C'est le nouveau grand chantier de l'Union européenne en matière de numérique. Thierry Breton s'est livré, ce mardi dans un message sur LinkedIn, à un long plaidoyer visant à réviser très profondément les règles qui régissent le secteur des télécoms sur le Vieux Continent. Il est désormais nécessaire, selon le commissaire européen au marché intérieur, de « redéfinir l'ADN de la réglementation » à laquelle sont soumis les opérateurs.
Après avoir mené une consultation publique sur l'avenir des infrastructures télécoms, la Commission européenne compte accoucher d'« une loi sur les réseaux numériques », a indiqué Thierry Breton. L'objectif final est clair : favoriser l'éclosion d'un vrai « marché unique » sur ce secteur, afin de permettre à ses acteurs de grandir et d'investir beaucoup plus dans les réseaux, présentés comme « un pilier fondamental de la croissance, de l'innovation et de la création d'emplois ».
« Faciliter les opérations transfrontalières »
Thierry Breton fustige, en particulier, la fragmentation du marché des télécoms en Europe. D'après lui, le texte devra « faciliter les opérations transfrontalières et la création de véritables opérateurs d'infrastructures paneuropéens ». Seuls de tels acteurs auraient, d'après le commissaire, « l'envergure nécessaire pour exploiter pleinement le potentiel d'un marché des télécommunications à l'échelle de l'UE ».
Thierry Breton appelle surtout à « aborder la question » des opérations de consolidation au sein de chaque Etat membre. Ce sujet est particulièrement épineux. On ne compte plus les deals bloqués par la Commission européenne dans différents pays. Jusqu'à présent, Bruxelles s'est rangé du côté du consommateur, considérant qu'une réduction du nombre d'opérateurs dans un Etat membre est synonyme d'une moindre concurrence, et donc de hausses des prix des abonnements Internet et de téléphonie mobile. C'est précisément ce qui inquiète la commission en Espagne. Celle-ci doit, en effet, prochainement se prononcer sur le mariage entre Orange et son rival MasMovil.
- Lire aussi : En Espagne, le mariage entre Orange et MasMovil suspendu à la cession d'actifs à la concurrence
En parallèle, Thierry Breton souhaite « adapter le cadre réglementaire » afin de « réduire le coût et les formalités administratives pour un déploiement rapide des technologies ». Sur ce front, la commission promet de s'attaquer à un sujet ultra-sensible : celui de la gestion du spectre utilisé par les opérateurs mobiles pour fournir des services 3G, 4G ou 5G. L'idée est d'harmoniser ces attributions de fréquences, qui appartiennent aux Etats, et de les rendre moins coûteuses pour les opérateurs.
En France, par exemple, les enchères pour les fréquences 5G ont rapporté, fin 2020, près de 2,8 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat. « Il faut avant tout se pencher sur la gestion du spectre, qui a trop longtemps été utilisée par certains gouvernements comme une vache à lait et qui a soustrait des fonds aux investissements », canarde Thierry Breton. Mais les Etats membres seront-ils prêts à renoncer à certaines prérogatives liées aux fréquences, qui rapportent souvent gros ? Rien n'est moins sûr.
« Plus de capitaux » pour les réseaux télécoms
Le commissaire au marché intérieur veut également créer les conditions pour que les télécoms attirent « plus de capitaux, et plus de capitaux privés », en « réduisant les obstacles aux investissements ». Thierry Breton ne précise pas, ici, comment l'Europe compte s'y prendre. Mais il considère que cette question ne se limite pas aux débats, aujourd'hui électriques, sur la participation des Gafa au financement des réseaux télécoms. « L'enjeu est plus important », ajoute-t-il, soulignant que les fonds alloués au déploiement de la fibre ou de la 5G ne sont pas, aux yeux de Bruxelles, suffisants.
- Lire aussi : Les opérateurs télécoms européens remettent la pression sur Bruxelles pour faire payer les Gafa
Le dernier volet de cette future loi sur les réseaux numériques concerne la sécurisation des réseaux. « Dans le monde actuel, où les tensions géopolitiques augmentent, nous devons assurer le contrôle total de nos processus décisionnels dans les secteurs stratégiques, tels que la connectivité, et éviter toute interférence extérieure nuisible », affirme Thierry Breton. S'il se félicite des « progrès » effectués ces dernières années concernant la sécurisation des réseaux 5G, le commissaire français déplore des « lacunes » persistantes dans différents domaines.
Huawei et ZTE dans le viseur de Bruxelles
Deux dossiers sensibles attendent ici la commission. Le premier concerne les équipementiers télécoms chinois Huawei et ZTE. En juin dernier, Bruxelles a considéré qu'ils constituaient un risque pour la sécurité de l'UE, et a appelé à les exclure des réseaux mobiles. Si la France a déjà pris des mesures pour réduire progressivement l'empreinte de Huawei dans l'Hexagone, ce n'est pas le cas de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Autriche, des Pays-Bas ou encore de la Bulgarie, qui recourent encore beaucoup aux équipements chinois.
Le second dossier qui préoccupe l'UE est la dépendance de l'Europe aux câbles sous-marins américains. Ces derniers sont essentiels au bon fonctionnement d'Internet. Ces dernières années, les Européens se sont convertis de façon massive aux services des géants américains du Net, et leurs données sont largement stockées aux Etats-Unis. Toute coupure de trafic, au niveau des câbles sous-marins transatlantiques, plongerait alors une grande partie de l'écosystème numérique européen dans le noir. En résumé, l'élaboration de cette nouvelle loi sur les télécoms ne sera « pas facile », admet Thierry Breton. Le commissaire se dit toutefois déterminé. « Nous n'hésiterons pas à faire ce qu'il faut », insiste-t-il.
Sujets les + commentés