Métaux stratégiques  : entre Far West et innovation, le chemin de croix des recycleurs nordistes

Dès 2006, Terra Nova a l'intuition de travailler sur le recyclage des terres rares et des métaux stratégiques présents sur les cartes électroniques usagées. Les technologies, rachetées par le repreneur américain après les difficultés de l'entreprise et une bataille juridique, vont être dupliquées dans une première usine outre-Atlantique. Mais elles serviront aussi aux deux cofondateurs nordistes, porteurs de deux projets de recyclage en France, l'un dans le domaine de la santé et l'autre dans celui des batteries.
(Crédits : Weee Metallica)

En 2003, certains ont dû les prendre pour des professeurs Tournesol. Lorsque l'usine Métaleurop Nord qui les emploie ferme brutalement ses portes, Michel Trabuc et Christian Thomas se tournent alors vers un gisement prometteur. Celui des cartes électroniques usagées, cataloguées déchets d'équipement électrique et électronique (DEEE).

Le recyclage des métaux standards et stratégiques qui composent ces pièces n'existe alors quasiment pas à l'échelle européenne. Et la question de la souveraineté d'approvisionnement de cette matière essentielle, aujourd'hui au cœur des réflexions géo-stratégiques, ne se pose pas encore. 15 ans plus tard, au terme d'un parcours semé d'embûches, les deux entrepreneurs sont bien positionnés pour participer à la sécurisation de ces métaux stratégiques par le recyclage défendue par Emmanuel Macron.

Des millions d'investissements et une première usine

A l'époque, ces pionniers ne souffrent d'aucune concurrence tant le recyclage de ces quelques milligrammes par carte s'apparente à un travail de Sisyphe. Le projet interpelle car la technologie demande une recherche immense pour récolter si peu de matière : de 10 à 500 grammes par tonne pour l'or (et encore en fonction des compositions), de 7 à 100 grammes pour 1.000 kilos de matière pour le palladium, l'argent, le cuivre, l'étain ou le tantale, etc.

Leur entreprise Terra Nova devient la première tête de réseau privée sur ce segment du recyclage en France. Elle travaille avec de grands centres de recherche comme le CNRS, le CEA, Polytech Lille ou encore le BRGM. En 2011, une première usine ouvre à Isbergues (Pas-de-Calais), nécessitant environ 20 millions d'euros d'investissement. Elle fonctionne avec le principe de la pyrolyse qui consiste à détruire les plastiques et les résines grâce à une montée en température des matériaux, dans une atmosphère pauvre en oxygène.

Malgré les avancées techniques, la séparation des fibres de verre et des métaux reste difficile. Terra Nova mise alors sur un autre procédé : l'hydrométallurgie. Cette technologie permet notamment, via des solvants spécifiques, de récupérer le cobalt ou le tantale, matériaux présents aujourd'hui dans les batteries, pour lesquels il n'existait pas de solutions à l'époque.

Tous ces développements nécessitent d'énormes budgets d'investissements alors qu'à partir de 2011, les cours des métaux non ferreux se sont effondrés. Placée en redressement judiciaire en 2013, l'entreprise est reprise un an plus tard par le groupe américain MCC Non Ferrous Trading, qui acquiert ainsi 90% du capital de la société en difficultés. 10% des actions sont laissés aux deux cofondateurs. Terra Nova est alors rebaptisée Weee Metallica.

Une vulnérabilité qui ouvre l'appétit des Américains

« MCC Non Ferous Trading reste avant tout un trader, l'entreprise ne possède pas d'organisme de recherche », relativise Christian Thomas. Les cofondateurs de Terra Nova connaissent des déboires juridiques avec le repreneur. « Nous avons apporté une partie du savoir-faire actuel après la reprise de l'usine : ces éléments technologiques supplémentaires ont permis d'augmenter la capacité de production de 50%... sans jamais être rémunérés ».

