
L'effet taux a joué à plein. Sur le mois de janvier, la collecte nette sur le Livret A est positive de 9,27 milliards d'euros, selon les chiffres de la Caisse des dépôts, un montant jamais atteint depuis 2009 ! « Le rebond de janvier 2023 se distingue par sa force. Les ménages ont décidé, sans nul doute, de profiter à plein du relèvement de la rémunération à 3 % en réduisant leurs liquidités non rémunérés sur leurs comptes courants», analyse le Cercle de l'épargne. Avec le Livret développement durable et solidaire (LDDS), la collecte nette dépasse les 11 milliards d'euros pour l'ensemble des réseaux.
Seuil psychologique
Certes, janvier est traditionnellement un mois favorable à la collecte, avec des ménages gorgés d'étrennes. Mais, à 3 %, le taux de rendement semble se rapprocher de ce que les experts nomment le « seuil psychologique », c'est-à-dire le taux au-delà duquel les ménages commencent à s'intéresser à la rémunération de son épargne, quitte à effectuer des arbitrages au sein de leur patrimoine financier. Or, les ménages sont toujours en épargne excédentaire, avec notamment quelque 700 milliards d'euros de dépôts à vue non rémunérée, à la fin septembre 2022, selon les chiffres de la Banque de France. Selon des statistiques provisoires, plus de 16 milliards d'euros ont été sortis des comptes à vue au quatrième trimestre 2022.
Cet arbitrage ne fera pas l'affaire des banques, qui doivent gérer un actif à taux fixe (des crédits) et un passif qui s'ajuste plus vite à la remontée des taux (livrets, dettes financières), même si les dépôts à vue jouent un rôle d'amortisseur. A condition qu'ils ne fondent pas comme neige au soleil.
Un pactole de 520 milliards d'euros
Selon l'agence de notation Fitch, un taux du Livret A à 3 % et celui d'un LEP à 6 % a un impact négatif sur le chiffre d'affaires de l'ordre de 2,4 milliards d'euros en année pleine, soit 1,4% du produit net bancaire des banques françaises. « L'impact est logiquement le plus marqué pour les activités de banque de détail en France, et si l'on rapporte ces 2.4 milliards au seul PNB de ces activités de banque de détail, cela représente près de 4% du PNB annuel », précise Rafael Quina, directeur chez Fitch.
Alors que les livrets A et LDDS ont déjà gonflé de 40 milliards d'euros en 2022, la question se pose de l'utilisation de ces fonds. En théorie, le livret A est destiné au financement du logement social et le LDDS au financement de transition énergétique ou de l'économie solidaire. Ils représentent, à eux deux, quelque 520 milliards d'euros d'encours, qui est très loin d'être totalement mobilisée au financement de projets de long terme.
Bercy n'a pas caché son interrogation sur l'utilité réelle du LDDS. « Ce livret n'a de durable et de solidaire que le nom », avait ainsi lâché le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, en janvier dernier lors de la présentation du rapport du think tank The Shift Project, très pro-nucléaire. Le LDDS, lointain hériter du Codevi qui devait être au service des PME, représente tout de même 136 milliards d'euros d'encours. Le ministre avait alors relancé l'idée d'un livret vert, un peu moins liquide, un peu plus risqué, idée qui n'a pas suscitée depuis un enthousiasme débordant.
Réflexions tous azimuts
De son côté, Eric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, a indiqué en janvier dernier, lors d'une audition à l'Assemblée nationale, réfléchir « avec EDF et l'État sur la façon de structurer le financement » du programme nucléaire, dont la relance est souhaité par le président Emmanuel Macron.
Le coût de ce programme de six réacteurs de nouvelle génération EPR2 est estimé par EDF à 51,7 milliards d'euros (hors coûts de financement, alors que les taux oscillent entre 4 et 6% sur les marchés), plus 4,6 milliards en cas de difficulté de mise en œuvre. Un coût hors de portée pour les seules épaules d'EDF, déjà très lourdement endetté (64,5 milliards d'euros).
Or, dans ces réflexions, l'argent du Livret A pourrait être en partie mobilisée, sous réserve de ne pas nuire au financement du logement social. Encore faudra-t-il expliquer aux épargnants que leurs économies financent le nucléaire, une question certes moins clivante que dans le passé mais toujours sensible dans l'opinion publique. Le politique devra donc trancher, d'autant que le taux d'épargne exceptionnellement élevé des Français n'est pas prêt de se réduire au profit de la consommation.
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