Régionales : ce qu’attendent les entrepreneurs des Pays de la Loire

Globalement plus mobilisés par l’opérationnel que par les discours électoraux, les chefs d’entreprises ligériens demandent une accélération des transports et des formations pour accompagner les transformations écologique, énergétique et digitale dont l’impact est grandissant sur les habitants et les entreprises. Six chefs d’entreprises d’ETI, de startups ou de l’ESS témoignent.
En Mayenne, le réservoir d'opérateurs de production reste très faible. L'un des enjeux du territoire passe par l'éducation, la formation, la poursuite des plans d'accompagnement de l'industrie du futur et la question des mobilités, cruciale pour dynamiser le territoire. Chez Gys, où l'effectif est passé de 650 à 850 personnes en deux ans, cinquante-trois postes sont à pourvoir.
En Mayenne, le réservoir d'opérateurs de production reste très faible. L'un des enjeux du territoire passe par l'éducation, la formation, la poursuite des plans d'accompagnement de l'industrie du futur et la question des mobilités, cruciale pour dynamiser le territoire. Chez Gys, où l'effectif est passé de 650 à 850 personnes en deux ans, cinquante-trois postes sont à pourvoir. (Crédits : Gys)

Pour Nicolas Tronchon, fondateur de la société nantaise TransWay, éditeur de solutions numériques intelligentes pour améliorer la qualité de services dans les transports et réduire l'empreinte carbone des usagers, deux sujets mériteraient une attention plus grande de la région, à savoir les transports et le numérique. « TransWay est à la croisée des chemins entre l'utilisateur et les retailers, des opérateurs de transport qui mettent en œuvre nos solutions dans les villes et agglomérations. Or, aujourd'hui, le versement Mobilités - contribution locale des employeurs recouvrée par l'Ursaff- aux villes et aux métropoles crée des distorsions de fonctionnement sur le territoire et nous obligent à mettre en œuvre des compétences mutualisées pour offrir une qualité de services harmonisée. Le versement mobilité est une vraie manne pour les collectivités où, comme à Nantes, cela représente plus de 35% de ses ressources transports. Mais ça aurait plus de sens que la région, qui a récupéré la compétence de la mobilité, ait les moyens de développer un vrai réseau régional. C'est un vrai sujet de gouvernance. Qui doit prendre le pouvoir en termes de décisions et de financement? Là-dessus, je n'ai entendu personne s'exprimer. Centraliser le versement Mobilités à la région aurait du sens, car il y a un besoin massif d'investissements dans les transports », constate-t-il, après avoir déployé sa solution www.ecomotive.fr auprès des abonnés au TER dans les Pays de la Loire. Le principe ? Selon le nombre de trajets effectués et le mode de transport utilisé (Train, bus, co-voiturage, vélo...), l'usager engrange des points, qui sont échangés sous la forme de remises chez les commerçants, de bons d'achats, des chèques cadeaux ou de points de compensation CO2. « Le problème, c'est qu'au-delà des principaux axes, il manque de nombreuses bornes de validation dans les gares et les stations. On perd, ainsi, toute la valeur des plans de collecte des données de déplacement que l'on met en œuvre », regrette Nicolas Tronchon, non moins critique envers le numérique. « Il serait temps d'investir dans nos propres infrastructures de transactions. D'ici à trente ans, 60% à 65% des transactions commerciales seront digitalisées. Aujourd'hui, qui pilote le marché ? Google Amazon, Facebook... d'où viennent leurs ressources ? du stockage de données et des transactions. Alors peu importe de savoir, si un entrepôt doit être implanté, ici ou là, c'est un faux problème. Ce qui compte, c'est le stockage des données et les transactions. C'est ça qui leur rapporte parce que toutes les données des marketplaces créées localement sont majoritairement hébergées aux Etats-Unis. Si on ne prend pas ce tournant en investissant dans des infrastructures et autoroutes numériques, c'est Amazon qui le fera. C'est un vrai sujet de fond économique et environnemental dont la région ne pourra pas faire l'économie. Je ne suis pas rentré en profondeur dans tous les programmes électoraux, mais je n'ai vu personne s'emparer de ces sujets. Or, il y a là, de vrais trous dans la raquette. La région, dira, sans doute, ce n'est pas ses compétences, mais dans trente ans ce sera quoi les compétences de la région ? », interroge l'entrepreneur nantais.

