
La langue, c'est bien connu, est chose vivante. Les mots ont des vies : certains meurent, d'autres naissent, d'autres encore changent de sens comme les êtres humains peuvent parfois changer de sens, d'autres encore sont à certaines époques dans toutes les bouches, puis passent de mode jusqu'à être oublié. Le mot du moment, celui qui domine notre belle époque, est indubitablement « réformes », au pluriel. Tout le monde en parle, surtout les économistes, les journalistes et les dirigeants politiques, mais il est devenu si populaire qu'il s'est rapidement diffusé dans le reste de la population.
Pourtant, comme souvent avec les mots à la mode, on peine à trouver un sens précis à ce mot. Que sont-ce donc que « ces réformes » ? On les sait éminemment « nécessaires », on peut préciser ce qu'elles concernent, souvent le « marché du travail » ou « les retraites » ou « la fiscalité », mais on est souvent bien en peine de donner un contenu précis et constant. Les « réformes » semblent désigner une entité étrange, incertaine, fuyante et mouvante.
Les deux « réformes »
Aussi pourrait-on presque considérer que la crise grecque qui s'est ouverte avec la victoire de Syriza entre Athènes et les gouvernements de la zone euro n'a tenu qu'à cette question a priori de vocabulaire. Tout le monde, le nouveau gouvernement grec comme les membres de l'Eurogroupe, voulaient faire des « réformes. » L'ennui, c'est que nul n'était d'accord sur ce dont il s'agissait, au fond. En Grèce, les réformes visées étaient le rééquilibrage de l'effort fiscal, la reconstitution du tissu de PME détruit par la crise, la remise sur pied, dans un cadre budgétaire maîtrisé, d'un Etat providence comprimé sévèrement par l'austérité et, pour finir, la fin du clientélisme politique et économique. Ces réformes pouvaient très bien être jugées « structurelles. » Du côté européen, on avait une vision des « réformes » qui consistaient à assainir davantage les comptes publics et sociaux et à améliorer la compétitivité, principalement par une poursuite de l'abaissement du coût du travail.
L'incertitude de l'accord du 20 février
Dès lors, donc, que l'on se contentait d'en demeurer à la volonté de réformes, chacun était d'accord et pouvait se féliciter de cet accord. Mais dès lors qu'il fallait en venir aux détails, autrement dit à donner une définition précise aux « réformes », tout était beaucoup plus difficile, voire impossible car on en revenait à la divergence précitée. C'est tout le drame du fameux accord du 20 février sur lequel Grecs et Européens patinent depuis un mois. Cet accord ne réglait rien quant à cette divergence sémantique. Il se contentait de souligner que « les autorités grecques exprimaient leur engagement à une large et profonde réforme structurelle visant à améliorer durablement les perspectives de croissance et d'emploi. » Tout le monde ne pouvait qu'être d'accord avec une telle affirmation, mais chacun pouvait mettre dans ces réformes ce qu'il voulait. D'autant que l'accord ne ménageait pas les ambiguïtés, donnant raison parfois à la Grèce pour « mettre en place les réformes qui ont longtemps été en suspens pour combattre la corruption et l'évasion fiscale et l'efficacité du secteur public », tout en affirmant ailleurs que la Grèce devait réaliser des réformes « sur la base des accords actuels. »
L'enjeu de la définition
Depuis un mois, donc, chacun va dans le sens de sa propre définition des réformes. Et voilà pourquoi la situation est bloquée. L'enjeu des discussions n'est donc autre que de donner un contenu précis à ce terme de « réformes. » Cet enjeu ne se limite cependant pas à une simple question lexicographique. C'est aussi une importante question politique. Si le contenu du mot « réformes » peut être récupéré par un gouvernement voulant rompre avec l'austérité, alors son sens change et ne peut plus être utilisés pour justifier la politique de compétitivité coût qui reste centrale dans la zone euro. A cela s'ajoute le fait que, et c'est le nœud du drame, les deux parties estiment que les deux définitions des « réformes » s'excluent l'un l'autre. Les Grecs considèrent que les réformes demandées par les Européens replongent le pays dans l'austérité, ce qui rend leurs réformes inutiles. Les Européens jugent que les réformes des Grecs sont coûteuses et inutiles et réduisent l'impact de « leurs » réformes. D'où le refus sec des Européens d'accepter la loi sur l'urgence humanitaire cette semaine, un refus non motivé sur le plan budgétaire, mais qui l'est sur le plan politique.
