Semi-conducteurs : la prochaine crise viendra-t-elle de l'accès aux métaux stratégiques ?

La France, l'Union européenne et les Etats-Unis veulent augmenter leurs capacités de production de semi-conducteurs pour pallier les pénuries, mais une inconnue demeure : l'approvisionnement en métaux. Quatre d'entre eux - silicium, germanium, gallium, indium - sont nécessaires à la fabrication de ces composants vitaux à l'industrie automobile, à la transition énergétique et à l'électronique. Or la domination de la Chine sur cette offre pourrait déclencher la prochaine crise des semi-conducteurs dans un contexte géopolitique tendu entre les grandes puissances. Etat des lieux.
Même si la France, l'UE et les États-Unis augmentent leurs capacités de production, ils doivent toutefois sécuriser l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement s'ils veulent éviter une prochaine crise des semi-conducteurs ce qui passe par l'approvisionnement des minéraux bruts, non transformés, nécessaires à la fabrication de ces composants. En somme, l'amont de la chaîne de valeur.
Même si la France, l'UE et les États-Unis augmentent leurs capacités de production, ils doivent toutefois sécuriser l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement s'ils veulent éviter une prochaine crise des semi-conducteurs ce qui passe par l'approvisionnement des minéraux bruts, non transformés, nécessaires à la fabrication de ces composants. En somme, l'amont de la chaîne de valeur. (Crédits : Kim Kyung Hoon)

L'industrie automobile française fait aujourd'hui face à une pénurie de semi-conducteurs. De Renault à Stellantis, jusqu'aux équipementiers automobiles comme l'usine Continental Automotive à Toulouse, de nombreux acteurs ont ainsi vu leurs lignes de production perturbées, voire arrêtées, par manque de ces précieux composants électroniques. L'activité aéronautique est également touchée frontalement par ces défauts d'approvisionnements. Mais au-delà de ces secteurs, c'est bien toute l'économie qui est vulnérable à ces plaquettes de quelques centimètres, des biens de grande consommation - téléphone, produits high-tech, etc. - aux produits industriels les plus sophistiqués, secteur spatial en tête. En passant bien sûr par les nouveaux besoins créés par la transition énergétique décarbonée.

Ces puces - qui contrôlent le flux de courant dans l'électronique - sont désormais au cœur de la fabrication de nombreux nœuds technologiques essentiels à la production d'une voiture, tant l'informatique embarquée et l'électronique n'ont cessé de s'inviter dans l'habitacle et la motorisation (système d'info-divertissement, sécurité assistée, vitres, sièges électriques).

Or elles sont conçues à partir de métaux stratégiques, notamment le silicium, le germanium, le gallium, l'indium ainsi que d'autres éléments purs.

Les semi-conducteurs, un produit asiatique...

Certes, la pénurie actuelle de semi-conducteurs n'est pas due au manque de disponibilité de métaux. C'est plutôt la capacité de fabrication de ce produit intermédiaire qui est en cause en raison de la forte demande impulsée par la rapidité de la reprise économique mondiale qui s'ajoute à la demande structurelle de l'électronique grand public (smartphone, électroménagers). Or, l'Europe et les États-Unis ayant préféré ces dernières décennies se détourner de l'assemblage des puces électroniques, ils ne représentent plus à eux deux que 18% de la production mondiale, contre environ 60% il y a 30 ans.

La production étant désormais concentrée en Asie - 50% de l'offre mondiale pour la seule île de Taïwan -, il est difficile pour les unités de fabrication situées à l'autre bout du monde de répondre immédiatement à la demande occidentale, tant la conception est complexe et longue. Il peut s'écouler jusqu'à 26 semaines entre le début de la production et l'emballage avant expédition des semi-conducteurs. D'autant plus que les stocks sont préemptés depuis plusieurs mois notamment par la Chine.

