Comment les banques comptent rationnaliser leur parc de distributeurs de billets ?

BNP Paribas, Société générale et Crédit mutuel viennent d’annoncer un accord, inédit en France, de mutualisation de leur parc d’automates bancaires. En 2019, le groupe mutualiste BPCE avait lui imaginé une solution d’externalisation en confiant la gestion et la maintenance de ses guichets automatiques à la société Brink’s. Toutes les banques réfléchissent au moyen de résoudre l’équation du maintien de l’accès au cash pour le public et la baisse tendancielle du nombre de retraits effectués avec l’explosion des paiements de proximité par carte.
La France dispose de l'un des réseaux de distributeurs de billets les plus dense d'Europe avec près de 49.000 distributeurs de billets sur le territoire.
La France dispose de l'un des réseaux de distributeurs de billets les plus dense d'Europe avec près de 49.000 distributeurs de billets sur le territoire. (Crédits : Reuters)

C'est un défi que doivent relever toutes les banques : comment gérer la baisse régulière des opérations en espèces, en dépôt et en retrait, sur les automates bancaires tout en préservant l'accès au cash partout, dans toute la France ?

« La filière cash est un réel service au public qui n'a pas de rentabilité propre. Il faut donc l'optimiser d'un point de vue économique tout en assurant une continuité de présence sur le territoire », résume Laurent Benatar, directeur général Technologies et Opérations du groupe BPCE. « C'est un enjeu structurant pour notre secteur », nous confirme-t-on au Crédit mutuel.

Un coût estimé à 1,4 milliard d'euros par an

Le coût moyen d'un distributeur de billets est estimé entre 25.000 et 32.000 euros HT par an (loyers, alimentation en espèces, maintenance, sécurité), un montant à multiplier par les 48.710 automates disponibles en France. La facture pour l'ensemble des opérateurs bancaires s'élève donc à près d'1,4 milliard d'euros, dont une partie seulement est couverte par la commission interbancaire sur les retraits déplacés.

Une des réponses à la baisse de la fréquence d'utilisation des automates bancaires est connue du secteur : elle passe par la mutualisation. Une mutualisation qui a déjà fait ses preuves dans le domaine de la monétique et des paiements, avec le GIE Cartes Bancaire, Paylib (paiement mobile) ou bien Lyf Pay (cagnotte).

Création d'une co-entreprise

Trois grandes banques, BNP Paribas, Société générale et Crédit mutuel (Alliance fédérale), viennent ainsi d'annoncer un partenariat inédit en France pour la mise en commun, au sein d'une co-entreprise, de leur parc de distributeurs, soit un total de 15.000 automates (6.000 au Crédit mutuel, 5.000 à la Société générale et 4.000 pour BNP Paribas).

Une étude de faisabilité du projet vient d'être lancée avec un "go" qui devrait intervenir d'ici la fin de l'année. Le déploiement opérationnel devrait s'étaler sur plusieurs années, jusqu'à la fin 2026. Le projet est complexe : il s'agit d'interconnecter les automates à trois systèmes d'information différents afin de permettre aux clients des trois banques, sur l'ensemble du parc, non seulement de retirer de l'argent sans frais, mais aussi de consulter leurs soldes ou d'effectuer les autres opérations bancaires courantes (RIB, dépôts de chèque...).

La question de créer une nouvelle marque identifiant ce « nouveau » réseau est également posée, même si les automates resteront dans leurs locaux actuels au sein de l'agence bancaire.

Chute programmée du nombre d'automates

L'objectif est donc clair : rationaliser le parc sans pour autant réduire l'accès au cash. « Pourquoi aligner plusieurs automates de plusieurs enseignes dans une même rue alors que les machines fonctionnent à 15% de leur capacité en termes de retrait », avance un banquier participant au projet.