Les Européens jouent la montre
Dans ce contexte, les Européens, persuadés que les Grecs n'iront pas jusqu'à sortir de l'euro, ont décidé clairement de jouer la montre. Les Grecs ont remis le 23 février, puis le 6 mars, des listes de réformes assez étoffées (comme elles peuvent l'être après quelques semaines de pratique du pouvoir) et conformes dans l'esprit des dirigeants athéniens aux textes du 20 février, puisque visant à améliorer la croissance à long terme et à lutter contre l'évasion fiscale et le clientélisme. Mais l'Eurogroupe a fait mine de rien voir, puisque « ses » réformes n'étaient pas incluses et que les priorités grecques s'opposent dans leur esprit aux leurs. La stratégie européenne a donc consisté à contraindre, par une puissance extérieure - celle de la menace de la faillite et de la crise bancaire - les Grecs a adopté leur propre définition des « réformes. » Le mouvement le plus subtil consistant à reporter sur les Grecs toute la responsabilité de l'échec, précisément grâce au flou du terme « réformes. » D'où les déclarations de Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe, voici deux semaines et de François Hollande, à l'issue du « mini-sommet » du 19 mars, que l'on avait « perdu du temps. » Autrement dit, tant qu'Athènes continuent à présenter de « fausses réformes », on fait comme si la Grèce n'avait rien fait. Et tout le monde veut bien le croire.
Faire accepter par ses adversaires sa définition des réformes
Dans ce contexte, ce « mini-sommet » n'a rien réglé. Alexis Tsipras s'est engagé, selon le communiqué, à « présenter une liste de réformes spécifiques. » Dès lors deux possibilités se présentent à lui : soit il propose des « réformes » conformes à ce qu'entendent les Européens, donc il revient à une forme d'austérité, et il obtient l'argent qui lui évitera la faillite ; soit il revient avec une liste de réformes proches du programme de Syriza et les Européens jugeront encore que la Grèce fait preuve de mauvaise volonté. Toute la stratégie européenne réside dans cette subtilité : il faut contraindre la Grèce à accepter « volontairement » des réformes dont elle ne veut pas. Autrement dit, il faut que le nouveau gouvernement se plie aux volontés européennes, mais en présentant ces mesures comme le fruit de sa propre volonté. Tant que cela n'aura pas eu lieu, la situation de la Grèce restera bloquée.
Ambiguïté maintenue
De fait, ce mini-sommet a maintenu l'ambiguïté. Alexis Tsipras a affirmé que ses partenaires ne veulent pas la réalisation des objectifs de la troïka sous l'ancien gouvernement. Mais ces mêmes partenaires affirment vouloir la réalisation de l'accord du 20 février et, sans doute entendent-ils par-là, la mise en place de réformes « dans le cadre des accords actuels », donc de ceux qu'on appliqué le précédent gouvernement... La confusion est à son comble. Pour le moment, les Grecs peuvent considérer qu'ils gardent la main en maintenant la possibilité de définir leurs propres réformes, donc leur refus de l'austérité réaffirmée par Alexis Tsipras. Mais cette réalité est de plus en plus fictive. Et le temps, on l'a vu, jouent contre eux. Et, l'argent manquant, la stratégie européenne d'imposer leur définition des « réformes » avec la sanction du gouvernement grec, pourrait bien s'imposer. Cette définition n'est finalement rien d'autre que celle que donnait le premier dictionnaire de l'Académie en 1694 : « le rétablissement dans l'ancienne forme. »
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Beaucoup d'eurobéats et de claviéristes du dimanche crachent sur ses articles aujourd'hui, lui étant bien seul dans les grands journaux à rendre une vision objective; mais les mois qui viennent valideront la finesse de ses analyses.
on parle de risque faillite de ce pays mais en fait ne l est il pas?
autant que je me souvienne bien fin fevrier le nouveau gouvernement devait presenter un plan detaille de ses reformes. a ce jour si je suis bien la situation n a pas evolue,parmi tous ses maux bruxelles souffre de sa trop grosse propension a la patience.....
les grecs passent leur temps a expliquer qu'ils ne vont rien faire et repudier la dette sans faillite, et jouent sur les mots entre 2 insultes hitleriennes a l'egard de l'allemagne...