De leur côté, les puissances occidentales ont décidé de reconstruire massivement leurs capacités de production pour limiter leur dépendance aux "ateliers du monde". Sur le Vieux Continent, le commissaire européen Thierry Breton a martelé que « l'UE mettra des moyens pour implanter des usines de semi-conducteurs en Europe ». La France - qui possède déjà un champion mondial grâce au franco-italien STMicroelectronics  - se dit prête à injecter 6 milliards d'euros.

Les entreprises sont également au diapason : Intel veut investir jusqu'à 80 milliards d'euros dans un contexte où les milliards pleuvent outre-Atlantique pour redresser le potentiel productif de ces semi-conducteurs. Car l'Oncle Sam est également dans la panade.

... qui dépend de métaux stratégiques cornaqués par la Chine

Même si la France, l'UE et les États-Unis augmentent leurs capacités de production, ils doivent toutefois sécuriser l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement s'ils veulent éviter une prochaine crise des semi-conducteurs ce qui passe par l'approvisionnement des minéraux bruts, non transformés, nécessaires à la fabrication de ces composants. En somme, l'amont de la chaîne de valeur. Deux raisons majeures nourrissent les inquiétudes : l'accès aux ressources et le contexte géopolitique mouvant entre les grandes puissances.

En effet, ces prochaines années, des tensions pourraient apparaitre sur la fourniture de ces minerais. En cause, notamment, l'explosion de la demande liée à la transition écologique de nombreuses industries, en premier lieu l'automobile, dont les voitures électriques seront toujours plus gourmandes en semi-conducteurs.

L'approvisionnement en silicium ne devrait pas poser de problèmes à court terme sauf en cas d'une demande très brusque, explique Raphaël Danino-Perraud, chercheur associé au laboratoire d'économie d'Orléans. Mais pour des métaux comme le gallium, le germanium et l'indium, c'est moins évident car ce sont des sous-produits de métaux principaux. Il est plus difficile d'augmenter leur production car quelques centaines de tonnes, quelques milliers de tonnes sont à peine produites par an. Leur production n'est donc pas extensible, et se trouve pratiquement aux mains des Chinois.

Or, la crise sanitaire a révélé les rapports de forces entre la Chine, d'une part, et les États-Unis et l'Union européenne d'autre part sur plusieurs produits, notamment leur dépendance. Contexte auquel il faut ajouter la guerre technologique à laquelle se livrent les deux premières puissances mondiales, particulièrement autour de la 5G, mais aussi la course à l'imposition de droits de douane ou encore le respect de la propriété intellectuelle.

Blocage des métaux en Chine

Ces considérations économiques et géopolitiques, au gré des tensions potentielles, pourraient entraver le commerce international, notamment en bloquant ou limitant les livraisons de ces métaux critiques nécessaires aux semi-conducteurs.

En 2010, Pékin avait décidé de réduire de 40 % ses exportations de terres rares dont elle contrôlait, à l'époque, la quasi-totalité de la production mondiale. Elle avait même suspendu les livraisons de ces métaux au Japon, en raison de son différend avec Tokyo sur les îles Diaoyu-Senkaku. Les prix avaient flambé, même si l'OMC avait ensuite imposé à l'Empire du Milieu la levée des sanctions.

Pékin peut aussi contrôler le marché en donnant la priorité à sa demande interne. Par exemple, le gouvernement de la province du Yunnan a ordonné en 2020 aux entreprises chinoises d'acheter et de stocker des métaux non-ferreux. Le volume acquis sur le marché mondial s'élevait au total à 800.000 tonnes, dont 20 tonnes de germanium, un métal essentiel aux semi-conducteurs.

Cet épisode rappelle que la majorité des ressources et des capacités de raffinages des minerais sont concentrées en Chine. Et pour celles qui sont nécessaires à l'élaboration de semi-conducteurs, au moins quatre dépendent de Pékin.

