« Notre ambition est d'être une banque responsable et inclusive » (Philippe Heim, La Banque Postale)

ENTRETIEN. Transformer les services financiers de La Poste en une banque moderne, diversifiée et internationale, avec un bilan multiplié par 7, est le défi mené depuis 16 ans, date de création de la banque, et ce sans trahir son ADN de service public. L'année 2022 a été à cet égard riche en développement, avec la finalisation de l'intégration à 100% de CNP Assurances, le lancement de la nouvelle banque de financement et d'investissement et de la nouvelle franchise de banque privée, Louvre Banque Privée. Ces dernières heures ont également vu le renouvellement du directoire et l'annonce de l'acquisition de la Financière de l’Échiquier pour créer un nouvel acteur majeur de la gestion de convictions, avec 67 milliards d'euros d'encours sous gestion. Avec un résultat net (hors amortissement des survaleurs) de 1,85 milliard d'euros en 2022 et un ratio de solvabilité CET1 de 14,7%, La Banque Postale a les moyens « d’accélérer », selon Philippe Heim, président du directoire, sa croissance. Pour La Tribune, Philippe Heim, précise sa vision stratégique de La Banque Postale pour les prochaines années, une banque qui sera jamais tout à fait comme les autres.
Comme prévu, l'ancien dirigeant de la Société générale Philippe Heim a été reconduit pour un mandant de cinq ans à la tête de La Banque Postale.
Comme prévu, l'ancien dirigeant de la Société générale Philippe Heim a été reconduit pour un mandant de cinq ans à la tête de La Banque Postale. (Crédits : Julien Millet)

La revalorisation du Livret A, induite par l'inflation, a eu un effet immédiat sur le stock tandis que la hausse des taux courts a été plus progressive. L'équation sera même plus compliquée pour les banques de détail en 2023. Cela souligne d'ailleurs toute la pertinence de la stratégie de diversification.

Philippe Heim, président du directoire de La Banque Postale

LA TRIBUNE - Vous venez d'être renouvelé pour un mandat de cinq ans à la tête de La Banque Postale. Comment définissez-vous aujourd'hui le positionnement de La Banque Postale ?

PHILIPPE HEIM - La Banque Postale, c'est tout d'abord 20 millions de clients, c'est-à-dire la banque de tous les Français. Nous sommes à la fois la banque des villes, de la ruralité, des montagnes, de l'outre-mer. Nous représentons la population française, de la clientèle en situation de fragilité aux clients patrimoniaux. C'est également une banque diversifiée. Le modèle traditionnel de la banque de détail, qui était la colonne vertébrale de La Banque Postale, avait besoin d'être renforcé. L'opération majeure est bien évidemment la prise de contrôle à 100 % de CNP Assurances, qui s'est réalisée en plusieurs étapes avant d'être finalisée en juin dernier. Nous avons également déployé la banque d'investissement et de financement, avec des positions solides auprès des collectivités locales et une empreinte qui s'étend auprès des ETI et des grandes entreprises. Nous avons également développé la filière de banque privée, avec une nouvelle marque, Louvre Banque Privée, qui représente quelque 73 milliards d'euros d'actifs sous gestion.

La Banque Postale est-elle devenue une banque comme les autres ?

Non, car elle conserve son ADN postal. Et nous revendiquons être une banque citoyenne, c'est-à-dire une entreprise à mission, engagée dans la finance à impact et qui a décidé de sortir des secteurs du pétrole et du gaz à horizon 2030. Nous sommes même l'une des premières banques au monde dont la trajectoire de décarbonation a été validée par le SBTi (organisme international de certification des trajectoires de décarbonation, NDLR).

Toutes les banques se déclarent engagées dans la finance verte alors même que les ONG augmentent la pression sur le secteur pour accélérer sur le climat. Aujourd'hui, cela a-t-il un sens de se proclamer leader de la finance à impact ?

De par notre histoire, nous sommes proches des critères ESG. Nous sommes la banque la plus investie auprès des clientèles en situation d'exclusion bancaire, de par notre mission d'accessibilité bancaire. Nous avons aussi avec La Poste cette mission de service public confiée par l'État, d'aménagement du territoire, avec un ancrage territorial fort, 17.000 points de contact, dont 7.000 bureaux de poste, dans des territoires parfois délaissés par tous. Notre projet n'est pas de devenir la plus grande banque française. En revanche, notre ambition est d'être une banque responsable et inclusive. Nous visons un leadership en termes de finance à impact, cela traduit notre volonté de l'expérimenter, d'être un laboratoire de solutions en matière de finance durable. Nous voulons construire des offres pour que nos clients soient des acteurs de la transition. Il y a des offres très classiques, comme les prêts verts pour les entreprises. Auprès des particuliers, 1 euro sur 2 financés aujourd'hui est un crédit conso à impact. Nous proposons ainsi des taux bonifiés sur le crédit automobile pour l'achat d'un véhicule électrique ou hybride. Et si le client n'a pas les moyens d'acheter un véhicule électrique, nous nous engageons à compenser pendant deux ans l'empreinte thermique de son véhicule en achetant des droits de compensation. Dans l'épargne, 100 % des fonds de notre filiale de gestion d'actifs LBP AM sont déjà labellisés selon la norme française ISR.

En réalité, c'est dans tout le fonctionnement de la banque, de l'offre à nos processus internes, que nous incorporons la notion d'impact. Nous travaillons d'ailleurs sur le déploiement d'un indice d'impact global qui va prendre en compte, sur un crédit par exemple, l'ensemble des impacts écologique, territorial ou social. Cela devrait nous permettre de généraliser les bonifications sur les crédits dès cette année, en fonction de ce score.

