« Lorsque la dette repose sur la signature de l'État ou des élus, elle est levée dans de bonnes conditions » (Agence France Locale)

GRAND ENTRETIEN. « Dette verte », « Fonds vert », tiers-financement des rénovations des bâtiments publics... la transition écologique est LA priorité des élus locaux. Créée en 2013 par et pour les collectivités locales, l'Agence France Locale vient de publier un nouveau rapport sur ses émissions durables d'un total de 1 milliard d'euros. Dans une interview accordée à La Tribune, son président Yves Millardet et sa directrice des adhésions et du crédit Laurence Leydier reviennent sur ces nouveaux dispositifs « à condition que cela ne crée pas de bouleversements majeurs dans leur capacité à lever de la dette et tant que ce n'est pas de la dette pour financer de la dette ».
César Armand
De gauche à droite: Yves Millardet, président de l'Agence France Locale (AFL), et Laurence Leydier, directrice des adhésions et du crédit de l'AFL.
De gauche à droite: Yves Millardet, président de l'Agence France Locale (AFL), et Laurence Leydier, directrice des adhésions et du crédit de l'AFL. (Crédits : Agence France locale)

LA TRIBUNE - L'Agence France Locale, banque créée par et pour les collectivités, s'apprête à fêter ses dix ans. Quel bilan en tirez-vous ?

YVES MILLARDET, président de l'Agence France Locale (AFL) - En 2013, nous lancions un projet extrêmement ambitieux et difficile : construire une banque à partir de zéro. Dix ans après, nous avons octroyé près de 7 milliards d'euros de crédits aux élus locaux. Nous avons même les comptes à flot depuis trois ans. Au début de notre aventure, nous devions promettre pour convaincre nos interlocuteurs. Aujourd'hui, la force de notre modèle est connue, sa performance financière pour nos membres commence à délivrer ce qui était attendu.

LAURENCE LEYDIER, directrice des adhésions et du crédit de l'AFL - Preuve en est : en 2022, l'Agence France Locale a été rejointe par 103 collectivités portant à 599 le nombre de membres. Nos collectivités actionnaires représentent 23% des collectivités françaises en poids budgétaire et nous occupons désormais le 4e rang des prêteurs bancaires des territoires ! Pour monter sur le podium, il nous reste du chemin, mais nous avons déjà démontré l'importance de notre modèle dans le paysage des financeurs.

Vous venez de publier votre deuxième rapport sur vos émissions durables émises en juillet 2020 et de janvier 2022 de chacune 500 millions d'euros. Vers quels projets ont-ils été fléchés ?
Y. M. - Nous croyons fermement que nous pouvons accompagner les collectivités vers une plus grande compréhension de la finance verte en les aidant à accélérer leurs investissements. Pour ce faire, nous avons créé un dispositif unique qui, de manière extrêmement simple et automatisée, leur permettra d'accéder à des financements durables.

L.L. - Quelle que soit sa taille ou son type, toute collectivité a accès à nos financements et donc à notre refinancement durable. Notre particularité est de ne pas orienter l'investissement de nos actionnaires, mais bien de l'accompagner. Rappelons d'ailleurs que l'emprunt des collectivités n'est pas affecté.

Entre la crise de l'énergie et le projet de loi sur l'accélération des renouvelables, la transition écologique est-elle néanmoins au programme ?
L.L. - La transition écologique est en marche dans les collectivités, et ce, depuis le début des années 2000. Notre rôle n'est pas de leur dicter leurs actions, mais de leur donner la capacité à faire. Nous pouvons les accompagner via le partage des bonnes pratiques, comme le travail que nous sommes en train de mener avec l'Institut national des études territoriales [Inet, école de formation des cadres dirigeants des collectivités territoriales, Ndlr] sur la rénovation énergétique des bâtiments. Ensuite, nous leur proposons des financements leur permettant d'accomplir ce pourquoi ils ont été élus par la population de leurs territoires, nous n'avons pas à nous ingérer dans leur plan de route.