le mot reforme est tres clair pour tt le monde, a chacun de s'y adapter!
cela dit, je partage votre avis ' dans une certaine mesure' dans la mesure ou la france aussi se fout du monde en expliquant qu'elle a fait des reformes, alors qu'elle n'a rien fait, sauf jouer sur la semantique
Faut-il l'écrire noir sur blanc, Mr Godin pour que ce soit clair une bonne fois pour toutes ? Réformes structurelles = casse des acquis sociaux, tout ça parce qu'il faut être "compétitif" ? Et c'est un gouvernement de "gauche" qui va nous y mener !!!
donner comme chez nous une retraite égal aux derniers salaires aux salariés de la fonction public ???
Permettre à la SNCF de conserver des avantages de l'époque du charbon ??
Le problème évoqué est le problème classique du référent : de quoi "x" est-il le nom ?
Question logique et ontologique qui remonte à Gorgias de Leontium... un Grec contemporain de Périclès et de Socrate ! et auquel Platon a consacré l'un de ses plus beaux dialogues.
On notera -à la grande fureur hygiéniste des logiciens et des théologiens de l'économie politique que l'ambigüité ... peut-être heureuse ; et on se souviendra du mot de Talleyrand-Périgord ( probablement le plus grand diplomate que la France ait connu) selon qui -contrairement à la candeur moralisante : en politique, les mots ont été donnés aux hommes...pour dissimuler leurs pensée.
Et certes pas pour dire le vrai car il n'y a pas de vérité en politique ; n'existent que des intérêts particuliers justifiés par la rhétorique et des différends tranchés par la force.
Accordons aux Grecs dans cette affaire, où il en va tout de même de leur existence, le bénéfice de l'intelligence machiavélienne bien comprise...
Si elle sortait maintenant, cela créerai un mouvement de défiance envers l'euro car les marchés anticiperaient une réaction en chaîne alors que l'euro se déprécie fortement vs US $. Personne n'y a intérêt.
Politiquement, chacun sait que la construction européenne est à l'arrêt. Elle a même reculé puisque le mécanisme du QE BCE prévoit une couverture à 80% par les banques centrales nationales et 20% par la BCE, ce qui casse le principe de mutualisation et de solidarité.
En clair, dans les faits il existe déjà 2 zones euro que personne ne veut admettre. Si la Grèce sortait maintenant, cela rendrait cette situation évidente pour tout le monde et précipiterai la désintégration de l'UE.
La monnaie unique telle qu'elle a été adoptée a été un outil politique alors que c'est avant tout un outil économique. Refuser la convergence des politiques budgétaires à l'intérieur d'une même zone monétaire est un non sens.
L'euro était mort né, la politique qui visait à l'époque à gagner du temps a échoué, amenant avec elle l'émergence de populismes de tout poil.
On a essayé de gagner et laisser du temps à l'époque avec les résultats que l'on sait, et ça continue. Un retournement des taux et c'est la fin de l'histoire pour la France.
En ce moment l'AFT emprunte à T% négatifs à court terme rien que pour payer les intérêts portant sur les anciens emprunts (T% plus élevés)
Essayez de faire cela avec votre banquier et vous verrez...
Sans sa dette, la Grèce serait maintenant un pays prospère.
Mais comme ce n'est pas vous, ni moi, ni même n'importe quel autre contribuable européen, au moins, ça a le mérite de non seulement aux Grecs de respirer, mais aussi d'invalider toute démonstration faussée par cette prémisse complètement idiote. Et déjà maintes fois démasquée :)
(Ce qui est regrettable, par ailleurs, c'est l'absence totale d'explication des journaux économiques concernant les obligations, l'argent qui-n'existe-pas-mais-prêté-quand-même, ça permettrait de démantibuler une bonne fois pour toutes ces saillies stupides qui visent systématiquement à comparer la dette d'un pays à un ménage, ou, comme Cahuzac l'a fait dans une célèbre émission de Mots Croisés face à La Méluche, comparer le prêt bancaire à un état à un prêt personnel fait par un ami à un autre).
Avec cette perpétuelle condescendance de ceux qui croient avoir sorti l'argument ultime... Alors qu'il est complètement biaisé - parce que c'est une fausse analogie. Un ami n'est pas une banque et un état n'est pas un ménage.