Lors de la présentation des objectifs de son plan France 2030, Emmanuel Macron a mis l'accent sur la nécessité d'innover pour notamment décarboner l'industrie française avec, comme corollaire à cette ambition, la nécessité de disposer d'une chaîne d'approvisionnement en métaux et en terres rares (des matières minérales aux propriétés uniques), qui soit moins dépendante des importations pour fabriquer les batteries des véhicules électriques, les futurs mini-réacteurs nucléaires mais aussi les panneaux solaires ou encore les éoliennes. Des minéraux également essentiels pour des applications industrielles moins connues et toutes aussi innovantes, comme ce marquage anti-vol fabriqué à partir de terres rares par l'entreprise bretonne Olnica.
Des acteurs économiques précurseurs mais peu soutenus
La piste évoquée pour sécuriser ces approvisionnements est celle du recyclage de métaux. Or, si la filière est bien présente, elle doit encore monter en puissance pour atteindre les objectifs fixés par Emmanuel Macron. En 2019, en France, 1,9 million de tonnes de métaux non ferreux (aluminium, cuivre, zinc, etc.) ont été recyclés. En 2020, ce volume est tombé à 1,69 million de tonnes, en raison de la crise du Covid-19 qui a obligé nombre d'entreprises à suspendre l'activité de leurs fours. Si l'on prend l'ensemble de tous les déchets métalliques (incluant les ferrailles), en 2020, 11,2 millions de tonnes ont été recyclées, soit une baisse de 9% par rapport à 2019, selon les chiffres de la Federec.
Paradoxalement, les professionnels de la filière redoutent la volonté de la Commission européenne de restreindre les exportations, particulièrement de ferrailles, au nom de la conservation des ressources et du respect des droits sociaux et environnementaux dans les pays importateurs, notamment en Turquie et en Égypte. En effet, la conservation de cette offre ferait baisser les prix, l'ensemble des capacités européennes de recyclage ne pouvant suffire à absorber la totalité du volume. Cela illustre la nécessité de développer de nouvelles capacités, notamment en commençant à soutenir les nombreuses PME existantes qui travaillent sur ce segment.
Un soutien qui n'a pas toujours été présent : Terra Nova, une entreprise pionnière du recyclage s'était positionnée dès 2006 sur le recyclage de matériaux (palladium, argent, cuivre, étain ou tantale, etc.) contenus dans les cartes électroniques usagées. Malgré le développement de multiples techniques innovantes encore utilisées aujourd'hui (hydrométallurgie, pyrolyse), il fallait encore à l'entreprise en moyenne 1.000 kilos de déchets électroniques pour obtenir 7 à 100 grammes. Les investissements sont énormes à l'époque, le soutien public limité, alors que les cours des métaux non-ferreux plongent. L'entreprise sera rachetée en 2013 à la barre du tribunal de commerce par un acteur minier américain.
Répondre au triptyque compétitivité prix, rendement et pureté
Cette histoire française démontre que si certains matériaux de base comme le cuivre ou précieux comme l'or ou l'argent peuvent se recycler plus ou moins facilement, il n'en est pas de même pour les terres rares ou d'autres petits métaux dont la collecte, le tri et la récupération peuvent s'avérer bien plus coûteux que l'achat auprès des producteurs primaires. Résultat, le taux de recyclage dépasse rarement 15%.
Un autre écueil subsiste : ces métaux critiques recyclés (ou dits "secondaires") doivent traditionnellement être mélangés avec des minerais bruts pour atteindre une qualité satisfaisante. C'est à cette condition qu'ils sont ensuite revendus et exploités par un client tiers. Le ratio est généralement de 2/3 de métaux recyclés pour 1/3 issus d'une extraction primaire. Ce "mix", qui nécessite encore un approvisionnement extérieur, pourrait donc limiter la stratégie française tournée vers le recyclage. Mais une jeune entreprise normande semble faire office d'exemple à suivre pour gagner en souveraineté.
WeeeCycling se targue en effet d'être le seul raffineur au monde à ne travailler qu'à partir des déchets. Elle propose ainsi à la revente ces métaux stratégiques (rhodium, ruthenium, cobalt ou lithium) aux clients finaux sans ajout de minerai brut. En somme, l'entreprise travaille en circuit circulaire à partir de ses fournisseurs de déchets, court-circuitant les mines et les raffineurs primaires. Et tout cela au même degré de pureté et au même prix que ceux extraits du sous-sol.
Car la compétitivité prix, le rendement et la pureté des métaux recyclés constituent le nerf de la guerre pour convertir l'essai du recyclage. La recherche et l'innovation doivent permettre d'améliorer au meilleur prix le taux de récupération (en volume et en qualité), comme l'a souligné Emmanuel Macron.
Un niveau de pureté de 98%
Les débouchés de cette montée en gamme concernent par exemple les batteries pour les voitures électriques. Ainsi, la substitution d'une batterie LFP (lithium, fer, phosphate) à la batterie NCA (nickel, cobalt, aluminium) oblige à recycler davantage de lithium que de nickel, dont le coût du recyclage est aujourd'hui bien moindre que celui du lithium.
Et sur ces segments, certaines entreprises françaises sont déjà en ordre de marche, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes où sont installées Carester et Mecaware. La première est plutôt spécialisée sur les terres rares, la seconde plus spécifiquement sur les métaux critiques. Les deux sont encore en phase de R&D mais viennent de valider des financements conséquents qui devraient les mener prochainement vers l'industrialisation.
