Emmanuel Macron. Le 9 juin se tiendront les élections européennes. L'enjeu sera crucial pour la suite de son mandat. Ce sera le seul scrutin national de son quinquennat. Il jouera le rôle de midterms. Pour la liste macroniste, l'important ne sera pas de participer, mais de décrocher le meilleur score possible. Dans les sondages, celle-ci est aujourd'hui en perte de vitesse et très largement distancée par celle du Rassemblement national. Le calendrier sera-t-il un coup de pouce opportun ? Les jours précédant le scrutin, le chef de l'État sera omniprésent, en majesté, entouré des grands de ce monde lors des cérémonies du Débarquement. Ce sera une tribune de choix pour délivrer son discours très européen et une occasion de faire campagne sans le dire, alors que les votes se cristallisent toujours très tard lors de ces élections. En 2009, la diffusion quarante-huit heures avant le scrutin, du film Home de Yann Arthus-Bertrand, alertant sur l'état de la planète, avait boosté le score de la liste Europe Écologie-Les Verts (16,3 %).
« La clé du mandat se joue entre les européennes et les JO, en déduit un proche du président. Si on obtient un bon score aux européennes, cela prouvera la force de la majorité et restera comme une victoire politique. Si les JO se passent bien, il y aura une sorte de fierté associée au pouvoir. Le but est de réussir ce moment-là. Si c'est le cas, on aura le vent dans le dos. Et Emmanuel Macron [qui ne pourra pas se représenter en 2027] ne sera plus un sujet de la vie politique. Il sera en surplomb. » Et fera ainsi mentir Nicolas Sarkozy ?