Mieux comprendre le travail des politiques

Engagé dans le développement de la plateforme de petites annonces exclusives et sécurisées Gens de confiance qui vient de franchir la barre du million de membres, et porté par l'engouement pour les produits de seconde main depuis la crise sanitaire, Ulrich Le Grand reconnait avoir été plus pris par l'opérationnel que par la campagne électorale. « Ce que j'attends de la région ? Qu'elle maintienne le niveau de qualité des services offerts aux entrepreneurs et qu'elle favorise le décloisonnement entre les acteurs économiques, culturels et politiques », explique l'entrepreneur nantais qui a créé les startups Zenbus (transport) et Proximéa, adossée à la Banque Populaire du Grand Ouest (BPGO), avant de co-fonder Gens de Confiance. Des expériences qui l'ont amené à participer, au côté d'une trentaine d'acteurs économiques, à une des Learning Expédition organisée par la région pour aller s'inspirer des pratiques de la Silicon Valley. « Ce sont des moments, financés par nous-mêmes, qui permettent de prendre du recul sur votre activité, de s'interroger et de se construire un réseau, avec lequel je suis toujours en contact quelques année plus tard. C'est aussi une occasion de mieux comprendre ce que font les politiques dont, habituellement, on ne sait pas comment ils travaillent. Pour nous, startup, la région, c'était aussi un point d'entrée vers Oseo hier, ou BPIFrance aujourd'hui. C'est primordial pour les jeunes entreprises dont les solutions de financements sont toujours difficiles à trouver. Quelles que soient les alternances, depuis la crise financière de 2008, avec la mise en place du P2RI, l'accompagnement de la région a toujours été efficace », observe-t-il. «  L'une des particularités de la région qui m'a marqué lorsque je participais à un programme de formation et d'acculturation pour les introductions en bourse avec des gens venus de toutes la France et d'Europe, c'est que l'Ouest a vraiment ses propres spécificités, comme le fait d'être bordé par la mer et de pas avoir de frontières directes. C'est très différent des régions frontalières avec l'Allemagne ou l'Italie. Nous avons, à Nantes pour le moins, la réputation d'un jeu collectif, et avons la chance de bénéficier d'un bon réseau dans une belle région, riche, attractive, dynamique.»

Accompagner l'attractivité de la Mayenne

« Ce qui m'a surpris, c'est la capacité et la célérité de la région et de l'Etat à intervenir main dans la main pour protéger le tissu économique ligérien et déployer des plans de soutien et de relance. La région, La Direccte, BPIFrance... tout le monde était sur le pont pour que l'on puisse avancer en 2020 et 2021... Les relais ont fonctionné de manière incroyable», observe Bruno Bouygues, Pdg de Gys, groupe mayennais implanté à Laval (53), à Shangaï et en Europe, spécialisé dans la conception et la fabrication d'équipements de soudage, de chargeurs de batteries et de systèmes de réparation carrosserie distribués dans cent-vingt-quatre pays. « En Pays de la Loire, on a la chance d'avoir une base industrielle forte. Et la région a beaucoup poussé pour que les deux univers de la French Tech et de French Fab se rencontrent pour avoir une offre plus connectée, plus intelligente. Il y a eu beaucoup d'investissement dans ce domaine, j'aimerais que ça perdure parce que c'est porteur pour tout le monde. Ça fait dix-huit ans que j'opère dans cette région, et il y a ici une forme de compacité. Ce qui peut être un peu singulier, c'est la proximité, la confiance entre les acteurs et un collectif qui marche plutôt bien. Maintenant, il va falloir que la région se mobilise pour accompagner La Mayenne qui, de par sa densité, ne pourra le faire seul. Les réserves foncières ne sont pas si importantes et il faut trouver de quoi construire de nouvelles zones industrielles pour faire venir des investisseurs et maintenir les équilibres. Si les liaisons de transport Est-Ouest sont plutôt bonnes, l'axe Nord-Sud, composé de petites routes, s'avère plus compliqué. C'est là où il faudra investir. Car, la Covid a changé le rapport à la ruralité. On nous pose des questions. La Mayenne devient une terre d'attractivité pour les deux ou trois prochaines années. Le problème n'est, d'ailleurs, plus d'attirer des cadres mais plutôt des opérateurs », concède le pdg de Gys, dont l'effectif est passé de 650 à 850 personnes en deux ans, et où cinquante-trois postes demeurent en souffrance. « Avec le développement des Erasmus, les jeunes Mayennais sont partis se former à l'étranger, s'y sont mariés pour certains, et des couples reviennent s'installer. Résultat, les langues étrangères ne sont plus un problème. Quand hier, il fallait passer huit annonces pour recruter trois cadres, aujourd'hui trois suffisent. En revanche, dans ce territoire rural, le problème se situe plutôt en termes d'opérateurs de production. Le réservoir reste très faible. C'est surtout là, sur l'éducation, la formation, la poursuite des plans d'accompagnement de l'industrie du futur et sur la question des mobilités que j'attends des efforts de la région », dit-il.

