Après le conseil européen, le ver est dans le fruit

Ils ont quitté Bruxelles droits dans leurs bottes, les « chefs », fiers de rester « unis » face au vilain petit canard britannique. Une vraie démonstration de fermeté, à défaut de force, après la tristesse, tout aussi unanime, suscitée par le désir de divorce britannique. Ils avaient deux messages en gage d'unité. Chacun des deux risque d'être démenti.
Jean-Claude Juncker lors du sommet européen du 28 juin. Quand le président de la Commission remet son sort dans les mains de dirigeants nationaux auxquels il reproche par ailleurs de faire du « Brussels bashing » systématique, le chaos institutionnel menace.

Message numéro 1 : il n'y aura « pas de négociation sans notification ». Pourquoi ? Pour reprendre l'avantage. « L'article 50 a été rédigé de façon cruelle. Après deux ans, vous êtes dehors. A partir du moment où vous déclenchez les négociations, vous êtes en position de faiblesse », explique un fonctionnaire haut placé à la Commission. Les Vingt-Sept ont juste rappelé cette réalité politique simple à David Cameron : il est piégé. C'est justice. Que les Britanniques affrontent désormais la réalité, après les assertions délirantes de la campagne ! S'ils veulent, comme même le nationaliste Nigel Farage l'a demandé, garder leur place dans le marché européen, ils seront tout simplement absents de la table des négociations des règles dudit marché. Bienvenue au club des nations mineures, des pays neutres, des non-puissances, de la Suisse ou de la Norvège !

Message numéro 2 : il n'y aura pas de marché unique « à la carte ». En d'autres termes, pour garder ce qui lui tient le plus à cœur - le marché -, le Royaume-Uni devra s'ouvrir aux travailleurs polonais, français, bulgares, etc. On ne transige pas sur les « 4 libertés » (biens, services, capitaux et personnes), autant dire le socle de l'Europe.

L'unité va être mise à l'épreuve

Sur le papier, c'est parfait. L'« acte fondateur » de la « nouvelle Europe » est posé, expliquait ce haut fonctionnaire. Avis aux amateurs de référendum! En pratique, toutefois, les choses s'annoncent un peu différentes. Inévitablement, l'unité des Vingt-Sept va être mise à l'épreuve pour deux raisons.

Dès lors que l'on n'affirme pas que l'accord futur sera « le modèle norvégien ou rien », autrement dit une totale perte de souveraineté assortie du devoir de contribuer au budget, tous les arrangements sur mesure sont imaginables. Cette nébuleuse d'accords possibles va réveiller les divergences d'intérêt entre les Vingt-Sept. L'Allemagne voudra exporter ses machines, l'Europe centrale sa force de travail. Paris, Francfort, Dublin et Amsterdam ont des arrières pensées en matière de services financiers et espèrent récupérer ces activités à haute valeur ajoutée.

Ensuite, cette négociation qui ne commence pas n'est pas de nature à éviter l'épidémie de référenda, alors que dans la plupart des pays d'Europe, les forces anti-européennes ont le vent en poupe. En France, en 2017, la proposition d'un référendum devrait être présente au second tour sous la figure de la présidente du Front National Marine Le Pen. Le syndrome suisse menace. Les Pays-Bas ont déjà voté contre l'accord de libre échange avec l'Ukraine... sans même d'ailleurs que le gouvernement aie son mot à dire.

La position des Pays Bas

Le 29 juin à Bruxelles, leur Premier ministre Mark Rütte n'a pas hésité à aborder ce sujet pourtant dérisoire par rapport à la gravité de la situation. Il a été sans ambiguïté : si l'accord n'est pas modifié, alors son pays ne ratifiera pas. La politique commerciale européenne, commune depuis le début des années 1970, est déjà en train de passer par-dessus bord. A quand un référendum en France sur le TTIP ou en Hongrie sur la politique migratoire ? C'est tout l'appareil institutionnel européen que cette vague de consultation viderait de sa légitimité.

Face à ce risque, la Commission européenne, repoussoir mais aussi cœur du réacteur, est terriblement sur la défensive. Derrière les portes closes du sommet européen, « deux ou trois » chefs d'Etat ont dit leur souhait de remettre en cause ses prérogatives. « Tous les autres ont dit : 'non', ne faites pas cela », rapporte une partie prenante. Et de se justifier : « nous ne sommes pas au service de nous-mêmes ».

« Brussels bashing »

Gouvernements nationaux et institutions européennes ont déjà commencé à se renvoyer la balle, alors que leur coopération est au cœur du système. Quand le président de la Commission remet son sort dans les mains de dirigeants nationaux auxquels il reproche par ailleurs de faire du « Brussels bashing » systématique, le chaos institutionnel menace. Jean-Claude Juncker déplore ouvertement le double jeu sur une foule de sujets : du glyphosate, au TTIP ou au CETA, l'accord de libre échange avec le Canada, critiquant ces politiques dans les médias nationaux... tout en envoyant ses diplomates et ses fonctionnaires à Bruxelles avec l'instruction de les mettre en oeuvre. Aux chefs d'Etat, il n'aurait pas hésité à demander cette semaine : « alors, qu'est ce que je fais ? J'arrête la négociation ? », selon une source haut placée. Mais l'amertume n'est pas une arme de combat. Et l'exécutif européen ne propose rien d'autre que de continuer à faire, de façon plus diligente, ce qu'il a déjà commencé à entreprendre. Si le démontage du projet européen n'a pas encore commencé, mais la paralysie est déjà une réalité.

Les mêmes arguments que ceux employés au Royaume-Uni

A Bruxelles, on nourrit l'espoir que le Royaume-Uni se ravise d'ici quelques mois, voire après les élections allemandes de fin 2017, quand il aura pu concevoir un peu plus concrètement ce qu'il a à perdre. « Chaque jour qui passe, il va perdre en influence », explique une source européenne. C'est vrai. Le commissaire britannique Lord Hill a démissionné. Au Parlement, les rapporteurs britanniques s'apprêtent à se mettre en veilleuse. Mais il est tout aussi probable que l'unité des Vingt-Sept faiblisse au fur et à mesure de campagnes électorales où l'affrontement entre "pro" et "anti" européens ramènera dans le débat les mêmes arguments que ceux employés au Royaume-Uni. Le conflit entre Bruxelles et les capitales ne pourra alors que s'envenimer, au risque de rendre le système ingouvernable ou simplement stérile.

Commentaires 3
à écrit le 30/06/2016 à 22:00
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"Après deux ans vous êtes dehors"... Vous imaginez la tête et la réaction des constructeurs automobiles allemands quand M. JUNCKER leur expliquera que leurs usines au Royaume-Uni seront "dehors" ? Alors qu'elles sont destinées à exporter en Europe de...

à écrit le 30/06/2016 à 18:06
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On voit bien que l'Allemagne qui dicte les politiques économiques aux autres pays européens ça ne fonctionne pas maintenant il n'y en a aucun autre à vouloir le faire, le problème de l'europe n'est pas l'europe ce sont ses décideurs économiques et po...

à écrit le 30/06/2016 à 17:43
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Ce qui est ironique dans cette histoire de brexit, c'est si vous décidez de sortir de l'UE pour fuir l'abomination bureaucratique de Bruxelles, on vous demandera tout de même de passer par une procédure bureaucratique pour valider votre départ. Mais ...

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