Alléger le fardeau réglementaire, réduire les contraintes normatives. Le 16 novembre, le ministre de l'Économie Bruno le Maire et la ministre déléguée aux PME Olivia Grégoire ont lancé à La-Ville-aux-Dames (Indre-et-Loire) leurs « Rencontres de la simplification ». La promesse des locataires de Bercy : « des mesures pour vous simplifier la vie », s'adresse à tous ceux qui, du patronat aux collectivités locales, se déclarent excédés par la normalisation. Vaste chantier ! « Toutes les normes environnementales, européennes, économiques, sociales, les relations avec les administrations, les fournisseurs, les banques et les assurances seront concernées », a prévenu Bruno le Maire. Du bulletin de paie aux formalités douanières, les contributeurs (chefs d'entreprises, collectivités, groupes d'intérêts) ont jusqu'au 29 décembre pour adresser leurs doléances.
Trop de normes, selon Thierry Breton
L'Europe, pointée du doigt pour son hypertrophie réglementaire, est dans le viseur. A tort ou à raison ? « Bien sûr, il y a trop de normes », reconnaît Thierry Breton, commissaire européen pour le marché intérieur. En réunion publique, lors du lancement officieux de la campagne du groupe politique Renew (Renaissance) pour les élections européennes, le 20 novembre à Strasbourg, l'ancien ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie (2005-2007) a enfoncé le clou. « Il est indispensable de simplifier, d'alléger les charges, notamment pour les PME », a-t-il reconnu.
Les propos de Thierry Breton font écho à ceux de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, qui a promis dans son discours sur l'état de l'Union (13 septembre 2023) de réduire de 25 % la charge des PME qui « n'ont pas la capacité d'affronter la complexité administrative ».
Standards and Regulations
« Le danger, ce ne sont pas les réglementations européennes. Le problème, c'est la surtransposition », juge Olivier Peyrat, directeur général de l'Afnor, l'organisme français de normalisation.
« Quand un texte européen est retranscrit dans le droit français, il y a toujours quelqu'un pour augmenter le niveau d'exigences. C'est tout simplement de l'inconscience », fustige-t-il.
La nouvelle approche européenne de normalisation se contente d'indiquer les objectifs à atteindre. La normalisation fixe les modalités. Mais le vocabulaire a son importance. Quand la langue anglaise opère une distinction entre un règlement (Regulation) et une norme (Standard), la langue française tend à confondre les deux. « L'un est obligatoire, l'autre est volontaire », rappelle Olivier Peyrat. « La normalisation volontaire apporte de l'huile dans les rouages du marché unique européen. Elle est aux antipodes de la Ligne Maginot. La nouvelle approche, c'est une pratique intelligente qui allie une législation européenne obligatoire avec une norme volontaire. Les élus ne demandent pas une pause dans la normalisation. Ils demandent une pause réglementaire, c'est différent », estime le directeur de l'Afnor.
Normaliser tous azimuts dans la transition verte, l'industrie et le numérique
Qui contrôle cet ensemble ? A Bruxelles, le Comité européen de normalisation (CEN/CENELEC) exerce une double fonction : ses membres sont des organismes de normalisation et comités électrotechniques nationaux de 34 pays européens (Afnor pour la France, DIN pour l'Allemagne...). Ses normes européennes (EN) sont acceptées et reconnues dans l'ensemble de ces pays. Il est aussi le bras armé de la Commission européenne, en soutien à l'agenda politique du moment. En soixante ans, le CEN/CENELEC a élaboré un portfolio de 24.000 normes harmonisées (normes EN), issues des travaux de 90.000 experts dans des centaines de comités techniques.
Cette année, la Commission européenne a encore accéléré : à Bruxelles, on a défini un programme de travail qui distingue 82 objectifs de normalisation répartis entre transition verte et écologique, la transformation numérique, la résilience des industries, le marché intérieur des produits et des services. « Ces travaux sont essentiels pour avancer collectivement dans l'hydrogène ou dans le management de l'énergie », soutient Cinzia Missiroli, directrice du CEN/CENELEC.
Outil de compétitivité pour l'Allemagne
Certains pays ont adopté une stratégie proactive dans la normalisation. En Allemagne, cette spécialité est promue en tant qu'outil de compétitivité. Dans le microcosme de la normalisation, on se souvient de la bataille franco-allemande au sujet des prises de recharge pour les voitures électriques. Elle s'est soldée en 2014 par une victoire allemande déterminante avec le choix du standard CHAdeMo, au détriment du français Legrand : l'enjeu n'était pas européen, mais mondial, à l'échelle de l'Organisation internationale de normalisation (Iso). « C'est Mennekes, une PME de 600 salariés en Westphalie, qui avait développé ce projet. En participant avec force aux groupes de travail de normalisation internationale, ils ont réussi à imposer leurs concepts », se souvient Torsten Bahke, ancien directeur du DIN, l'institut allemand de normalisation, qui encourage ses membres à se lancer dans les batailles loin de leurs frontières.
Reprendre le contrôle
« Pendant des décennies, l'Europe a été le continent qui donnait le la au sein des organisations mondiales de normalisation », a rappelé Thierry Breton au lancement de sa « nouvelle stratégie en matière de normalisation », en février 2022. « Au tournant du siècle, l'Europe était extrêmement active et faisait entendre sa voix, qu'il s'agisse de l'électronique, des dispositifs médicaux, de l'automobile ou des télécommunications. Mais elle voit sa position contestée par d'autres acteurs », a observé Thierry Breton.
La nouvelle donne ne sera pas seulement offensive. « Aujourd'hui, on essaie de reprendre le contrôle. Désormais, nous serons un continent qui est ouvert mais à nos conditions », a prévenu Thierry Breton. « L'Europe doit maintenir et renforcer son rôle de chef de file. Ne plus être uniquement "standard taker" (preneur de standard) mais aussi avoir pour objectif d'être "standard setter" (créateur de standard), c'est-à-dire de participer activement et faire entendre notre voix dans l'édiction des normes mondiales », insiste Thierry Breton.