Traiter la question du climat et des énergies fossiles

S'il est un sujet où s'accordent les chefs d'entreprises, c'est celui de la formation. « Pour faire face aux difficultés de recrutement des entreprises mais aussi pour accompagner les transformations digitales, écologiques et énergétiques en cours ou à venir dans la région, il est essentiel d'accentuer la formation », indique Lionel Fournier, président du réseau Dirigeants Responsable de l'Ouest, qui regroupe près de 140 adhérents (PME et ETI), engagés face à « l'urgence environnementale et sociale ». « Nous sommes dans une campagne un peu compliquée, marquée par le désintérêt de la politique et des élections où émergent des dérives autoritaires. Je pense au contraire qu'il faut prendre soin de la démocratie, qu'il n'y a pas d'autres solutions valables, et qu'il faut saluer le courage des gens qui s'engagent. Et le mieux, c'est d'aller voter », dit-il en préambule. « Plus largement, on voit bien que la région a pris un poids important tout en restant à taille humaine. C'est une chance, je pense qu'elle soit à un bon niveau pour permettre aux gens d'agir et d'avoir une certaine maitrise de leur destin. Ensuite, il faudrait que ces élections soient l'occasion d'expliquer quel avenir veulent les candidats pour la région. Même si c'est important, il ne s'agit pas seulement de gérer l'urgence et l'actualité, il faut aussi préparer l'avenir. C'est ce qui nous parait important chez DRO. Car on voit bien que l'on va rentrer dans une période où il faudra traiter la question du climat et des énergies fossiles. En France, c'est encore 68% de l'énergie utilisée. Il va falloir y aller. Comment la région va accompagner les habitants et les entreprises à se positionner sur ces transitions ? C'est compliqué, car beaucoup de technos ne sont pas mûres, mais en 15 ou 20 ans, on a l'occasion de retrouver une certaine souveraineté énergétique. Or, si l'on se réveille dans dix ans, ce sera sans doute trop tard. Le digital a aussi bouleversé le modèle économique des entreprises, les Dirigeants Responsables de l'Ouest sont aussi intéressés de savoir ce que les candidats proposent là-dessus. Ou comment on arrive à avoir un modèle économique favorable à l'environnement et aux conditions de vie et qui promeuve un système social, durable où chacun s'y retrouve», indique Lionel Fournier porte-parole de son conseil d'administration sur ces questions. «  Ces transformations vont impacter tous les secteurs dont certains vont devoir se réinventer, et là, ce sont des gisements d'emplois qui imposent de revoir le système de la formation professionnelle. Sans cela, pour prendre l'exemple du BTP, au rythme où l'on va, on aura rénové le parc de logements dans cinquante ans ! Si l'on ne propose pas des choses intéressantes pour les gens, ça ne bougera pas. Enfin, dernier point, qui nous semble fondamental, c'est la question de l'évolution des mobilités et en particulier du ferroviaire à travers le territoire. Ou comment on permet à un piéton de Nantes d'aller facilement à Laval, à la Roche sur-Yon, etc., alors qu'aujourd'hui, par exemple, un TGV se déplace à la vitesse d'un escargot quand les rails se dilatent par seulement 30°... On voit bien que la question des transitions sera traitée par la technologie, cela le sera aussi par une moindre utilisation d'un certain nombre d'outil de déplacements. Pour les entreprises, la qualité des déplacements en train est une vraie problématique», dit le représentant de DRO, souhaitant une meilleure coordination des institutions et acteurs économiques (CCI, Ademe...) avec des aides davantage ciblées vers les entreprises dont les efforts environnementaux sont reconnus.