L'Europe s'est elle-même tirée une balle dans le pied

Rentrons donc dans les détails des équilibres : les 8.000 tonnes de production de silicium en 2020, né d'un processus métallurgique à partir de l'extraction du quartz et au cœur de la fabrication des semi-conducteurs, sont opérés à 67,5% par la Chine, 6,75% par le Brésil, 3,63% par les Etats-Unis. Et le volume fourni par des membres de l'UE est seulement de... 2,45% (100 tonnes par la France, 66 par l'Espagne). Sur la période 2012-2016, l'UE devait donc importer 344 tonnes de silicium, un déficit en hausse ces dernières années.

Pour le gallium, la domination chinoise est encore plus accentuée, mettant en situation de dépendance l'Europe et les Etats-Unis. Il est récupéré en tant que sous-produit via le traitement des minerais de bauxite et de zinc. Sur le Vieux Continent, le volume global disponible (largement importé) de ce sous-produit est utilisé à 70% dans la production de semi-conducteurs (pour 50% au niveau mondial), et 72% pour les Etats-Unis. En clair, l'usage de cette importation est quasi exclusivement réservé à la fabrication de ces éléments technologiques que sont les semi-conducteurs.

Plus précisément, selon le World Mining Data, 79% des 218 tonnes de gallium produites annuellement entre 2012-2016 étaient assurés par l'Empire du Milieu, et seulement 9% par l'Europe (8% en Allemagne, et 1% en Hongrie). Problème supplémentaire pour les Européens : leurs unités de production locales ont été arrêtées respectivement en 2016 et 2015. Idem pour la Slovaquie, en 2010. En cause : des coûts d'exploitation trop élevés face à la concurrence chinoise. "La surcapacité de la Chine sur la période 2012-2016 a conduit de nombreux producteurs mondiaux à cesser leur production de gallium au cours de cette période", note le rapport Critical Raw Materials Factsheets publié en 2020 par la Commission européenne.

Et les derniers chiffres disponibles, issus de la bible américaine des métaux stratégiques, l'USSG, accentuent l'emprise chinoise ces dernières années : sur les 351 tonnes produites en 2019, Pékin assurait... 96,1% de la production.

L'UE est donc passée d'un exportateur net de gallium primaire en 2012-2013 à un importateur net en 2013-2016. Sa dépendance était estimée sur cette période à 31%. Les Etats-Unis, eux, affichent, en 2019, une dépendance (ratio entre importation et consommation) de...100%.

Toutefois, le recyclage - stratégie phare de l'UE  - pourra-t-elle combler ces défaillances d'approvisionnement primaire ? Pas si sûr. En 2016, en Europe, le taux de récupération du gallium des produits en fin de vie était proche de... 0%. Il s'explique par la difficulté et le coût de sa récupération dans les produits finaux où il est très dispersé et en quantité minime. Toutefois, le recyclage à partir de déchets industriels était, à cette époque, plus développé.

A LIRE, le quatrième volet de notre dossier | Métaux stratégiques : l'Europe mise sur le recyclage et la relance du secteur minier pour sécuriser sa transition énergétique

Un autre sous-produit pose de vraies questions : le germanium. Il est pour sa part récupéré à partir du zinc ou de la consommation de charbon. La demande mondiale devrait progresser ces prochaines années, tirée notamment par le développement massif de la fibre optique. Le marché mondial a échangé environ 150 tonnes de germanium en 2018. Il devait passer à un minimum de 165 tonnes d'ici 2020. La dépendance chinoise est également prégnante pour ce métal. L'approvisionnement mondial (122,6 tonnes), en moyenne annuelle entre 2012 et 2016, était monopolisé à 80% par la Chine, et à 10% par la Finlande. Le pays nordique était le seul producteur en Europe, alors que le Vieux Continent consomme 38,7 tonnes en moyenne sur cette période. Mais comme pour le gallium, l'Europe a stoppé sa production de germanium en 2015.

La Chine a, semble-t-il, légèrement assoupli sa position depuis 2016. Selon les chiffres 2020 de l'USGS, l'Empire du milieu raffinait plus que 66,6% du germanium. La Belgique et l'Allemagne - sans que les données ne soient communiquées -, apparaissent également dans les raffineurs. Quant aux ressources, difficiles de les estimer car le germanium est concentré dans le zinc ou dans les cendres de charbon. Toutefois, la Commission européenne s'était aventurée à une évaluation :  8.600 tonnes en 2012, dont 3.500 tonnes de réserves en Chine.