Weee Metallica avait engagé des poursuites contre le nouveau laboratoire de recherche Terra Nova Développement (TND), que Michel Trabuc et de Christian Thomas ont créé après la cession : le repreneur américain accusait le laboratoire de concurrence déloyale. La justice condamnera TND à verser 3,4 millions d'euros. La décision a été suivie d'une contestation de la valorisation financière de l'entreprise, qui a également été déboutée en Cour d'appel au profit des repreneurs.

Une technologie unique

Fort de l'acquisition à prix réduit à la barre du tribunal de commerce, la maison-mère de Weee Metallica, Igneo Technologies duplique actuellement la technologie de la pyrolyse utilisée à Isbergues (Pas-de-Calais) vers Savannah, Géorgie, au Sud-Est des Etats-Unis.

Moyennant 85 millions de dollars, la construction d'une première usine devrait commencer début d'année prochaine pour une mise en route en janvier 2023. L'objectif affiché pour Igneo Technologies est de construire plusieurs autres usines sur ce modèle aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde.

Le process permettra de chauffer les cartes électroniques à 500 degrés, de détruire les plastiques pour en extraire les verres et les métaux. Les résidus des métaux seront ensuite revendus à neuf fonderies dans le monde (quatre au Japon, trois en Europe, une au Canada et en Corée). Ce sont les seules équipées pour faire fondre cette matière première à 1.100 degrés et la raffiner, ensuite, par électrolyse. Le président d'Igneo Danish Mir estime qu' « aucun autre opérateur de ferraille électronique en Amérique du Nord n'utilise ce type d'approche de traitement », relate le magazine E-Scrap News.

Une renaissance portée par les batteries lithium

Malgré ces batailles juridiques, Terra Nova Développement continue de travailler sur toutes sortes de briques technologiques nécessaires à l'extraction des métaux critiques (tantale, cobalt, nickel, etc.), toujours en collaboration avec les grands laboratoires français.

Deux projets prennent forme. Aux côtés du groupe américain Abbott, un géant de la santé spécialiste de la surveillance et de la prise en charge du diabète, une filière de recyclage des métaux des capteurs de glucose usagés va être mise en place. Ces instruments de mesure sont à changer tous les 14 jours, atterrissant le plus généralement dans les ordures ménagères. Le procédé de recyclage est là encore unique en France. Et le marché, porteur, va bien au-delà des frontières françaises.

Le second projet est baptisé Sanou Koura, signifiant « la renaissance de l'or » en langue bambara, une des langues nationales du Mali. La zone industrielle de Donchery, près de Sedan dans les Ardennes, devrait en effet accueillir un site d'extraction des métaux des cartes électroniques mais également des batteries lithium : l'or, l'argent, le palladium et le cuivre mais aussi d'autres matériaux plus difficiles à valoriser, comme le tantale, l'étain, le cobalt et le nickel. « Soit une gamme aujourd'hui bien plus large que la concurrence », note Christian Thomas.

Pour arriver à ce résultat, plusieurs procédés comme le broyage, la pyrolyse et l'hydrométallurgie seront réunis sur un seul site. L'investissement, appuyé par la SATT de Montpellier (Hérault) et EIT Raw Material, avoisine les 40 millions d'euros. Démarrage de l'activité prévue en 2022.

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Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur "la guerre des métaux stratégiques" :

1/ Un enjeu décisif, édito

Métaux : la bataille à ne pas perdre pour l'Occident

Les 10 métaux stratégiques pour la transition énergétique

Entretien avec le professeur Philippe Chalmin

2/ Le raffinage, l'arme redoutable de la Chine pour dominer le marché

3/ Les Etats-Unis en quête d'autonomie relance le secteur

4/ L'Europe voit son avenir industriel dans le recyclage et les mines

5/ La France, l'innovation pour combler le retard et limiter les ruptures

6/ Semi-conducteurs : le risque de pénurie des... métaux

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