Dans les territoires, des "espèces" en voie de disparition

Les pouvoirs publics se penchent sur l'accès des Français au cash, à l'heure où les banques ferment les DAB et regroupent les agences. Le diagnostic est contrasté, des alternatives existent.
Delphine Cuny
Le Crédit Agricole a de loin le plus vaste réseau avec 12.600 automates, plus du double de BNP Paribas (5.760 DAB) et près du triple de Société Générale (4.300), plus que La Banque Postale (7.700).
Le Crédit Agricole a de loin le plus vaste réseau avec 12.600 automates, plus du double de BNP Paribas (5.760 DAB) et près du triple de Société Générale (4.300), plus que La Banque Postale (7.700). (Crédits : Reuters)

Chamboulive en Corrèze, à une vingtaine de kilomètres au nord de la préfecture, Tulle. Son église XIIe-XVe siècle, classée monument historique, au portail gothique flamboyant. Et son unique distributeur automatique de billets (DAB), star d'un jour du JT de TF1 et objet de toutes les attentions du maire, Noël Martinie. Dans cette petite commune de 1.200 habitants, l'édile a rassemblé 850 signatures sur sa pétition en faveur du maintien de ce dernier DAB, dont le Crédit Agricole envisageait la fermeture. Sa disparition laissait craindre une baisse du chiffre d'affaires des commerces locaux et de la vitalité économique du village. Le maire a proposé à la Banque verte de racheter l'ancien local de l'agence fermée depuis une dizaine d'années, attenant à la mairie, et de le lui louer pour une somme symbolique tout en réutilisant la surface. « C'est en bonne voie », nous indique le maire. « Après un début délicat, une solution va aboutir » espère-t-il. Des aides publiques pourraient couvrir un tiers de l'investissement.

Plus de 3.800 fermetures depuis 2013

L'automate n'enregistrait pas assez d'opérations pour couvrir les frais d'exploitation : 1.200 par mois alors qu'il en faudrait le double. En moyenne, un DAB coûte 90.000 euros à l'installation et 14.000 euros en gestion par an, beaucoup plus dans une zone peu dense ou montagneuse, difficile d'accès. La Corrèze n'est pas la seule concernée, la Lozère, la Corse, les Pyrénées, la Bretagne aussi. Depuis 2013, plus de 3.800 automates ont été fermés en France, dont plus de 2.500 en deux ans, soit un peu plus de 100 par mois. Un rythme certes trois fois moins rapide qu'au Royaume-Uni, où 300 automates sont mis hors service chaque mois selon Which ?, une association de consommateurs britannique.

L'inquiétude a d'abord pointé au Sénat, très sensible aux questions d'égalité territoriale : en septembre dernier, Éric Gold, sénateur radical du Puy-de-Dôme, a déposé une proposition de loi sur la désertification bancaire, prévoyant de créer un fonds spécifique destiné au maintien ou à la création des DAB dans les communes rurales et d'imposer des DAB dans les 17.000 points de contact de la Poste. Adopté en novembre, le texte a été renvoyé à l'Assemblée où aucun groupe ne s'en est saisi.

Les pouvoirs publics se sont cependant emparés de cette question hautement politique sur fond de crise des "Gilets jaunes" et d'un sentiment d'abandon dans certains territoires. La Banque de France travaille sur une cartographie des points de retrait d'argent liquide, qui sera publiée dans quelques semaines, et à l'élaboration d'une politique nationale de gestion des espèces pour assurer la continuité des moyens de paiement sur le territoire et la pérennité de la filière fiduciaire. Car les espèces représentent « environ 2,1 milliards d'euros de surcoût net pour les réseaux bancaires », selon la Banque de France.

« Le dispositif actuel d'accès au cash en France est très efficace. On compte, fin 2018, 54.786 DAB et 23.323 points de délivrance d'espèces », fait valoir la Fédération bancaire française (FBF). Le nombre de distributeurs avait quasi doublé en dix ans entre 1999 et 2009.

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[Infographie La Tribune, source : European Association for Secure Transactions]

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Or l'usage des espèces décline comme moyen de paiement (68% des achats mais seulement 28% en valeur en France, selon la BCE en 2016), au profit de la carte et du sans-contact. Le nombre de retraits diminue (1,3 milliard en 2018, contre 1,47 en 2016) mais le montant moyen augmente (à 93 euros, contre 86 euros en 2016), selon les chiffres du Groupement CB. Les espèces restent vitales pour certaines populations fragiles, âgées ou mal bancarisées.

