"Les technologies vertes et numériques dépendent actuellement d'un certain nombre de matières premières critiques. Nous importons du lithium pour les voitures électriques, du platine pour produire de l'hydrogène propre, du silicium pour les panneaux solaires. 98% des éléments de terres rares dont nous avons besoin proviennent d'un seul fournisseur : la Chine. Ce n'est pas durable. Nous devons donc diversifier nos chaînes d'approvisionnement. Et en même temps, nous devons investir dans des technologies circulaires qui réutilisent les ressources au lieu de les extraire en permanence. C'est l'objectif de notre Plan d'action sur les matières premières critiques. C'est pourquoi nous avons proposé de créer une Alliance européenne des matières premières", annonçait en février dernier Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, lors des Journées européennes de l'industrie.
Prise de conscience tardive
Cette prise de conscience européenne est tardive. Mais l'urgence oblige l'UE à agir rapidement si elle ne veut pas rater la vague de la transition énergétique et le nouveau paradigme industriel imposé par la nécessité de réduire au plus vite notre addiction aux énergies fossiles.
Initialement proposé pour favoriser la reprise économique après la crise sanitaire, le plan européen NextGenerationEU doté de 700 milliards d'euros va dans ce sens. Qu'il s'agisse des voitures électriques, de leurs batteries, des éoliennes, des panneaux solaires, l'UE veut combler son retard et développer son autonomie.
Elle paie déjà cher la pénurie de semi-conducteurs, pièces maîtresses de l'électronique dans l'automobile. Et si un plan européen a été proposé par le commissaire Thierry Breton pour doter le Vieux continent de capacités de production, il y encore loin entre les annonces et la réalisation concrète.
En attendant, l'Alliance européenne des matières premières a bien été créée en septembre. Elle a établi un plan qui évalue les besoins. Ceux-ci avaient déjà été répertoriés par les experts d'Eurométaux, l'association européenne qui regroupe à ce jour 61 entreprises du secteur : les besoins en lithium (pour les batteries qui équipent les véhicules électriques) vont devoir augmenter de 488% d'ici à 2050, ceux de graphite de 494%, ceux du cobalt de 460% (voir graphique). Pour subvenir à ces besoins, le plan de l'Alliance propose deux voies : le recyclage et le développement d'un secteur minier.
Constituer un secteur du recyclage performant a un double avantage, réduire les importations et disposer d'un marché local qui rapproche demande et offre. Pour cela, avertissent les acteurs, il faut investir massivement dans l'innovation et soutenir la filière existante.
Opportunité de réindustrialiser
Précisément, à Bruxelles, mais aussi à Paris, cette transition est perçue comme une opportunité de réindustrialiser l'économie et de remonter dans certaines chaînes de valeur, synonymes de création d'emplois à valeur ajoutée et de croissance. Face à l'urgence et à la compétition mondiale, il n'y a pas d'autre choix, car c'est une "condition nécessaire" à la décarbonation du pays, a averti le président Emmanuel Macron. La structuration d'une filière métaux européenne apparaît donc comme un test grandeur nature de l'avenir industriel du Vieux continent.
D'autant que le secteur ne part pas de zéro, notamment pour l'acier. "L'empreinte carbone de la production primaire européenne de métaux est jusqu'à 8 fois inférieure à celle de la production du métal équivalent en Chine. Le secteur a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 61 % depuis 1990. Les producteurs européens produisent également déjà plus de 50 % de leurs métaux de base à partir de sources recyclées, contre 20 % dans le reste du monde", soulignent les experts d'Eurométaux.
Les difficultés des petites entreprises de recyclage
Pour les batteries, l'Union européenne a déjà modifié par exemple sa directive en décembre dernier sur les exigences de recyclage. Cela impose au marché d'évoluer fortement. Sauf que nombre de petites entreprises qui opèrent dans ce secteur du recyclage ont la réputation de rencontrer des difficultés financières et de rentabilité parce qu'elles se heurtent à un marché de grande taille mais diffus.
"Elles sont dans une situation identique à une petite société minière qui serait face à un immense gisement de métaux mais dont la teneur serait très faible. L'exploiter signifie maîtriser de nouvelles technologies hydrométallurgiques réservées en général aux majors minières", explique Didier Julienne.
C'est pourquoi de grands groupes européens forment en ce moment des alliances pour répondre à la taille du marché du recyclage dans le but de cumuler des compétences diverses dans la collecte, la chimie des procédés ou la métallurgie, et de minimiser les coûts. "Il faut attaquer la "mine urbaine" avec des entreprises de la taille d'une mine géante mais diffuse. Leurs usines de recyclage de démonstration seront prêtes dès 2022, ce qui n'est pas trop tard par rapport à un marché du recyclage des batteries automobile qui va réellement émerger dans 5 ans", prévoit l'expert.