Les réglementations sur le climat deviennent de plus en plus complexes. Ne redoutez-vous pas que l'Europe soit en train de se noyer dans une forme de bureaucratie extrafinancière alors que les Américains adoptent une approche plus pragmatique ?

Le secteur bancaire sait gérer la complexité. Il est important de fixer des critères et des normes, surtout à l'heure où il y a beaucoup d'incrédulité ou de défiance de la part des investisseurs et des épargnants. C'est complexe et il faudra que chacun fasse preuve de pédagogie.

Que pensez-vous de l'idée que le Livret A puisse contribuer au financement du programme nucléaire ?

Le fléchage des encours du livret A relève des pouvoirs publics. Il y aura un besoin d'investissement considérable dans les prochaines années, qui sera compliqué à boucler uniquement par les financements de marché ou les financements bancaires. L'idée de drainer une partie de l'épargne vers des financements longs mérite donc d'être étudiée, des lors que cela ne fragilisera pas le financement du logement, compte tenu des montants concernés.

Lire aussiLe Livret A, superstar de l'épargne, est prêt pour de nouvelles missions

Avez-vous souffert de la remontée des taux ?

La réponse est clairement oui. Nous sommes passés d'un choc de taux négatif pendant presque dix ans à un choc d'inflation. En tout état de cause, l'augmentation des taux aura un effet bénéfique pour les banques, mais cet effet sera différé dans le temps, compte tenu d'un effet de latence important. Je pense que le bénéfice de la remontée des taux ne se fera pas sentir pour le secteur bancaire avant la mi-2024. La revalorisation du Livret A, induite par l'inflation, a eu un effet immédiat sur le stock tandis que la hausse des taux courts a été plus progressive. L'équation sera même plus compliquée pour les banques de détail en 2023. Cela souligne d'ailleurs toute la pertinence de la stratégie de diversification de la Banque Postale, y compris à l'international où nous visons 20% de nos revenus d'ici 2025.

Est-ce que vous réfléchissez aussi à des nouvelles frontières bancaires ?

La banque de demain ne repose pas seulement sur une diversification des métiers mais aussi sur une agrégation de services. L'innovation passera par la création, en modèle ouvert, de nouvelles « verticales de métier », B2B ou B2B2C, qui intègrent toute une palette de services, dans des secteurs comme la mobilité, la santé ou bien la « silver economy ». La banque n'a pas vocation à tout faire. Elle est un point de passage naturel pour les clients retail mais aussi entreprises. La Banque Postale mais plus globalement les grands groupes financiers publics ont comme atout une palette de services et de briques, qui, agrégés, pourraient constituer ces verticales. Cela fait partie de nos réflexions avec La Poste et la Caisse des Dépôts et Consignations.

Face à la conjoncture qui se dégrade, êtes-vous inquiet pour 2023 ?

Nous ne voyons pas aujourd'hui de sinistralité particulière sur la clientèle de particuliers ou sur la clientèle entreprise. Le marché du crédit immobilier est tout à fait robuste. Notre coût du risque reste faible, à 16 points de base. Et sur les entreprises, le taux de défaillance se normalise mais il reste inférieur à 2019. Le point de vigilance portera sur les secteurs qui sont plus particulièrement impactés par la hausse des prix de l'énergie. Mais beaucoup d'entreprises ont encore le bénéfice des liquidités apportées par les PGE.

Aucun signe de craquements sur le crédit à la consommation ?

Nous sommes toujours en forte croissance, de 10 % l'an dernier. Nous avons démarré cette activité en 2011, après les lois Lagarde, avec toujours beaucoup de prudence pour ne pas exposer notre clientèle en risque de surendettement. Le crédit à la consommation est un marché en pleine évolution depuis cinq ans, avec de nombreuses innovations. Le paiement fractionné, que nous avons lancé l'an dernier avec notre fintech Django, en fait partie car notre intuition est que le paiement fractionné est l'antichambre du crédit personnel. Si on veut être présent dans le crédit à la consommation, on doit développer des solutions de paiement fractionné, qui seront soumises bientôt à la double contrainte du TAEG (et donc du taux d'usure) et de l'analyse de la solvabilité. Deux contraintes que nous avons intégrées dans notre offre dès le lancement de cette activité.

Vous avez lancé un programme de modernisation de 1.600 bureaux de poste d'ici 2025 pour un investissement de 500 millions. Etes-vous en retard d'une guerre à l'heure de la réduction tendancielle des agences bancaires ?

Le maintien de notre réseau physique important est un élément central dans la proposition de valeur de La Banque Postale. C'est cette notion de proximité, d'accessibilité qui fait la différence. Mais notre idée est bien celle d'un réseau « augmenté ». La modernisation de notre réseau s'accompagne aussi de la digitalisation de nos parcours, de nos offres et de nos process. En trois ans, nous avons mis en place des outils digitaux et des apps qui sont maintenant aux meilleurs standards du marché. En janvier dernier, nous avons lancé 27 nouveaux parcours de souscription et de gestion de produits qui fait que notre application mobile est l'une des plus complètes du marché. Nous avons fait d'énormes progrès et c'est absolument nécessaire pour répondre à la nouvelle manière de consommer la banque, sans que cela soit contradictoire avec le fait de maintenir un réseau physique moderne.

Lire aussiNeutralité carbone en 2050 : comment Bouygues, Eiffage, La Poste et Saint-Gobain avancent vers cet objectif

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 02/03/2023 à 10:13
Signaler
Pour la copropriété (8) on avait depuis le début (2008) un compte 'Associations de proximité' mais l'avons résilié (sur mes conseils + vote, de trésorier & syndic bénévole), les frais de tenue de compte augmentaient (très) fortement, afin de rejoindr...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.