Lithium : en quête de souveraineté, l'Europe multiplie les projets miniers pour sécuriser son approvisionnement

Le cours du lithium a flambé en 2021. Stratégique pour la transition énergétique (batteries pour les véhicules électriques et éoliennes) et la numérisation de l'activité économique, le marché de ce métal reste dominé par la Chine. Plusieurs projets de mines et de raffineries sont en cours dans nombre de pays européens. L'enjeu n'est pas seulement de sécuriser les ressources mais aussi l'avenir industriel du continent, à condition de convaincre les citoyens en matière d'impact environnemental. L'ancien président de France Industrie, Philippe Varin, remet ce lundi 10 janvier à Bercy son rapport sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie en matières premières minérales. Le gouvernement lancera ensuite l'appel à projets, dans le cadre du plan d'investissement France 2030, ciblé sur les métaux critiques à destination des filières industrielles.
Robert Jules
Manifestations en Serbie contre le projet d'exploitation d'une mine de lithium par la compagnie Rio Tinto.
Manifestations en Serbie contre le projet d'exploitation d'une mine de lithium par la compagnie Rio Tinto. (Crédits : Reuters)

Ce lundi 10 janvier, à Bercy, l'ancien président de France Industrie, Philippe Varin, remettra son rapport sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie en matières premières minérales, et dans la foulée sera lancé par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, et Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'Industrie, l'appel à projets, dans le cadre du plan d'investissement France 2030, ciblé sur les métaux critiques à destination des filières industrielles.

Le retard de la France

Car la France est en retard sur le sujet. "Ne rien s'interdire", répondait sur BFM le mois dernier Barbara Pompili, questionnée sur la possibilité d'ouvrir en France l'exploitation minière pour extraire du lithium. Ce changement de ton, qui plus est de la représentante de l'écologie politique au gouvernement, s'explique par la nécessité de réduire au maximum la dépendance à une offre mondiale dominée par la Chine, le Chili et l'Australie alors même que la demande de ce métal explose - l'Agence internationale de l'énergie (AIE) anticipe que la demande va bondir de 42% d'ici 2040 -, tant il est devenu stratégique pour la transition énergétique (batteries pour les véhicules électriques et éoliennes) et la numérisation de l'activité économique.

> Lire notre dossier spécial : Les métaux critiques, le nerf de la guerre de la transition énergétique

Une situation qui se reflète dans ses cours. Sur le marché chinois, le prix de la tonne de lithium a bondi de 498% en 2021 (voir graphique). Pour les industriels, notamment européens, qui ont besoin du métal, l'urgence est de sécuriser les approvisionnements. Plusieurs projets sont en cours, certains attendant le feu vert des autorités locales qui doivent statuer sur les conséquences environnementales de l'exploitation.

Prix de la tonne de carbonate de lithium en yuans par tonne

lithium

Le dernier en date est celui du géant minier australo-britannique Rio Tinto en Serbie. Le gisement se situe près de la ville de Loznica, dans l'ouest du pays. Le montant de l'investissement s'élève à 2,4 milliards de dollars, et la production est prévue de débuter en 2026. A plein régime, elle s'élèvera à partir de 2029 à 58.000 tonnes de carbonate de lithium par an. Mais le projet a provoqué d'importantes manifestations à travers le pays ces dernières semaines qui le rejettent pour les nuisances environnementales qu'il créerait.

Le Portugal, terre d'élection du lithium

L'autre terre d'élection du lithium se situe à l'extrême sud du continent, au Portugal. La société britannique Savannah Resources y a découvert à quelque 150 km au nord-est de la ville de Porto "le plus important gisement de lithium d'Europe de l'ouest", selon le groupe minier qui estime l'investissement à 110 millions d'euros. Les réserves minières de ce projet, nommé Mina do Barroso, sont évaluées à 27 millions de tonnes.

"Si les autorisations des régulateurs suivent leur cours normal, Savannah pourra commencer à produire en l'espace de deux ans", expliquait à la fin du mois dernier David Archer, son directeur, lors d'une visioconférence à laquelle assistait l'AFP.

Pour limiter les conséquences environnementales de l'exploitation, ce dernier assurait avoir "prévu 238 mesures destinées à éliminer ou mitiger les impacts tout au long de la durée du projet, qui coûteront environ 15 millions d'euros." Dans ce cas aussi, il faudra convaincre la population locale qui ne voit pas d'un très bon œil cette future exploitation. Savannah assure qu'elle pourrait fournir sur dix ans le lithium nécessaire à la production de plus de 500.000 voitures électriques par an.

 Le projet a d'autant plus de sens que le minerai pourrait être raffiné localement pour être transformé en métal, une activité dominée par la Chine qui compte 60% des capacités mondiales de raffinage du lithium. En effet, à la mi-décembre, le groupe pétrolier portugais Galp Energia et le constructeur de batteries suédois Northvolt ont signé un accord de partenariat pour construire un site de raffinerie en investissant 700 millions d'euros, qui pourra fournir dès 2026 35.000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an, un volume qui permet de produire les batteries pour 700.000 véhicules.

Un autre projet d'extraction et de raffinage est mené par une autre entreprise portugaise Lusorecursos qui exploite déjà une mine de lithium dans le nord du pays. Elle n'en est pour le moment qu'au stade de l'étude d'impact environnemental.

