Edouard Martin : "La Lorraine aura des supermarchés low-cost à la place des hauts fourneaux"

REGIONALES - L'ancien député européen et syndicaliste chez ArcelorMittal déplore le démantèlement prochain des hauts-fourneaux de Florange, symbole d'un manque d'engagement politique contre la désindustralisation du Grand-Est.
Edouard Martin, député européen (2014-2019), ancien syndicaliste CFDT chez ArcelorMittal à Florange.
Edouard Martin, député européen (2014-2019), ancien syndicaliste CFDT chez ArcelorMittal à Florange. (Crédits : European Union 2018)

LA TRIBUNE - Deux ans après le terme de votre mandat d'eurodéputé, membre de la commission de l'Industrie au Parlement européen, allez-vous effectuer un retour en politique ?

Edouard Martin - J'ai toujours dit que je n'effectuerais qu'un seul mandat de cinq ans et je n'ai pas changé d'avis. A la fin de mon mandat, en juillet 2019, je me suis inscrit au chômage. J'ai retrouvé récemment un emploi dans une société qui réalise des programmes de formation en langues étrangères et cela me convient. Generation.s, qui présente ses candidats aux régionales dans le Grand-Est, est venu me chercher pour me mettre sur sa liste. C'est non.

Vous déplorez pourtant la désindustrialisation du Grand-Est, votre région, et dénoncez le démantèlement par ArcelorMittal du haut-fourneau de Florange où vous étiez porte-parole de la CFDT...

Je dénonce le renoncement des politiques et leur incapacité à tenir leurs engagements. En 2012, juste avant les élections présidentielles, Florange était devenu le Lourdes de la campagne électorale. Aucun candidat ne pouvait partir en campagne sans être passé chez nous. Le seul qui n'a pas osé venir, c'est Nicolas Sarkozy parce qu'il nous avait déjà fait le coup quelques années plus tôt à Gandrange. Quand Jean-Marc Ayrault a été nommé Premier ministre, après la victoire de François Hollande, il a cautionné la mise à l'arrêt provisoire de Florange. On parlait alors d'une mise sous cocon, pendant six ans. Avant de procéder au démantèlement, ArcelorMittal s'était engagé à tenir compte du marché de l'acier européen et mondial. Si ce marché se portait mieux, on pourrait redémarrer le haut-fourneau.

Mais ArcelorMittal a arrêté sa filière liquide à Florange, et il ne fera pas marche arrière. Des équipements périphériques sont déjà démontés. N'est-il pas trop tard ?

Ce n'est pas une raison. Un haut fourneau, c'est une sorte de gamelle de 80 mètres de haut. L'intérieur est maçonné de briques réfractaires. Quand il est mis en chauffe à 1.800 degrés, on ne peut plus l'arrêter. La durée de vie des briques est d'une vingtaine d'années. Le nôtre à Florange arrivait en fin de vie. Il suffirait de refaire le briquage, de remettre à niveau l'informatique, et on repart. Mais nos élus ne sont pas de cet avis. Les élus du Val de Fensch ont bien appris le discours d'ArcelorMittal. Ils disent tous la même chose : c'est trop cher de redémarrer un haut fourneau. Au bas mot, il y en aurait pour 150 millions d'euros. C'est l'investissement qui a été consenti par Mittal à Dunkerque, à Fos, en Pologne ou en Espagne. Ce que le groupe a fait là-bas, il peut le faire ici.

Les élus mosellans ont fait du foncier d'ArcelorMittal un enjeu du développement dans le Val de Fensch. Quelles seraient les nouvelles activités potentielles ?

Le foncier appartient à ArcelorMittal. Les élus veulent vite raser pour récupérer ce foncier et faire de l'habitat, des lieux de vie. Mais ArcelorMittal ne va pas dépolluer en profondeur. Les assises et les fondations d'un haut fourneau descendent profondément sous la terre. La dépollution est chère et complexe. Mittal a d'ailleurs annoncé aux élus qu'il n'offrirait qu'une dépollution partielle. On ne pourra donc pas y construire des maisons ni faire pousser des tomates. Nos élus rêvent d'y mettre des supermarchés low-cost. Ils sont complices de la désindustrialisation.