Le projet devrait se traduire par une baisse significative, « une chute même », selon un observateur, du nombre d'automates, du moins dans les zones urbaines. Mais pour l'heure, les promoteurs du projet se refusent à la chiffrer précisément. Ce regroupement doit d'ailleurs également accompagner le mouvement de réduction d'agences en villes, engagée notamment par Société générale avec le rapprochement de ses réseaux d'agences Société générale et Crédit du Nord.

Le sujet est sensible, notamment auprès des élus, soucieux de préserver l'accès au cash. C'est aussi une préoccupation de la Banque de France, même si elle ne cesse de réduire son réseau fiduciaire avec la fermeture programmée de la moitié de ses caisses régionales d'ici la fin 2022.

L'institution se veut pourtant rassurante en soulignant, dans son dernier rapport sur l'accès aux espèces, en juin, « que 99% de la population en métropole résident à moins de 15 minutes (en voiture) d'une commune équipée d'un distributeur ou d'un point d'accès privatif au cash ».

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L'argument est d'ailleurs repris par les trois banques partenaires. « Le sujet n'est pas le nombre de DAB mais bien leur répartition et l'accessibilité aux automates », souligne-t-on chez BNP Paribas. Chez une autre banque partenaire, on suggère même que les économies réalisées en ville permettront de mieux assurer la pérennité des automates en zones rurales ou péri-urbaines.

L'exemple belge

Les banques sont d'autant plus prudentes sur leur communication qu'une alliance similaire en Belgique déchaîne les passions. Les quatre principales banques du pays (Belfius, BNP Paribas Fortis, ING et KBC) ont créé l'an dernier la société Batopin afin d'exploiter en commun, d'ici 2025, leurs 5.000 distributeurs de billets (75 % du parc total actuel), sous une nouvelle enseigne « neutre », Bancontact Cash et, le plus souvent, dans des nouveaux locaux, indépendants des agences bancaires. Les six premiers points Cash ont été ouverts en septembre dernier. A noter que des projets de mutualisation ont également été lancés en Finlande, en Suède et aux Pays-Bas.

Le hic, qui fait bondir les associations de consommateurs belges, c'est ce projet de mutualisation doit se traduire non seulement par une facturation de services jusqu'ici gratuits mais, surtout, par une division par deux du parc concerné, soit en bout de course, entre 2.000 à 2.400 automates restants, répartis dans 700 emplacements. La pilule a d'autant plus de mal à passer que le nombre de distributeurs a déjà diminué en Belgique de 15 % en dix ans à 6.940 à la fin 2020.

Vers une disparition du cash ?

En Belgique, comme en France, la disparition programmée du cash et les nouveaux comportements de consommation sont avancés pour justifier la rationalisation du parc des automates. La question qui se pose depuis plusieurs années est aujourd'hui encore plus d'actualité avec l'explosion du paiement sans contact (+50% en 2020) et son adoption massive par les commerçants de proximité depuis la crise sanitaire.

Dans le cœur des Français, l'usage de la carte bancaire est désormais plébiscitée (à 86% selon le dernier baromètre CB/Kantar). La part des transactions en espèces dans les magasins de proximité en France ne cesse de baisser, à 60% en 2019, soit avant la pandémie.

Mais la disparition du cash est loin d'être une certitude. Toutes les études de la Banque de France convergent sur la conclusion que ce sont les clientèles les plus modestes qui sont les plus fortement utilisatrices de cash. Attention, donc, à ne pas créer de fracture fiduciaire !

Et ce n'est seulement une question d'accessibilité pour les plus défavorisés.

« Hors la période exceptionnelle de l'an dernier, la baisse du nombre des retraits s'inscrit dans une tendance lente et régulière, mais finalement difficile à apprécier. Il existe en effet des écarts importants entre les régions, voire même entre les villes d'une même région. Ce que l'on constate est que l'utilisation intensive du cash existant avant la crise sanitaire dans certaines régions revient de manière vigoureuse », relativise Laurent Benatar.

