
Les analystes sont partagés sur le choix que fera jeudi la Banque centrale européenne (BCE) de procéder ou non à une nouvelle hausse des taux, lors de la réunion de son conseil des gouverneurs. En moins d'un an, elle les a augmenté de 425 points de base ! Depuis le 2 août, les taux d'intérêt des opérations principales de refinancement, de la facilité de prêt marginal et de la facilité de dépôt s'établissent respectivement à 4,25 %, 4,50 % et 3,75 %.
« La BCE est sur le fil du rasoir. Je pense qu'elle laissera les taux inchangés, mais je ne serais vraiment pas surpris si elle les augmentait de 25 points de base », résume Steven Barrow, économiste à la Standard Bank.
Baisse de l'inflation sous-jacente
L'arbitrage est délicat pour l'institution monétaire : réduire une inflation qui reste élevée, à 5,3% en août en zone euro — +0,6% par rapport à juillet — et largement supérieure à son taux cible de 2%, ou peser sur les économies des pays membres en rendant le coût du crédit plus élevé ce qui réduit les capacités de dépenses et d'investissement des ménages et des entreprises. Le statu quo peut aussi trouver un argument dans l'évolution du taux de l'inflation sous-jacente (hors prix de l'énergie et de l'alimentaire), qui, à 5,3 %, ralentit par rapport aux 5,5 % de juillet.
Ce n'est pas l'avis de Peter Kazimir, membre du conseil des gouverneurs de la BCE et gouverneur de la banque centrale de Slovaquie. « Mieux vaut prévenir que guérir », affirme-t-il dans un article publié la semaine dernière sur le site de la Banque centrale de Slovaquie. Selon lui, la « solution la plus simple et la plus efficace » est de relever les taux de 25 points de base dès jeudi. « Les marchés reçoivent une indication plus claire sur le taux final probable, et nous avons plus de temps pour évaluer si l'inflation est sur une trajectoire descendante durable vers notre objectif », fait-il valoir.
Les estimations de croissance de la zone euro révisées à la baisse
Ce sont précisément les prévisions économiques que la BCE dévoilera jeudi qui pèseront dans la balance. Lundi, la Commission européenne a publié les siennes. Elle a révisé à la baisse de 0,2 point son estimation de l'inflation pour cette année en zone euro à 5,6% mais l'a augmenté de 0,1 point, à 2,9% en 2024. Elle a également abaissé, de 0,3 point, son estimation de la croissance de la zone euro, à 0,8% en 2023, et à 1,3% en 2024, notamment en raison de son estimation du PIB de l'Allemagne, première économie de la zone euro, qui devrait se contracter de 0,4% cette année avant de croître à nouveau, de 1,1% en 2024.
L'industrie outre-Rhin souffre du prix de l'énergie, depuis la fin de son accès au gaz russe, imposé par la guerre déclenchée par Moscou en Ukraine, et de la baisse de ses exportations, l'un de ses points forts. Néanmoins, le moral des investisseurs en Allemagne pour les six prochains mois s'est encore amélioré en septembre, après une hausse en août. Cet indicateur de référence du climat économique a gagné 0,9 point sur un mois tout en restant en territoire négatif, à -11,4 points, a indiqué l'institut de recherche économique ZEW dans un communiqué publié ce mardi. Mais de toutes ces données ne ressort pas pour l'économie de la zone euro une franche direction.
« La probabilité que le BCE actionne une nouvelle hausse de ses taux directeurs est relativement forte, malgré l'extrême détérioration des données conjoncturelles en zone euro, particulièrement en Allemagne. Sauf réelle surprise, l'inflation encore trop élevée, la remontée des cours du pétrole et la faiblesse de l'euro devraient, en effet, l'inciter à relever son taux directeur d'un nouveau quart de point, à 4,50 %, quand bien même, les chances semblent non négligeables que Christine Lagarde assortisse cette décision d'un communiqué moins faucon qu'en juillet, susceptible d'ouvrir la voie à une possible pause en octobre », commente pour sa part l'économiste Véronique Riches-Flores.
L'envol du prix du baril de pétrole
Le prix du pétrole pourrait en effet redevenir l'éléphant dans la pièce. Le prix du baril de Brent évoluait mardi au-dessus des 92 dollars, gagnant près de 8% en un mois. « Si les prix du pétrole restent à leurs niveaux actuels pendant une période prolongée, ils sont à la fois inflationnistes et contraignants pour la croissance. Cela mettrait à mal le consensus sur l'atterrissage en douceur aux États-Unis, exacerberait la stagflation en Europe et mettrait brusquement fin à l'assouplissement monétaire dans les pays émergents », soulignent de leur côté les experts de Muzinich & Co.
La BCE devrait également scruter le marché du travail de la zone euro qui continue à bien résister. Le nombre de personnes employées au deuxième trimestre s'élevait à 168,46 millions, en légère hausse par rapport aux 168,16 millions du premier trimestre, selon les données de la BCE. Par ailleurs, le taux du chômage s'affichait en août à 6,4% comme en juillet, soit son niveau historiquement le plus bas.
Ce qui plaide en faveur d'un relèvement. « Depuis le début du cycle de resserrement en cours, la BCE a fait valoir que le risque de sous-réagir était plus élevé que le risque d'en faire trop. Ce principe devrait rester d'actualité lors de la réunion de jeudi. Mais si la BCE ne relève pas ses taux cette semaine, la probabilité qu'elle le fasse ultérieurement devrait diminuer dans les mois à venir », considère de son côté César Perez Ruiz, responsable des investissements chez Pictet Wealth Management.
Une dernière hausse avant la pause définitive?
Un avis partagé par Alexandre Baradez, responsable de l'analyse marchés chez IG France, qui estime probable cette hausse des taux « même si l'on sent dans les derniers discours des membres de la BCE qu'on approche du pic ». Selon lui, « le scénario d'une dernière hausse avant une pause définitive pourrait être le bon ». Réponse ce jeudi, avec les explications de la présidente, Christine Lagarde.
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