Des services sans industrie ça n'existe pas

Devenu le plus gros site français de fabrication d'unités externes de pompes à chaleur, la société nantaise Saunier Duval (850 personnes), filiale du groupe allemand Vaillant, surfe sur l'engouement pour les énergies renouvelables et n'a finalement pas été impacté par les confinements. Malgré la crise sanitaire, l'entreprise est en croissance (+10% en 2020), et dit prendre des parts de marché. Contrairement à beaucoup, elle ne souffre d'aucune pénurie de recrutement. «Nous sommes dans une région attractive, dont le tissu industriel est fortement soutenu et valorisé et n'avons aucune difficulté de recrutement. On attire des gens de Paris ou de la région qui jouit d'un tissu d'écoles performant », affirme Eric Yvain, directeur général de Saunier Duval, qui réalise 70% de son activité à l'international dans soixante pays. « Dans le panorama du groupe Vaillant, nous sommes l'usine la plus éloignée vers l'Ouest. Les qualités de la région et la digitalisation engagée dans l'entreprise depuis quelques années compensent largement les petites difficultés logistiques. D'autant que la crise sanitaire a aussi démocratisé l'utilisation des outils de communication en visio. Pour les échanges internationaux, on souhaite évidemment que l'activité aéroportuaire reste forte et l'on aspire à ce que les moyens de déplacements soient les plus efficaces possibles, mais aujourd'hui, nous sommes soutenus et encouragés par une région qui a compris que sans développement industriel, il ne se passe pas grand-chose. La pandémie a mis en lumière les besoins de réindustrialisation. La région est très sensible à cela. Elle nous aide à nous développer, à recruter, à former et nous aide à redonner à l'industrie la place qu'elle doit avoir dans l'économie française. Un poste industriel génère en moyenne 3 à 4 emplois sur le territoire. Des services sans industrie ça n'existe pas. On ne demande pas plus. Mais il ne faut pas que ça change ! », dit-il.

Des progrès dans l'ESS à accélérer

Dans le secteur de l'Economie Sociale et Solidaire, Dominique Fièvre, dirigeant de l'entreprise d'insertion Envie 44, spécialisée dans la revente d'équipements électroménagers de seconde main estime que les politiques menées jusqu'ici avancent bien, avec une vraie stratégie associant l'Etat et l'Ademe. «Ça n'existe pas partout ! Par exemple, nous avons été plutôt bien accompagnés pour le développement d'Envie Autonomie, maintenant l'accompagnement foncier de nos structures serait un vrai plus pour le développement de nos entreprises», explique-t-il, prêt à lancer un investissement de deux millions d'euros pour déployer un projet d'unité d'électroménagers à Saint-Nazaire. « Ce sont des investissements structurants assez lourds. Si nous étions davantage aidés sur le foncier et les bâtiments, cela nous permettrait de nous concentrer sur la qualification et la formation des salariés. Nous sommes sur un territoire où un contrat de plan important - 3,4 milliards d'euros- a été signé entre l'Etat et la région, on aimerait que des efforts plus importants soit consacrés à la formation pour améliorer les compétences de salariés. Que ce soit dans l'industrie ou dans l'insertion, c'est un moyen de pallier le déficit de main d'œuvre», dit-il, approché par un seul des huit candidats. « L'autre point, que l'on aimerait, c'est que davantage de critères environnementaux et d'inclusion soient pris en compte lors des appels d'offres passés lors de commandes publiques. C'est un point extrêmement important pour privilégier les acteurs locaux, engagés dans des actions environnementales et d'inclusion, que ce soit chez les acteurs de l'ESS ou du secteur conventionnel. Autrement dit, il n'y a pas que le prix. Beaucoup d'efforts sont encore à réaliser. Car, un acteur national qui s'installe en cassant les prix risque de déstructurer les acteurs locaux du territoire. Il est essentiel que les investissements régionaux structurent aussi une économie de proximité», témoigne le dirigeant d'Envie 44.

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