Régionales : dans le Grand-Est, l'ouverture à la concurrence des TER fait débat

Deux lots ferroviaires, soit quatre lignes de transport de voyageurs à l'ouest de Strasbourg et au sud de Nancy, seront ouverts à la concurrence début 2023. L'exécutif régional entend réinjecter les économies dans un renforcement des fréquences des circulation de TER. Dans cette perspective, chaque candidat avance ses propositions.
La fréquentation des TER a progressé de 16 % dans le Grand-Est entre 2016 et 2020.
La fréquentation des TER a progressé de 16 % dans le Grand-Est entre 2016 et 2020. (Crédits : REGIS DUVIGNAU)

Le sujet ressemblait à une pure affaire de techniciens, mais il a pris dans le Grand-Est une orientation politique. Les opposants à Jean Rottner, président sortant (LR) du Conseil régional, s'y sont tous engouffrés. Fallait-il placer la SNCF en concurrence avec des opérateurs alternatifs pour le transport régional de voyageurs ? Selon l'exécutif sortant, la réponse n'a pas changé : c'est "oui".

Annoncée en décembre 2019, la mise en concurrence de l'exploitation des TER entrera en phase opérationnelle dans le Grand-Est au premier semestre 2023. Deux lots ferroviaires, soit quatre lignes, seront dès lors opérés selon un modèle intégré : le matériel roulant, l'infrastructure et le personnel n'appartiendront plus à la SNCF. Le premier lot porte sur la ligne entre Nancy et Contrexéville, dans les Vosges, fermée à la circulation depuis décembre 2016 et sur laquelle l'infrastructure, jugée très dégradée, est à reconstruire intégralement. Le deuxième lot comprend la ligne Epinal-Saint-Dié, fermée, mais qui sera rouverte et exploitée temporairement par la SNCF dès décembre 2021. Strasbourg-Saint-Dié et Strasbourg-Barr-Sélestat, qui dessert notamment l'aéroport d'Entzheim, sont également concernées.

Une année de retard

"La région n'était pas équipée pour établir ces contrats. Le process a pris au moins un an de retard sur les deux premières lignes", calcule François Giordani, président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) pour le Grand-Est. Le calendrier est désormais fixé et plusieurs opérateurs alternatifs, dont Transdev adossé au groupe de travaux publics NGE et à la Caisse des Dépôts, se sont déclarés intéressés. "L'expérience allemande le prouve, il est possible de produire des trains 30 % moins chers. Pour nous, dans le Grand-Est, le pari consistera à produire davantage de trains pour un coût stabilisé. Les économies seront donc réinvesties dans des commandes d'offre supplémentaire", propose David Valence, vice-président sortant du Conseil régional en charge des transports. Sur Nancy-Contrexéville, la région aimerait favoriser l'exploitation d'un matériel roulant léger, sur une infrastructure moins coûteuse, et expérimenter des trains à hydrogène "à mi-parcours de la concession" prévue pour 22 ans. Un troisième lot dit "transfrontalier", comprenant des lignes en direction de l'Allemagne situées au nord de Strasbourg et à l'est de Metz, sera ouvert à la concurrence en 2026.

La mosellane Eliane Romani, tête de liste des écologistes, se déclare opposée à une telle "privatisation" mais favorable à une "solution coopérative" qui prendrait le relais de la SNCF sur des lignes délaissées par l'opérateur historique. Eliane Romani cite le modèle de Railcoop : cette jeune coopérative établie dans le Lot souhaite faire circuler des trains de voyageurs sur l'axe Bordeaux-Lyon dès 2022. Sur l'autre liste de gauche présente dans le Grand-Est, baptisée "L'Appel inédit", la strasbourgeoise Pernelle Richardot, colistière d'Aurélie Fillippetti, dénonce les modalités de la mise en concurrence organisée par Jean Rottner. "La directive européenne qui permet l'ouverture de la concurrence n'interdit pas la mise en régie du transport ferroviaire. Une telle organisation permettrait à la collectivité de mieux suivre la qualité du service", propose Pernelle Richardot. Elle entend aussi financer la gratuité des transports pour les moins de 25 ans en instaurant une taxe poids-lourds dans l'ensemble de la région. Cette taxe poids-lourds n'est prévue, pour l'instant, qu'à l'échelle de l'Alsace.