Investir dans l'innovation

Parallèlement à l'extraction, l'innovation dans la filière est également nécessaire. Ainsi, la semaine dernière, l'entreprise portugaise Bondalti, filiale pour l'industrie chimique du groupe Mello, a annoncé s'être associée à des sociétés australiennes pour tester une nouvelle technologie de raffinage permettant de traiter le lithium extrait des saumures d'Amérique du sud, et peut-être ensuite celui qui se trouve dans la roche granitique du nord-est du Portugal.

En Allemagne, Vulcan Energy va exploiter une mine de lithium et une raffinerie dans la vallée du Haut-Rhin. Il a mis au point une technique de récupération du lithium et de l'énergie thermique en injectant de la saumure sous terre, un procédé d'extraction qui aurait l'avantage d'être neutre en carbone, puisqu'il n'a pas recours aux énergies fossiles et a besoin de beaucoup moins d'eau.

Les clients se bousculent

La société minière a signé récemment un accord avec le constructeur automobile Stellantis pour lui fournir entre 2026 et 2031 de 81.000 tonnes à 99.000 tonnes d'hydroxyde de lithium pour sa production de batteries pour équiper ses véhicules électriques. Vulcan compte déjà Renault parmi ses clients, à qui il fournit 6.000 à à 17.000 tonnes de lithium par an, ainsi que le groupe belge Umicore, un géant mondial de la technologie des matériaux, à qui il va livrer entre 2025 et 2030 de 28.000 à 42.000 tonnes de lithium pour alimenter la production de cathodes, un élément central des batteries qui seront produites dans une usine en construction en Pologne.

Cette effervescence est aussi présente en Finlande où la société minière Keliber a confirmé son intention de commencer à produire 15.000 tonnes par an d'hydroxyde de lithium de qualité batterie à partir de 625.000 tonnes de roche qu'elle exploitera dans l'ouest du pays d'ici la fin de 2024. En Autriche, European Lithium a un projet de prospection minière dans la région de Carinthie, situé à 270 kilomètres au sud de Vienne. En Espagne, la compagnie minière australienne Infinity Lithium a un projet d'exploitation près de San Jose dans l'Extramadure d'un site qui compte des réserves conséquentes de lithium.

L'enjeu de l'avenir industriel européen

Reste à convaincre les populations locales du bien-fondé de ce développement minier. Mais depuis que la crise sanitaire a montré, en perturbant les chaînes d'approvisionnement, l'étroite dépendance de l'Europe à la fourniture de matières premières et de biens intermédiaires - comme les semi-conducteurs - pour assurer une production, la question de la souveraineté industrielle s'est posée avec acuité. Et ce d'autant plus que la métamorphose en cours de l'appareil de production mondial sous l'effet de la transition énergétique et numérique déplace l'enjeu du simple approvisionnement au futur développement industriel européen face à la Chine et aux Etats-Unis. Comme le résumait, le ministre portugais de l'Environnement et de l'Action climatique, Joao Pedro Matos Fernandes, pour justifier le développement de la filière du lithium : "Ce gouvernement n'a pas un projet de développement minier, mais bien un projet industriel fondé sur nos ressources naturelles". La nuance est importante.

Robert Jules
Commentaires 9
à écrit le 10/01/2022 à 18:27
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La France en retard , ben rien de nouveau. La France n'a rien vu venir , ben rien de nouveau . La France n'a pas anticipé , ben rien de nouveau. La France n'a pas budgetisé , ben rien de nouveau . La France va créer de nouvelles taxes ,ben rien d...

à écrit le 10/01/2022 à 12:41
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Rappel, les bobos, écolos et cocos sont responsables des délocalisions et des retards pris dans les modernisations des industries que nous avons réussi à préserver. Ce ne sont pas les uniques responsables évidement. Mais lors de la délivrances des ...

le 10/01/2022 à 13:19
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S'il n'y avait que l'approvisionnement du Lithium qui pose problèmes.......

à écrit le 10/01/2022 à 10:00
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Toujours dans l'idée que la "politique de l'offre" et son indispensable publicité est l'avenir du genre humain! Et pour cela faire, de l'innovation perpétuelle sans que cela n'apporte le moindre progrès!

à écrit le 10/01/2022 à 9:47
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voir le très bon livre de Pitron sur la nécessité d'ouvrir des mines en Europe. Pas forcément pour devenir indépendant, mais surtout pour mettre les consommateurs devant leurs contradictions : ils veulent préserver la planète, mais délocalise la poll...

le 10/01/2022 à 10:06
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" mettre les consommateurs devant leurs contradictions : ils veulent préserver la planète, mais délocalise la pollution minière." C'est marrant je n'ai aucun souvenir de coup de téléphones à "mes" entreprises afin de les délocaliser après leur avoit ...

à écrit le 10/01/2022 à 9:33
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rien sur le lithium venant dans nos déchets recycler ?

le 10/01/2022 à 9:44
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Très peu rentable de récupérer quelques grammes de lithium impur d'une batterie. Et en plus, il n'y a pas encore de gisement de batteries usagées, alors que c'est le boom pour la fabrication. Il faut donc beaucoup de lithium primaire (issu des mines)...

à écrit le 10/01/2022 à 7:59
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Comme d'habitude nous courrons derrière une des grandes puissances souveraines de ce monde n'ayant plus le moindre neurone à la tête de l'Europe, plus aucune capacité à penser, à créer à inventer, on se fait dépasser et ensuite on se dit ah ben tiens...

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