Mecaware valorise le CO2 présent dans les fumées déjà rejetées par certaines usines, en le mélangeant à des composés organiques capables de s'associer avec différents métaux contenus dans les broyages des batteries usées, permettant ainsi d'extraire de manière sélective les différents métaux jugés critiques. Ces matières premières stratégiques sont ensuite remises sur le marché avec un niveau de pureté affiché de plus de 98%. L'usine, prévue pour 2024 (et un financement de 50 millions d'euros), sera en capacité de recycler 5.000 tonnes de matériaux critiques (lithium, cobalt, nickel, manganèse et lanthane).
Quant à Carester, elle s'intéresse plus particulièrement au recyclage des aimants permanents, utilisés notamment pour les moteurs des engins de mobilité électrique. Ils sont fabriqués à base de terres rares, en particulier le néodyme et le prazéodyme. L'entreprise a mis au point un procédé de séparation de ces terres, via un processus faisant intervenir différentes étapes de décantation grâce à l'utilisation de solvants permettant de séparer les terres deux à deux. Une usine, prévue pour le troisième trimestre 2022, impliquant un financement de 57 millions d'euros, devrait être capable de produire 320 tonnes de terres rares à partir de 1.000 tonnes d'aimants. Elle pourra compter sur une dotation de 15 millions d'euros, issue du Plan de relance.
Penser l'après métaux stratégiques
Mais dans sa stratégie, Emmanuel Macron a également évoqué la recherche de produits "substituables" via des innovations de rupture. En résumé, il s'agit de penser aussi à des alternatives aux métaux stratégiques et aux terres rares pour produire les composants essentiels à la transition environnementale et à l'industrie de demain.
Et des pépites françaises sont déjà sur les rangs. A Lille, par exemple, la startup Hive Electric développe des batteries à destination des véhicules électriques à base de métal-Ion, un métal plus commun et surtout plus facile à recycler. Ce prototype n'intègre pas de métaux stratégiques. Développé avec un fabricant américain de véhicules, il permet de faire un swap (remplacement) de la batterie en... deux minutes pour une autonomie de 500 kilomètres. Mais faute de moyens financiers pour développer ses capacités de production, et alors que son expertise est déjà sollicitée par des entreprises du monde entier, la startup pourrait délocaliser son activité aux Etats-Unis.
Relancer l'extraction minière, une activité à valeur ajoutée
Outre le recyclage, il y a la production primaire, c'est-à-dire l'extraction de ces minerais du sous-sol. Hormis Eramet, qui exploite des gisements de nickel en Nouvelle-Calédonie - avec le risque que l'île du pacifique devienne indépendante à l'issue du référendum prévu de se tenir le 12 décembre prochain -, mais aussi du manganèse au Gabon et bientôt du lithium en Argentine, le secteur minier reste le parent pauvre de l'industrie française. Or l'enjeu n'est pas seulement de souveraineté et de stratégie, il permet aussi de créer des emplois à valeur ajoutée dans l'industrie.
Si le développement d'un secteur minier en Europe est une option, il se heurte fréquemment à la contestation des ONG environnementales et des citoyens au nom du NIMBY (pas dans mon jardin) ou plus simplement à l'accès à la ressource. En Centre Bretagne, entre 2013 et 2018, plusieurs projets de prospection minière ont émergé. Mais la forte mobilisation collective, associant citoyens, associations et collectivités locales et régionales avait permis de faire annuler définitivement par l'État, en avril 2019, les derniers permis miniers accordés au groupe australien Variscan Mines à Loc-Envel, Merléac et Silfiac. Mais cela pourrait changer.
"Je ne vois pas pourquoi nous serions incapables de le faire en France. Certes, ça coûtera plus cher et cela ne couvrira pas la totalité des besoins européens. Mais au-delà de la communication et de l'acceptation sociale, la priorité est de faire un état de nos ressources en Europe. Rappelons que la dernière campagne d'exploration du BRGM remonte aux années 1970", indique Raphaël Danino-Perraud, chercheur associé au Laboratoire d'économie d'Orléans.
En France, il n'y a jamais eu en effet de campagne d'exploration moderne. C'est pourquoi une telle opération devrait voir le jour dans les prochains mois dans le centre de l'Hexagone, plus précisément dans le Massif Central.
Explorer les grands fonds marins
Par ailleurs, Emmanuel Macron a également évoqué l'exploration des grands fonds marins pour faire une évaluation de leur composition minérale. Généralement situés sous les 5.000 mètres, on y trouve des nodules polymétalliques qui contiennent nombre de métaux stratégiques pour la transition énergétique comme le nickel, le manganèse ou le cobalt. Mais, nombre d'experts soulignent que cette option n'est pas la priorité à ce stade.
Reste à savoir si cette série d'annonces présidentielles peut se traduire par une accélération du développement de la production de ces métaux stratégiques. Volontariste, Emmanuel Macron l'a répété tout au long de son intervention, ce plan France 2030 doit également s'articuler avec les projets des autres pays membres de l'Europe. Ce qui constitue un défi au regard du basculement à faire en à peine quelques années pour mener à bien une telle transition.
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Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur "la guerre des métaux stratégiques" :
Métaux : la bataille à ne pas perdre pour l'Occident
Les 10 métaux stratégiques pour la transition énergétique
Entretien avec le professeur Philippe Chalmin
2/ Le raffinage, l'arme redoutable de la Chine pour dominer le marché
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4/ L'Europe voit son avenir industriel dans le recyclage et les mines
5/ La France, l'innovation pour combler le retard et limiter les ruptures
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