Une société publique locale pour le suivi des contrats

Le Conseil régional ne prévoit pas d'organiser le transport en régie mais il a choisi de créer une société publique locale, la SPL Grand-Est Mobilité, afin de "doter le territoire d'un outil de pilotage opérationnel dans le contexte de la mise en concurrence du TER". Quatre collectivités (Eurométropole de Strasbourg, Metz Métropole, Mulhouse Alsace Agglomération et la Communauté urbaine de Reims) partagent avec la région ce projet de SPL dont les statuts ont été signés peu de temps avant les élections, le 23 avril dernier. Opérationnelle fin 2021, elle réalisera des études de mobilité, mettra en œuvre une politique marketing et de communication, préparera des appels d'offres et le suivi des contrats. "La Région n'entend pas devenir une société ferroviaire", a prévenu David Valence.

Rachel Thomas, référente pour les questions de transport sur la liste de Brigitte Klinkert, apparentée LREM, se déclare "favorable à la mise en concurrence des TER", mais juge que la politique de mobilité de la région "trop décousue". "Jean Rottner a fait du ferroviaire l'alpha et l'oméga de sa politique de transports", estime Rachel Thomas. "Les TER transportent seulement 165.000 passagers par jour, soit 3 % de la population du Grand-Est. Les autres prennent leur voiture et on ne pense pas assez au fret. Il faut mettre davantage de cohérence dans les politiques sur le fer, le fluvial, les routes et l'aérien", propose-t-elle. En réalité, les TER du Grand-Est transportaient 185.000 personnes par jour avant la crise du covid en 2020. "Soit 16 % de plus qu'en 2016", se félicite David Valence. Laurent Jacobelli (RN) insiste quant à lui sur le renforcement nécessaire de la sécurité dans les trains et dans les gares. Laurent Jacobelli propose d'allouer un budget annuel de 150 millions d'euros à la sécurité, qui n'est pas une compétence du conseil régional, à la faveur d'un "pacte" qui soutiendrait la création de brigades dédiées dans les transports et aux abords des lycées. Le souverainiste Florian Philippot, autre candidat de l'extrême-droite, promet de "mettre fin à la fermeture des petites lignes", et insiste, dans son programme, sur sa volonté de sortir de l'Union européenne ("Frexit"). Les traités et les règles européennes (porteuses de la mise en concurrence de la SNCF) constitueraient, selon Florian Philippot, des entraves à la liberté de passation de marchés publics entre la collectivité et ses fournisseurs locaux.

Les recettes commerciales couvrent 30 % des dépenses

Répondant à la proposition gratuité des transports formulée par les deux principales listes de gauche, David Valence propose un calcul. "Le TER coûte 484 millions par an dans la région Grand-Est. Les recettes rapportent 160 millions d'euros, soit un taux de couverture de 30 %. Nous ne pouvons pas baisser le niveau des recettes et augmenter, en même temps, notre offre de transports", observe le vice-président sortant du Grand-Est. "Il reste beaucoup à faire sur le cadencement. Nous allons produire un choc de l'offre au début du prochain mandat", propose-t-il. "Il y aura un train toutes les sept minutes et demie sur l'axe Thionville-Luxembourg, particulièrement fréquenté par les travailleurs frontaliers. Nous réduirons aussi les temps de parcours en proposant de meilleurs rabattements, afin de limiter certains arrêts dans les gares intermédiaires, et nous simplifierons la grille tarifaire des TER avec un demi-tarif généralisé pour tous ceux qui achèteront une carte à prix réduit", promet David Valence. La région devra aussi assurer ses co-financements sur deux projets majeurs d'infrastructures : le raccordement ferroviaire de l'Euroairport de Bâle-Mulhouse (250 millions d'euros) et l'amélioration de l'axe mosellan Thionville-Strasbourg, pour 260 millions d'euros. A la Fnaut, on insiste toujours sur le rattrapage du retard de la tarification multimodale, pourtant pratiquée à grande échelle dans le Bade-Wurtemberg dont les élus du Grand-Est vantent souvent l'exemple. "Nous demandons cette tarification unique depuis la réforme territoriale. Le Conseil régional du Grand-Est nous a répondu que la priorité, c'était les transports du quotidien et pas les touristes", déplore François Giordani.

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Commentaire 1
à écrit le 17/06/2021 à 17:44
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Dans mon coin les rames sont propriétés du conseil général, ça changerait pas grand-chose, sauf une: ces TER bis seront t'ils capables d'être 365 jours par an à l'heure, jamais en grève, disponibles le dimanche, des distributeurs de billets ergonomiq...

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