L'industrie de l'automédication se refait une beauté

Après des mouvements de consolidation dans le secteur pharmaceutique en 2014, les médicaments sans ordonnance profitent du boom digital et des réseaux sociaux pour rafraîchir leurs campagnes de communication. Un plan qui repose également sur l'avis du pharmacien, ce qui pose des questions déontologiques.
Marina Torre
Pour tous types de produits confondus, l'industrie pharmaceutique devrait voir son activité reculer de 0,4% en 2015 en France, contre 4,1% en 2014 selon une prévision du cabinet Xerfi.
Pour tous types de produits confondus, l'industrie pharmaceutique devrait voir son activité reculer de 0,4% en 2015 en France, contre 4,1% en 2014 selon une prévision du cabinet Xerfi. (Crédits : reuters.com)

La campagne de promotion commencerait par un clip vidéo, si possible "viral" sur les plateformes en ligne. Elle se poursuivrait avec les conseils d'un professionnel expérimenté qui inspire confiance, serait complétée par une application mobile dispensant des conseils pratiques... Et finirait sur un forum en ligne où les utilisateurs échangent leurs impressions. Un programme marketing pour une marque de rouge à lèvres ou une nouvelle ligne de chaussures? Pas seulement. En 2015, cela risque surtout de ressembler au plan de communication typique d'une... gamme de médicaments. Du moins, dans le cadre permis par les législations en vigueur, donc en priorité pour les remèdes ne nécessitant pas de prescription médicale et relevant de l'automédication.

Programmes complets

 "Nous avons, au cours des trois dernières années, plus que doublé notre budget" consacré à la promotion, indique Attila Cansun, directeur marketing de la division santé grand public chez l'allemand Merck (qui produit par exemple les vitamines Bion). Au programme, par exemple: une application mobile ciblant la communauté d'utilisateurs de ses vitamines et qui dispensera des conseils pratiques - pas forcément liés directement aux méthodes d'absorption ou aux contre-indications.  Il ajoute:

"Nous nous adressons aux gens à différents moments de leur vie et en des lieux différents. Les jeunes seniors veulent par exemple pouvoir continuer à faire du sport, de la randonnée, tandis que les futures mamans ont peut-être d'autres attentes, comme de pouvoir continuer à travailler. Selon les pays, les attentes différent aussi. En France, par exemple, notre premier marché pour la gamme Bion, nous ciblons des gens un peu déprimés ou stressés, avec des conseils spécifiques."

Pour tous et partout, un message en filigrane reste constant: "Pour être beau à l'extérieur, il faut agir de l'intérieur." Profondément cosmétique, donc...

Grands mouvements dans les bigs pharmas

En toile de fond, les mouvements de consolidation des géants de l'industrie expliquent en partie ce type de stratégie. En effet, comme les brevets des principales molécules tombent les uns après les autres à échéance, les grands laboratoires cherchent soit de nouvelles sources de profit; soit à se débarrasser d'activités dans lesquels ils s'estiment moins spécialisés. "Les big pharmas cherchent à rationaliser leurs actifs, et cela aboutit à un effet important pour le marché de la santé grand public", explique ainsi Ali Al-Bazergan, analyste santé auprès de la revue Datamonitor Healthcare.

>> Pourquoi les "big pharmas" reprennent leurs grandes manœuvres

Chez l'allemand Merck KGaA, la division santé grand public visait un chiffre d'affaires de 1 milliard d'euros, soit l'une des plus fortes croissances pour ce groupe fondé en 1668. Son rival américain qui lui fut affilié jusqu'à la Première Guerre mondiale, Merck & Co, vient quant à lui de céder sa division grand public à Bayer pour plus de 10 milliards d'euros.

Plus profondément, ce nouveau traitement du médicament sans ordonnance trouve ses racines dans des changements sociétaux. "Le consommateur prend le pouvoir", estime Uta Kemmerich-Keil, présidente de la division santé chez Merck KGaA, reprenant une théorie très en vogue chez les distributeurs de denrées alimentaires ou de vêtements. Dans le domaine de la santé, les sources d'informations multiples, accessibles sur tous supports digitaux, modifieraient également le rapport entre les marques et les patients-consommateurs. A ceci près que la confiance accordée à la source n'est a priori pas la même avant l'achat d'une robe ou celle d'une vitamine. Même si cette dernière n'a pas été prescrite par un médecin.

Le rôle du pharmacien

A cet égard, le pharmacien, acteur clé de la chaîne de distribution du médicament, voit son rôle modifié. "Le défi sera de ne pas survendre un produit", a souligné le président de la société royale de pharmacie britannique lors d'une conférence sur les médicaments grand public en novembre. "Si nous sommes perçus comme de simples promoteurs de produits qui n'apportent aucun bénéfice, nous perdrons en crédibilité", a ajouté le responsable du syndicat des officines d'outre-Manche.

Parallèlement, le financement des systèmes de santé dans les pays européens en particulier tend à être remis en cause, d'autant plus que la population y vieillit. D'où la baisse des remboursements par les organismes de sécurité sociale, lorsqu'ils existent; mais aussi - et les deux ne sont pas nécessairement liés -, l'allongement de la liste des remèdes qu'il est possible de se procurer sans ordonnance et les campagnes de promotion de l'automédication (voire enrichissement ci-dessous).

Enfin, une éventuelle autorisation de la vente des médicaments dans les supermarchés, si chère à Michel-Edouard Leclerc, voire une distribution en ligne, pourraient amplifier encore la concurrence entre les promoteurs de ces médicaments sans prescription.

Marina Torre

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