La décision pourrait être historique. Car la Chine représente, à elle seule, près du tiers (30%) des émissions mondiales de gaz à effet de serre - très loin devant les Etats-Unis, qui, s'ils se trouvent en deuxième place, en émettent environ deux fois moins. D'autant que la situation devrait empirer : Pékin prévoit d'ouvrir dans les prochaines années de nombreuses centrales à charbon, afin d'augmenter de 25% la capacité de production du pays.
Pourtant, cette nouvelle annonce témoigne, encore une fois, de sa volonté de se poser en leader planétaire sur la question du climat. Après avoir surpris le monde, le 22 septembre dernier, en fixant un objectif fort de neutralité carbone en 2060, le pays qui investit le plus dans les énergies renouvelables entend en effet mettre en musique cette ambition, et a lancé vendredi son propre « marché carbone ». Le but : obliger des entreprises polluantes à réduire leurs émissions, sous peine de subir des pertes économiques.
Si c'est une première pour l'ex-empire du Milieu, l'idée n'est pas nouvelle : la Chine évoquait l'idée d'un marché carbone depuis déjà une décennie. Mais les progrès étaient régulièrement entravés par les industriels du charbon et par des politiques publiques favorisant une croissance rapide au détriment de l'environnement.
Comment fonctionne ce système ?
Le principe est peu ou prou le même que celui du marché européen d'échanges de quotas de CO2 (ETS), qui permet depuis 2005 de donner un coût au carbone, pour inciter l'industrie à en émettre le moins possible. Concrètement, les autorités doivent fixer des plafonds de pollution pour les entreprises, et leur délivrer un certificat pour chaque tonne de CO2 ou équivalent qu'elles peuvent émettre. Si celles-ci ne parviennent pas à respecter ces quotas, elles devront acheter des « droits à polluer » à d'autres sociétés dont l'empreinte carbone est plus faible ou qui ont plus de facilités pour la réduire. Et rendre publiques leurs données en matière de pollution, qui seront vérifiées par des tiers.
Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIA), le système couvrira initialement 2.225 producteurs chinois d'électricité, lesquels génèrent environ un septième des émissions mondiales de carbone dues à la combustion d'énergies fossiles. Ces entreprises sont responsables de 30% des 13,92 milliards de tonnes de gaz à effet de serre émis par les usines du pays en 2019.
La banque américaine Citigroup estime que 800 millions de dollars de « permis de polluer » seront achetés cette année en Chine, puis 25 milliards d'ici à 2030. Le marché carbone chinois devrait alors représenter en valeur commerciale environ un tiers de celui de l'Union européenne (UE), actuellement le plus important. Mais l'agence de presse Chine nouvelle affirme déjà que le nouveau système chinois d'échanges de quotas d'émissions sera « le plus grand du monde » en termes de quantité d'émissions couvertes.
Périmètre limité et prix faible
Cependant, des interrogations subsistent quant à son ampleur et son efficacité. Car à l'origine, le dispositif mis en place par Pékin devait avoir une portée beaucoup plus large, couvrant 70 à 80% des émissions chinoises, dans sept autres secteurs que l'électricité dont l'aviation, la sidérurgie et la pétrochimie. Mais le gouvernement a « revu ses ambitions à la baisse », la croissance économique étant considérée comme prioritaire dans le contexte de la relance post-Covid, a rapporté à l'AFP Lauri Myllyvirta, analyste du Centre de recherche sur l'énergie et l'air pur (CREA).
Et le prix de la pollution devrait être faible : la première transaction fixait ainsi vendredi matin à 52,7 yuans (8 dollars) la tonne de carbone. Selon une récente note de la banque chinoise Citic, le prix moyen ne devrait tourner qu'aux alentours de 4,60 dollars cette année en Chine. Bien moins que les 49,40 dollars dans l'UE, et loin du niveau suffisant pour inciter les industries à se décarboner - d'autant que les permis de polluer seront distribués gratuitement au lieu d'être mis aux enchères. Car selon les économistes Nicholas Stern et Joseph Stiglitz, le prix de la tonne de carbone devra, d'ici à 2030, être compris entre 50 et 100 dollars partout dans le monde pour limiter la hausse des températures à +2°C.
D'autres facteurs pourraient ralentir les progrès, comme le manque de savoir-faire technique ou encore la pression des puissants lobbies du charbon et de l'acier, qui pourrait militer pour des quotas confortables - et donc un prix du carbone avantageux.
Prochaine loi sur le changement climatique
Face à ces critiques, la Chine défend que le marché carbone n'est est qu'à ses balbutiements. Le programme sera étendu aux producteurs de ciment et aux fabricants d'aluminium dès l'année prochaine, a indiqué la semaine dernière Zhang Xiliang, concepteur du nouveau système.
« L'objectif est de couvrir jusqu'à 10.000 émetteurs, responsables d'environ 5 milliards de tonnes de carbone d'émissions supplémentaires par an », a-t-il souligné.
Une nouvelle loi sur le changement climatique est en préparation et pourrait remédier à certaines des lacunes du système actuel, expliquent des écologistes. Ces derniers espèrent que le marché du carbone couvrira à l'avenir davantage d'industries, avec des sanctions plus sévères.
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