Le digital, poche de résistance des fusions-acquisitions de PME

Dans la zone euro, le segment du « mid-market » demeure à l’écart de la reprise du marché global des fusions-acquisitions. A l’exception notable du secteur du numérique, tiré par les impératifs de transformation digitale des entreprises traditionnelles.
Christine Lejoux
Au cours des neuf premiers mois de l’année 2015, les fusions-acquisitions de PME au sein de la zone euro ont fléchi de 6% en volume, et de 9% en valeur par rapport à la même période de 2014, selon l’indice trimestriel publié par Argos Soditic.

Changement de paradigme, sur le marché des fusions-acquisitions. La crise financière de 2008 et la récession économique qui s'était ensuivie avaient donné un coup d'arrêt aux « méga-deals », supérieurs à 5 milliards de dollars. Par contraste, le « mid-market », c'est-à-dire le marché des fusions-acquisitions de PME et d'ETI, était apparu comme un eldorado, dont même les très grandes banques redécouvraient les charmes avec délices. Mais la tendance s'est inversée depuis deux ans, avec le retour en force des grandes opérations de fusions-acquisitions stratégiques. Tirés par des liquidités abondantes et bon marché, couplées à un regain de confiance des dirigeants d'entreprise dans les perspectives macro-économiques, sans oublier des matières premières moins onéreuses, ces « méga-deals » ont porté en 2015 le marché mondial des fusions-acquisitions à un record depuis 1980, avec 4.600 milliards de dollars de transactions annoncées, selon Thomson Reuters.

La seule Europe a totalisé l'an dernier 880 milliards de dollars d'opérations, son plus beau millésime depuis 2008. Une euphorie à laquelle le « mid-market » n'a pas participé : au cours des neuf premiers mois de l'année 2015, les fusions-acquisitions de PME au sein de la zone euro ont fléchi de 6% en volume, et de 9% en valeur par rapport à la même période de 2014, selon l'indice trimestriel publié par Argos Soditic. La société de capital-investissement invoque notamment un « pool réduit d'entreprises moyennes de qualité pouvant être reprises, conséquence de la crise financière », d'où des acquéreurs qui « font preuve d'une certaine sélectivité. » De fait, si ces derniers se contentaient sur la période 2011/2014 de cibles dégageant une marge médiane d'excédent brut d'exploitation (EBE) de 13,3%, ils ont depuis relevé leurs exigences, en jetant leur dévolu, ces six derniers mois, sur des proies dotées d'une marge médiane d'EBE de 17,4%.

Le ressort de la transformation digitale des entreprises

Voilà pour la photographie globale. Mais tout n'est pas sombre sur le marché européen des fusions-acquisitions de PME. « Sur le terrain, nous ressentons un marché très animé, avec des multiples de valorisation en hausse. Les sociétés de services informatiques sont par exemple valorisées aujourd'hui 8 à 8,5 fois leur excédent brut d'exploitation (EBE), soit une hausse de 0,5 à 1 point par rapport à 2014, hausse qui peut être généralisée à l'ensemble du marché », nuance David Salabi, associé-fondateur chez Financière Cambon. Il faut dire que cette banque d'affaires indépendante, créée à Paris en 2003 et positionnée sur des opérations d'une valeur d'entreprise de 100 millions à 200 millions d'euros, oeuvre sur un créneau des plus porteurs, à savoir celui des technologies de l'information et du numérique.

Financière Cambon profite donc à plein de la transformation digitale que la plupart des entreprises traditionnelles sont contraintes d'opérer. La banque d'affaires a ainsi conseillé les fondateurs du Potcommun.fr, dans le cadre du rachat de cette cagnotte en ligne par le groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d'Epargne), au mois de septembre. « Nous sommes en train d'entrer d'autres deals dans le secteur des fintech [startups spécialisées dans les technologies financières ; Ndlr], aussi bien dans le domaine des levées de fonds que dans celui des fusions-acquisitions, les banques étant à l'affût de ces sociétés », indique David Salabi.

Pas de phénomène de bulle

C'est également en septembre que s'est débouclée la vente de l'activité de signature électronique du Français OpenTrust à l'Américain DocuSign, une autre opération sur laquelle Financière Cambon avait planché, toujours pour le compte des cédants. En effet, sur la vingtaine de transactions menées chaque année par Financière Cambon, la moitié sont des opérations transfrontalières. Une tendance qui a d'ailleurs poussé la banque d'affaires, déjà présente à Londres, à ouvrir un bureau à San Francisco, il y a environ un an, afin de mieux cerner les besoins des investisseurs américains, qu'ils soient financiers ou industriels. Des investisseurs qui, après quelques années de « French bashing », ont retrouvé de l'appétit pour les entreprises françaises dites « de croissance », qui développent des compétences pointues et briguent un leadership international, à l'image de Sigfox ou de BlaBlaCar. Deux noms emblématiques des « licornes », ces startups valorisées au moins 1 milliard de dollars, qui soulèvent la question de la formation d'une éventuelle bulle dans le secteur digital.

« Certaines sociétés, dont le chiffre d'affaires croît de 30% par an, qui révolutionnent les habitudes de consommation à la manière d'un Uber et qui visent un leadership mondial, peuvent être valorisées bien plus de 15 fois l'EBE. Mais ce genre de valorisation n'est pas généralisé à l'ensemble du marché, contrairement à ce qui s'était produit au début des années 2000, si bien qu'il n'existe pas aujourd'hui de phénomène de bulle », rétorque David Salabi.

Sur un marché des fusions-acquisitions de PME qui fait grise mine, le digital fait donc figure de poche de résistance. Ce qui n'a évidemment pas échappé aux autres banques d'affaires, qu'il s'agisse de maisons généralistes ou de spécialistes du numérique comme la jeune eCap Partner. Pas de quoi inquiéter David Salabi : « Le marché français du conseil en fusions-acquisitions sur le mid-market est concurrentiel mais il reste très viable, la demande étant largement supérieure à l'offre. De plus, les acteurs très structurés, qui associent compétences, ingénierie financière poussée et intermédiation, ne sont pas si nombreux. »

Christine Lejoux

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