Enfin, l'indium semble le métal le moins critique, même si la dépendance chinoise est réelle. Ce petit métal tendre, ductile et malléable, de couleur gris - blanc argenté est aussi récupéré à partir du zinc.

Si la Chine raffinait 55,5% des volumes en 2020 (500 tonnes sur 900) et la Corée du Sud 22,2% (200 tonnes), l'Europe, grâce à la France et à la Belgique (50 et 20 tonnes), participent à la sécurisation de ce métal, avec environ 8% de la production. Globalement, sur la période 2013-2017, l'Europe était exportateur net d'indium et pouvait donc répondre à sa demande interne. Mais cette demande devrait exploser de de 231% d'ici 2050, du fait des besoins des nouvelles technologies climatiques, selon un rapport 2020 de l'organisme Eurometaux.

Si l'Union européenne et les Etats-Unis envisagent de relancer certaines productions de ces métaux stratégiques, la réalité risque de faire fondre certaines espérances de souveraineté, notamment au sujet des capacités de raffinage de germanium ou de gallium, fermées ces dernières années. "De telles capacités et de telles compétences ne se ré-ouvrent pas d'un claquement de doigt", rappelle l'économiste Raphaël Danino-Perraud.

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Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur "la guerre des métaux stratégiques" :

1/ Un enjeu décisif, édito

Métaux : la bataille à ne pas perdre pour l'Occident

Les 10 métaux stratégiques pour la transition énergétique

Entretien avec le professeur Philippe Chalmin

2/ Le raffinage, l'arme redoutable de la Chine pour dominer le marché

3/ Les Etats-Unis en quête d'autonomie relance le secteur

4/ L'Europe voit son avenir industriel dans le recyclage et les mines

5/ La France, l'innovation pour combler le retard et limiter les ruptures

6/ Semi-conducteurs : le risque de pénurie des... métaux

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Commentaires 6
à écrit le 26/11/2021 à 19:36
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"Or l'Europe et les États-Unis ayant préféré ces dernières années". 2014 : Après les PC en 2005, IBM cède à Lenovo une partie de sa branche serveurs. Le montant de la transaction atteint 2,3 milliards de dollars. Le groupe chinois veut se renfo...

à écrit le 26/11/2021 à 18:59
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Le Monde est il meilleur, plus sûr grâce aux semi-conducteur, ce n'est pas ce qui vient tout de suite à l'esprit au vu des GAFA, de la surveillance généralisée, de la folie des réseaux sociaux et de tout ce qui nécessite des composants électroniques ...

le 26/11/2021 à 20:30
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Allez faire un tour dans un hôpital, ça vous donnera une idée de ce qu'on peut faire avec des semi conducteurs. 30% de la valeur d'une voiture va dans l'électronique..

à écrit le 26/11/2021 à 18:47
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L'UE? Mais ce jour, seuls les Etats-Unis récupèrent une usine Samsung et une usine TSMC, et les nations de l'UE s'étripent pour récupérer des Fab d'Intel (encore plus malin). L'UE championne de la communication ! Si ça pète en Asie, nous n'aurons ...

le 27/11/2021 à 3:40
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Cessez de lire la presse apocalyptique. Un conflit majeur n'aura jamais lieu en Asie. La Chine n'y a aucun interet. Sa strategie est l'intimidation, rien de plus. Par ailleurs pour votre info, c'est par vote interne que la Coree du sud a investi plus...

le 27/11/2021 à 11:12
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@pro-chinois "Un conflit majeur n'aura jamais lieu en Asie" Les fortifications récentes et en cours au profit de la Chine (en Mer de Chine, le long de la frontière de l'Inde à l'est du Ladakh, au Bhoutan face au Doklam, au Tibet et au Népal) affirm...

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