Pour les banques, supprimer un automate n'est donc pas une décision facile (tant ce service est consubstantiel au service bancaire de base), même si cette rationalisation peut paraître plus aisée en centre-ville où les agences bancaires se bousculent. D'autant que le cash n'est pas seulement un moyen de paiement, loin de là. C'est également, et surtout, un support d'épargne de précaution, toujours très apprécié. Le bas de laine sous le matelas a encore de beaux jours devant lui. D'ailleurs, l'émission de billets par la banque centrale européenne ne cesse d'augmenter.

Le pari de l'externalisation

C'est pour éviter des ruptures que le groupe BPCE (Banques populaires et Caisses d'épargne) a opté, dès 2018, pour un autre schéma de rationalisation de son parc (11.000 automates). Le groupe a en effet confié l'exploitation et la maintenance de ses automates à Brink's, spécialisé dans le transport de fonds, pour non seulement unifier les supports informatiques et les prestataires, qui étaient nombreux au sein du groupe, mais aussi développer des solutions afin de mieux anticiper les besoins en cash de chaque automate et prévenir les pannes.

Le groupe a choisi cette solution d'externalisation car il avait déjà une taille critique en nombre d'automates, même si la banque n'exclut pas d'accueillir d'autres partenaires. D'ailleurs, Brink's développe lui-même, sur la base des solutions développées avec BPCE, ses propres points Cash, à la demande souvent d'élus souhaitant équiper leur commune désertée par les agences bancaires.

Ce chantier d'externalisation est de longue haleine : décidé en 2018, le premier pilote a démarré fin 2020 et le dispositif est en cours de déploiement depuis le second trimestre. A ce jour, 1.200 automates sont sous-traités et l'extension à la totalité du parc est prévue à la mi-2022. Le gros des économies prévues provient de la réduction du nombre des tournées de maintenance, et plus à la marge, de la réduction du nombre d'automates, surtout en centre-ville, où les doublons coûtent, il est vrai, cher à entretenir.

Vers le "commerçant-automate" ?

Plus discret, Crédit agricole, premier réseau d'automates en France avec 16.000 machines, est également engagé depuis plusieurs années dans un vaste chantier de rationalisation et de modernisation, avec la création d'une plateforme informatique unifiée et une maintenance commune.

Officiellement, sa priorité reste « l'accès au cash pour tous et partout ». Il dispose aussi, pour les zones rurales, de ses 6.000 "points verts", des commerçants qui peuvent délivrer du cash aux clients de la banque. Un dispositif très efficace et qui se développe.

Pour l'heure donc, pas de projet d'externalisation, ni de mutualisation.« Toutes les banques réfléchissent à la même chose et il faut donc s'attendre à des annonces sur ce terrain dans les prochains mois », glisse cependant un banquier.

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Commentaires 6
à écrit le 07/10/2021 à 12:27
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Solution : renationaliser la banque postale à 100%, y inclure un service public de DAB facturé 1€ par retrait aux banques privées et assurer une présence locale, à minima, dans toutes les communes de plus de 1000 habitants. Mais bon, pour ça, il faut...

le 07/10/2021 à 16:21
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Sans vouloir rentrer dans les considérations politiques, créer des DAB partout qui sera répercuté sur tous les usagers, qu'ils les utilisent ou non, à l'heure où tout et n'importe quoi se paie par carte sans problème, c'est être déconnecté des réalit...

à écrit le 07/10/2021 à 8:00
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Les DAB vont finir à FRANCE SERVICE les agences publiques à tout faire ?

à écrit le 06/10/2021 à 19:26
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Il serait temps et toutes les banques devraient participer, pourquoi cela n'a t'il pas été fait avant ?

à écrit le 06/10/2021 à 18:32
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Elles l'ont déjà fait : ça s'appelle les déserts bancaires. Rien de nouveau.

à écrit le 06/10/2021 à 18:06
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Les banquiers veulent bien notre pognon, mais pour nous le remettre à disposition, ça les pique un peu. Sur qu'ils préfèrent spéculer avec nos sous, ça rapporte plus... jusqu'au jour où tout s'effondrera.

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