« Il n'existe pas de problème massif d'accès aux espèces. Le nombre de DAB est aujourd'hui à peu près le même qu'en 2008, à l'époque personne ne disait qu'il y avait un problème », a déclaré Jérôme Reboul, de la Direction générale du Trésor, lors d'une audition au Sénat, le 27 mars.

Un discours qui passe mal auprès des élus.

« À mon sens, la répartition n'est pas du tout la même qu'en 2008, et c'est bien le problème », lui a répondu la sénatrice centriste du Jura Sylvie Vermeillet, auteure du rapport sur la proposition de loi contre la désertification bancaire.

Avec 8,4 distributeurs pour 10.000 habitants, la France se situe à la huitième place en Europe, derrière l'Italie, devant la Suisse ou l'Allemagne, selon les chiffres au 30 juin 2018 de l'organisation européenne EAST. Cette moyenne reflète mal la répartition inégale des DAB, souvent doublés dans les grandes agences : ils sont implantés dans 14.400 communes, selon le rapport du Sénat, sur près de 35.000, soit dans moins d'une sur deux. Le Crédit Agricole a de loin le plus vaste réseau avec 12.600 automates, plus du double de BNP Paribas (5.760 DAB) et près du triple de Société Générale (4.300), plus que La Banque Postale (7.700). Le sujet est sensible, en particulier chez les mutualistes. Interrogés, BCPE (Banque Populaire-Caisse d'Épargne) n'a pas communiqué de chiffre, Crédit Mutuel non plus.

Couvrir les "zones blanches" bancaires

Selon la Banque de France, environ 99% de la population française réside dans une commune dotée d'un DAB ou à moins de 15 km d'un point d'accès aux espèces. Quid des personnes sans véhicule ? Pour Jérôme Reboul du Trésor, « croire que l'on arrivera à permettre à 100% de la population d'être à moins de 10 km d'un distributeur me semble irréaliste », alors qu'il existe des solutions alternatives.

Afin de couvrir ces sortes de « zones blanches » bancaires, le Crédit Agricole a mis en place à partir de 1988 des Points Verts, où ses clients peuvent retirer gratuitement du liquide, avec leur carte ou leur chéquier, chez des partenaires commerçants (bar-tabac, supérette, boulangerie, etc.), qui sont rémunérés autour de 90 centimes par opération, selon nos informations. Il en existe 5.000 environ (dont plus de 400 rien qu'en région Centre et Maine-Anjou) qui sont très utilisés : 2 millions d'opérations sont effectuées chaque année. Problème : cette solution de dépannage n'est ouverte qu'aux clients du Crédit Agricole.

La Poste met en avant qu'elle représente « le réseau le plus étendu d'accès aux espèces en France » avec 7.700 points de contact, mais en dehors des DAB, il faut être client de La Banque Postale pour retirer des espèces. L'idée d'étendre sa mission d'aménagement du territoire (confiée actuellement à la Poste et non à sa banque), avancée par le sénateur Gold, se heurte à plusieurs difficultés : il faudrait lancer un appel d'offres ouvert à toutes les banques pour installer des DAB et prévoir une compensation complémentaire, à négocier avec Bruxelles. Au Royaume-Uni, les principales banques ont signé un accord commercial avec la Poste pour que ses bureaux servent de guichet bancaire universel.

Les buralistes représentent une alternative : 4.800 sont agréés par l'ACPR pour ouvrir des comptes Nickel (plus de 1,2 million ont été ouverts), à 20 euros par an. Cependant, aucune de ces solutions n'est universelle et donc totalement satisfaisante.

Une autre option est étudiée sérieusement par les autorités, inspirée des Pays-Bas. Les trois principales banques néerlandaises, ING, ABN AMRO et Rabobank, ont mutualisé leur réseau de DAB, passés en début d'année sous la marque commune Geldmaat. « Cela évite qu'à certains endroits, il y ait six ou huit distributeurs de billets dans un rayon de 200 mètres, et à d'autres, aucun », a relevé Erick Lacourrège, responsable de la filière fiduciaire à la Banque de France. Il a aussi soulevé « la question de l'équilibre de la commission interbancaire de retrait, car les nouveaux entrants ne financent pas de réseau de distribution ». Le représentant du Trésor a relevé lui aussi que « les clients de N26 ou de Revolut [néobanques mobiles sans agence], par exemple, ont des cartes et accès à des DAB entretenus par les grandes banques de réseau françaises. » Un point qui sera examiné dans les discussions avec le secteur.

Delphine Cuny

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