
La crise du covid-19 continue de donner le vertige. Selon les derniers chiffres de l'institut de statistiques européen Eurostat publiés ce vendredi 1er octobre, l'indice des prix à la consommation a baissé de 0,3% au mois de septembre après un précédent recul de 0,2% au mois d'août. Ces deux baisses consécutives ne sont pas vraiment une surprise pour les économistes interrogés.
"On s'attendait à un mauvais chiffre [...] Si une inflation aussi basse se prolonge, on pourrait entrer dans un risque déflationniste", relève le responsable de la recherche économique chez Saxo Bank Christopher Dembik.
À ce stade, il ne s'agit pas encore d'une déflation qui correspond à une baisse persistante du niveau des prix:
"C'est le rythme de progression le plus faible depuis que la série existe. Si le chiffre est confirmé, ce serait le plus bas depuis avril 2016. La contraction est généralisée dans la plupart des pays. Le chiffre positif de juillet était transitoire. Le choc de la pandémie est extrêmement déflationniste", ajoute le chef économiste de Market Securities, Christophe Barraud, interrogé par La Tribune.
Une inflation sous-jacente très basse
Cette baisse, si elle se prolonge, pourrait devenir très préoccupante. En effet, l'inflation sous-jacente (qui ne prend pas en compte les prix très volatils de l'énergie, de l'alimentation ou du tabac) est à seulement 0,2%.
"C'est un chiffre désastreux", rappelle l'économiste Christopher Dembick.
"L'Allemagne avait baissé sa TVA au cours de l'été. Les prix de l'énergie en rythme annuel ont diminué, et cela devrait continuer au moins pendant encore au moins un mois. La baisse du tourisme a aussi contribué à cette baisse. Les prix des chambres dans l'hôtellerie s'écroulent. Certes, il y a eu un phénomène de rattrapage en juillet, mais la reprise de l'activité dans l'hôtellerie d'affaires ne compense pas. Les prix devraient continuer de baisser, voire rester en territoire négatif jusqu'à la fin de l'année", affirme Christophe Barraud.
Outre la baisse des prix de l'énergie, l'inflation très basse ne peut pas seulement s'expliquer par la baisse de la TVA en Allemagne ou le report des soldes d'été à cause de la pandémie et des mesures de confinement. L'inflation basse voire négative est liée à la baisse des prix dans les services qui subissent de plein fouet les effets de la crise et pèsent énormément dans l'économie de l'union monétaire.
Des méthodes de calcul rendues obsolètes par cette crise inédite?
Pour autant, faut-il s'attendre à un scénario de déflation à moyen terme?
Chez Natixis, on n'y croit guère. Fin septembre, lors d'une réunion avec des journalistes, le chef économiste Patrick Artus expliquait que "l'on est sur un scénario d'une inflation relativement normale. Il n'y a pas de scénario de déflation".
En outre, la pandémie a bousculé les comportements des consommateurs, et les méthodes habituelles pour mesurer l'indice des prix n'ont pas toujours été adaptées à ces bouleversements, tient à rappeler M. Dembik.
"La pandémie a eu un effet sur les habitudes des consommation. On va moins au restaurant, et les gens vont commander plus de produits sur les plateformes numériques. La méthode de calcul de l'inflation n'a pas changé avec la pandémie. Les mesures d'inflation que l'on voit ne correspondent pas à l'évolution de l'inflation. On doit s'habituer à voir de mauvais chiffres car nos instruments de mesure ne sont pas adaptés en période de pandémie. On peut parler d'un "bruit statistique".
La pression s'accentue sur la Banque centrale européenne
Après avoir déployé un bazooka monétaire au printemps pour répondre à l'urgence de la crise en injectant des milliards de liquidités dans l'économie, la BCE va devoir encore s'adapter dans les prochaines semaines à cet environnement de prix négatifs.
"La pression sur la Banque centrale européenne s'accentue [...] Avec un chiffre aussi désastreux, la Banque centrale européenne devrait être accommodante, et donc un nouveau bazooka devrait arriver en décembre", ajoute Christopher Dembik.
Sur l'ensemble de l'année 2020, l'inflation dans la zone euro devrait rester légèrement positive, à +0,3%, selon la dernière prévision de la BCE publiée en septembre. L'institut monétaire de Francfort prévoit une hausse de l'inflation à 1% en 2021 puis 1,3% en 2022. Ces chiffres restent cependant loin de son objectif d'une hausse des prix "proche mais inférieure à 2%".
Fin décembre, la Banque centrale européenne pourrait revoir sa stratégie en fonction des nouvelles prévisions économiques même si des dissensions sont apparues au sein du directoire entre les partisans d'un prolongement des mesures de soutien et d'autres qui veulent des mesures temporaires.
Mercredi dernier, Christine Lagarde a déclaré que la BCE réfléchissait à une autre mesure et à un objectif d'inflation plus compréhensible du grand public. L'institution vient de relancer un chantier sur sa stratégie, avec des résultats qui ne sont pas attendus avant septembre 2021 en raison d'un retard lié à la pandémie de Covid-19. La future définition d'un nouvel objectif d'inflation se fera donc attendre, mais, selon Mme Lagarde, il faudra s'assurer qu'il soit "perçu comme symétrique par le public", pouvant donc tolérer des taux au-dessus de la barre des 2%.
Des perspectives économiques assombries
La pandémie a plongé l'économie européenne dans une récession historique. L'onde de choc continue de se propager malgré les multiples mesures de confinement déployées sur l'ensemble du continent. Après un printemps catastrophique et un redémarrage estival meilleur que prévu, les indicateurs montrent des signes d'essoufflement de l'activité en ce début d'automne.
Si la plupart des économistes s'attendent à un rebond mécanique du PIB au troisième trimestre, les incertitudes grandissent sur la fin d'année. La multiplication des foyers de contamination et le renforcement des mesures pour limiter la propagation de cette maladie infectieuse assombrissent les perspectives économiques.
"En Europe, le momentum économique commençait déjà à freiner à la fin de l'été. La multiplication des mesures de restriction, le Brexit, et l'issue des élections américaines augmentent les incertitudes. Au quatrième trimestre, les entreprises ne devraient pas prendre le relais. Pour la France, le plan de relance devrait prendre le relais seulement début 2021. Il y a tellement d'incertitudes que le risque d'avoir un chiffre négatif du PIB au T4 existe", estime Christophe Barraud.
À ce stade, il est encore difficile d'avoir une vision précise des chiffres de croissance pour l'ensemble de l'année 2020. La vitesse de reprise de l'activité va dépendre en grande partie du retour de la confiance des agents économiques et de l'avancée de la recherche pour trouver un traitement ou vaccin.
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