La question du recyclage des friches se pose dans d'autres endroits dans le Grand-Est : le Haut-Rhin, les Ardennes. Peut-on être optimiste et recréer de l'activité ?
On a rarement implanté de l'habitat sur des friches. Au mieux, on a créé des activités de loisirs, un terrain de golf. Il faut empêcher la création de ces friches. Cela aurait été possible pour Florange. En 2018, le niveau de consommation de l'acier est revenu au même niveau qu'avant la crise de 2012, soit 170 à 180 millions de tonnes par an. La capacité des usines européennes s'établit entre 140 et 145 millions de tonnes. Tous les ans, l'Europe importe entre 25 et 30 millions de tonnes d'acier depuis la Chine, la Russie, l'Ukraine, la Turquie, le Brésil, dans des conditions de production qui ne sont pas toujours respectueuses de l'environnement. J'avais proposé qu'on fasse de Florange un site expérimental : le premier haut-fourneau à produire de la fonte avec de l'hydrogène. L'Europe a besoin d'acier. On préfère démanteler. J'ai envoyé un courrier à Bruno Le Maire pour faire à Florange ce site expérimental, il n'a jamais répondu.

A Fessenheim, les élus se sont mobilisés pour l'après-centrale. La sortie du nucléaire est-elle mieux traitée que la filière acier ?

Le démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim offrira au moins 25 ans de travail. Ce ne sera pas le cas pour les aciéries. A Florange, on n'a rien anticipé. En Lorraine, on aura des Lidl et des Aldi à la place des hauts-fourneaux.

Quel est votre lecture du bilan économique de Jean Rottner à la présidence de la région Grand-Est ?

Aucun dossier ne me vient en tête. C'est la platitude du Grand-Est. Il existe un trou béant entre l'Alsace et le reste de la région, et la Lorraine est dans ce trou. Le sillon lorrain ne coopère pas assez avec le Luxembourg. Mais il faut reconnaître que nos voisins sont aussi fautifs. Ils regardent d'abord leurs propres intérêts. Claude Turmes, l'actuel ministre luxembourgeois de l'Energie, a promis le financement à 100 % d'une centrale photovoltaïque sur notre territoire si nous fermons la centrale nucléaire de Cattenom. Mais cela ne se passera pas comme ça. Il n'y a pas d'intérêt luxembourgeois si on ne défend pas les intérêts lorrains.

Le Luxembourg prévoit de construire un tramway rapide jusqu'à la frontière, à Esch-sur-Alzette. Cela facilitera la mobilité des frontaliers. Que peut-il faire de plus ?
Pourquoi ce tramway ne viendrait-il pas en France, jusqu'à Audun ? Les frontaliers subissent des conditions de transport catastrophiques. Il n'y a pas de trains entre Longwy et Luxembourg. On met deux heures pour faire 40 kilomètres en voiture. Imaginons de nouvelles infrastructures financées par Interreg ! Le tramway est une bonne initiative.

Défendez-vous l'idée des élus lorrains qui préconisent une rétrocession des impôts des frontaliers payés au Luxembourg ?

Nos 100.000 frontaliers consomment du service, des écoles, des crèches en France. Nous payons pour tout cela mais les collectivités, du côté français, n'ont pas assez de moyens. Longwy est une ville figée. A Thionville, le centre-ville se meurt. Un retour de fiscalité serait équitable.

Propos recueillis par Olivier Mirguet

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 10/06/2021 à 23:13
Signaler
Vu son track record je ne suis pas certain qu'il puisse décrocher un jour un contrat précaire de caissier-magasinier chez Aldi ou Lidl...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.