Y.M. - Notre conseil d'administration est très attaché à ce que nous laissions nos membres décider de leurs investissements. Nous ne sommes pas là pour leur dire ce qu'ils doivent faire, mais les conseiller sur ce qui est bien ou qui l'est moins au strict point de vue financier. Autant, en tant que banque, nous sommes attachés à l'analyse de leur solvabilité, pour autant, nous ne souhaitons en aucun cas faire du contrôle d'opportunité, pas même via le fléchage de certains financements.

Comment allez-vous vous articuler avec le « Fonds vert » de 2 milliards d'euros pour aider les maires ?

Y.M. - Ce « Fonds vert » va dans le bon sens car il apporte des financements directs aux maires qui vont, dès lors, démultiplier leurs investissements.

L.L. - Nous devons collectivement trouver des outils de création de valeur et faciliter l'accès à l'ingénierie bien au-delà des fonds, des subventions et de l'accès à l'emprunt.

Dans ce cas, que pensez-vous de la proposition de loi sur le tiers-financement des rénovations des bâtiments publics, tout juste adoptée par l'Assemblée nationale ? N'est-ce pas un emprunt comme un autre ?

L.L. - L'enjeu majeur d'un tel dispositif, comme les contrats de partenariat par le passé, réside dans la capacité des collectivités à s'assurer que le montage financier ainsi réalisé est aussi compétitif et transparent qu'un financement bancaire classique. Le dispositif peut être un levier de gain de temps, mais il ne crée pas de valeur.

Y.M. - Nous ne pouvons pas reprocher à ce gouvernement de faire feu de tout bois pour trouver des solutions, même si nous avons déjà connu ces mêmes réflexions sur les bâtiments hospitaliers si bien que nous ne découvrons pas le sujet. Toujours est-il que la question de l'optimisation des coûts est essentielle. La force de l'État et des collectivités, c'est que, lorsque la dette repose sur leur signature, elle est levée dans de bonnes conditions. Quand elle l'est sur des personnes privées, elle coûte beaucoup plus cher. L'équilibre recettes/dépenses et la présence exclusive de l'emprunt dans les dépenses d'investissement constituent les principales règles budgétaires appliquées aux collectivités. Elles sont extrêmement strictes mais restent un élément important de leur excellente solvabilité. Nous pouvons toujours inventer des nouveaux dispositifs, mais à condition que cela ne crée pas de bouleversements majeurs dans leur capacité à lever de la dette, et tant que ce n'est pas de la dette pour financer de la dette.

À cet égard, que vous inspire les réflexions du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu sur la dette verte ?

L.L. - La dette verte, les budgets verts, les budgets décarbonés... sont des outils au service des collectivités pour porter l'investissement à destination des transitions. Ils ne sont pas toujours adaptés, selon la taille de la collectivité et les moyens dont elles disposent, mais ces dispositifs font partie de notre trajectoire collective.

A contrario, quelles sont vos lignes rouges ?

Y.M. - Nous ne pouvons financer des dettes que lorsque le risque est porté par la collectivité ou assimilé. Si la nature des risques portés au bilan était modifiée, nous serions en rupture avec notre modèle.

L.L. - In fine, l'octroi de financement n'a qu'un seul critère : la capacité de la collectivité à rembourser son prêt et à conserver des marges de manœuvre. C'est clairement notre pilier, le prêt à tout prix n'a pas grand sens. Il doit rester un des leviers de l'investissement au côté de l'autofinancement, des dotations, des fonds. Il ne fait pas tout.

César Armand

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Commentaires 2
à écrit le 06/02/2023 à 14:30
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Pour les investisseurs, peut être, pour l'Etat et les collectivités, c'est moins sûr ...

à écrit le 06/02/2023 à 14:27
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Je ne vois pas comment une dette peut être verte. Une dette, c'est ce qu'on fait quand on veut continuer à consommer, donc continuer à polluer, sans même en avoir les moyens. Le concept de dette est aux antipodes de l'écologie

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