A ce jour, des annonces ont été faites, tant à Bruxelles qu'à Paris, dans le cadre du Plan France 2030 mais restent à concrétiser. Une piste déjà évoquée est celle de la nouvelle directive Batteries publiée par Bruxelles en décembre 2020 qui oblige les constructeurs à prévoir dès la conception que 65% des éléments composant la batterie sont recyclables. L'innovation doit aussi favoriser la collecte, autrement dit il faut l'améliorer.
Aujourd'hui, par exemple, à peine 15% des smartphones sont recyclés dans l'UE et les statistiques démontrent qu'un catalyseur automobile sur deux contenant du platine, du palladium ou du rhodium n'est jamais recyclé.
"Ces métaux précieux disparaissent dans la nature, notamment lorsque les véhicules d'occasion sont exportés d'Europe vers des pays qui n'ont pas les infrastructures d'hydrocarbure adaptées", pointe Didier Julienne.
L'autre jambe de la stratégie européenne concerne le secteur minier. Ce dernier a considérablement évolué bien qu'il soit encore vu comme une atteinte à l'environnement et source de nuisances pour les habitants alentour. Or la mine ce n'est plus le cliché de Germinal de Zola.
"Les engins souterrains des mines de Norilsk Nickel au fond de la Sibérie du nord sont tous électriques et fonctionnent depuis longtemps avec des batteries. Tous les groupes miniers internationaux implantent sur leurs sites des centrales d'électricité renouvelable. En Afrique du Sud, Anglo-platinum vise la neutralité carbone en 2040, et il a contracté avec EDF l'alimentation électrique de sa mine de platine de Mogalakwena avec une ferme solaire. En outre, il développe la motorisation hybride électrique et hydrogène pour ses camions qui remontent le minerai de ses sites à ciel ouvert", témoigne Didier Julienne.
Une carte des sites miniers potentiels
Pour sa part, l'Alliance a déjà dressé une carte des sites miniers potentiels (voir graphique) à l'échelle européenne. "Il est probable que l'on connaisse mieux la surface de la lune que le sous-sol européen", ironise un spécialiste du secteur. En France, il n'y a jamais eu de campagne d'exploration moderne. C'est pourquoi une telle exploration est décidée et financée et, selon nos informations, devrait voir le jour dans les prochains mois dans le centre de l'Hexagone, plus précisément dans le Massif Central. "Lorsque l'on cherche on trouve, ainsi Rio Tinto va probablement exploiter une nouvelle mine de lithium de classe mondiale en Serbie", indique Didier Julienne.
C'est pourquoi une telle exploration est décidée et financée et, selon nos informations, devrait voir le jour dans les prochains mois dans le centre de l'Hexagone, plus précisément dans le Massif Central.
Bruxelles envisage également de reconvertir les sites qui exploitent aujourd'hui du charbon en zones de raffinage de minerais (nickel, graphite, lithium et cobalt), pour conserver les emplois, tout en ouvrant de nouveaux sites à l'exploitation.
La France, pays de l'enseignement de la géologie
Reste le problème des ressources humaines. La France a clairement une carte à jouer car elle reste une grande nation européenne de l'enseignement de la géologie et de la recherche.
"Les ingénieurs qui sortent de nos écoles ne trouvent pas d'emplois en France et font le bonheur d'entreprises canadiennes ou australiennes qui achètent leurs compétences pour des mines en Afrique, en Amérique du Sud, au Canada ou en Australie. Il suffit de se promener sur le réseau social Linkedin pour constater le nombre de géologues et d'ingénieurs français formés à Orléans, Nancy, Beauvais, Alès qui travaillent dans le monde entier dans des mines aux capitaux canadiens ou australiens", explique Didier Julienne.
La relance d'un secteur européen des mines et des métaux apparaît finalement comme le projet pilote d'une future réindustrialisation, indispensable pour rester dans la compétition internationale face à la Chine et aux Etats-Unis. L'accès à ces ressources pourrait structurer une filière formant la base d'un renouveau du projet européen. Après tout, l'Union européenne n'est-elle pas née de la communauté du charbon et de l'acier ?
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Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur "la guerre des métaux stratégiques" :
Métaux : la bataille à ne pas perdre pour l'Occident
Les 10 métaux stratégiques pour la transition énergétique
Entretien avec le professeur Philippe Chalmin
2/ Le raffinage, l'arme redoutable de la Chine pour dominer le marché
3/ Les Etats-Unis en quête d'autonomie relance le secteur
4/ L'Europe voit son avenir industriel dans le recyclage et les mines
5/ La France, l'innovation pour combler le retard et limiter les ruptures
- Aéronautique : la filière s'organise face à la flambée du prix des matières premières
- Le grand défi de l'industrialisation des batteries du futur (et sans métaux stratégiques)
6/ Semi-conducteurs : le risque de pénurie des... métaux
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