Bruxelles met le turbo dans la lutte contre le blanchiment, évalué à 1% du PIB européen par an

La Commission européenne propose un nouveau paquet législatif pour renforcer la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Parmi les mesures phares, la création, d’ici 2024, d’une agence européenne de supervision dans ce domaine. Des textes réglementaires, qui s’imposent aux États membres, sont également prévus pour mieux harmoniser les règles européennes et intégrer les cryptoactifs dans le dispositif.
La Commission européenne souhaite harmoniser les règles anti-blanchiment dans les différents États membres.
La Commission européenne souhaite harmoniser les règles anti-blanchiment dans les différents États membres. (Crédits : Yves Herman)

C'est un pas de géant dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT) que souhaite faire la Commission européenne. Malgré une législation déjà (en théorie) restrictive, les activités financières douteuses sont toujours estimées à 1% du PIB européen, soit environ 130 milliards d'euros chaque année, selon Europol. D'ailleurs, la Commission vient d'être sévèrement critiquée par la Cour des comptes européenne sur le manque d'efficacité de ses directives.

Ainsi, à peine la cinquième directive européenne sur le sujet entré en application, Bruxelles a annoncé, mardi 20 juillet, un nouveau paquet législatif qui comprend à la fois une nouvelle directive et deux nouveaux règlements européens, qui s'imposeront directement aux États membres.

Le pivot central de ces propositions législatives repose sur la création d'une agence européenne de supervision en charge de la LBC-FT. « C'est une évolution très importante du cadre réglementaire. La Commission européenne prend conscience que l'échelon étatique n'est plus suffisant pour lutter contre le blanchiment », réagit Henry-Julien Vayssette, directeur chez TNP Consultants, en charge des questions de conformité dans le secteur financier.

Les récents scandales qui ont touché des banques scandinaves en 2018 et 2019, dont celui lié à Danske Bank, au cœur d'une affaire de blanchiment à hauteur de 200 milliards d'euros, ont décidé Bruxelles et les États membres à accélérer le tempo (malgré cinq directives depuis 2008) et à confier à une autorité européenne le soin de veiller à l'harmonisation des règles anti-blanchiment en Europe.

La France, souvent en pointe dans ce domaine, s'est naturellement félicitée des propositions de Bruxelles. « C'est une bonne nouvelle. Nous attendons beaucoup des prochaines négociations pour que ces nouvelles règles entrent en vigueur rapidement », a déclaré le ministre de l'économie, Bruno Le Maire. C'est d'autant plus une bonne nouvelle que la France sera à la manœuvre quand elle prendra la présidence du Conseil de l'Union européenne en janvier prochain.

Création d'une agence européenne

« Il était devenu indispensable de s'assurer que les règles dans le domaine de la LCB-FT soient appliquées de façon cohérente à travers l'Union européenne, ce qui n'est pas toujours le cas. Ensuite, il fallait également renforcer certaines règles européennes pour resserrer un peu plus les mailles du filet. Enfin, nous serons, en termes de calendrier, en bonne position, pour aller aussi loin que possible lors des discussions à venir, notamment avec le Parlement européen », résume-t-on du coté de Bercy.

La mesure phare de ce paquet législatif porte donc sur la création d'un gendarme européen, chargé de veiller au respect des règles en Europe, notamment les recommandations édictées par l'organisme international GAFI. Elle veillera également à mieux coordonner l'action des superviseurs nationaux (et donc leur plus ou moins bonne volonté) et même, ce qui est nouveau ; elle pourra exercer un contrôle en direct sur « les entités à risques ». Le principe de cette agence, qui devrait voir le jour en 2024, a déjà été validé l'an dernier par le conseil européen et le Parlement européen.

Reste à définir ces fameuses « entités à risques ». « Ce sera l'un des enjeux des négociations qui s'ouvrent. Ces entités seront principalement dans le secteur financier et seront ciblée en fonction de la nature de leur clientèle ou de leur business, de leur exposition à des pays risqués, à la qualité de leur contrôle interne », explique un conseiller de Bercy. Autrement dit, les grandes banques ne seront pas forcément visées mais plutôt, comme le souhaite d'ailleurs la France, des établissements plus spécialisés, des entités de gestion de fortune ou des fournisseurs de services de cryptomonnaies.

Transfert de souveraineté

« Cette nouvelle agence, qui est le cœur du nouveau système, pose de nombreuses questions », estime Henry-Julien Vayssette. « Elle représente un nouveau transfert de souveraineté, comme cela a déjà été le cas pour le contrôle prudentiel des banques, avec le Mécanisme de surveillance unique (MSU), rattaché à la BCE. Nous allons donc de plus en plus vers une supervision européenne. Reste à savoir comment l'agence européenne va s'articuler avec les superviseurs nationaux et s"assurer que le nouveau dispositif sera réellement plus efficace », avance l'expert.

Dans les grandes lignes, la future agence (d'environ 250 personnes), exerce un contrôle direct sur les « entités à risques » et indirect sur les autres acteurs du secteur financier. Le superviseur européen va donc s'appuyer sur les superviseurs nationaux, en charge du contrôle et des sanctions. Mais en cas de défaillance manifeste de ces derniers, l'agence européenne pourra directement prendre le relais, à titre temporaire, et donc se substituer au superviseur national, y compris pour les sanctions.

La même règle dans tous les États membres

Parallèlement ; la Commission européenne propose deux règlements européens, à appliquer strictement à la lettre, sans passer par la case de la transposition en droit national, qui peut être parfois l'occasion d'assouplir un peu (beaucoup) les règles. De fait, les divergences d'interprétation des directives selon les pays et leurs intérêts constituent autant de trous dans la raquette de la réglementation, mis à profit par les criminels, de plus en plus structurés et organisés.

« Il existe des attentes très fortes en termes d'harmonisation des règles ou de la façon dont les Etats encadrent certaines activités, comme le paiement en cash, les cryptoactifs ou les exigences en matière de KYC (identification des clients, NDLR). Ces différentes interprétations sont autant d'opportunités pour les criminels de se glisser dans les interstices et de profiter de ces divergences. L'idée est donc bien d'appliquer partout, avec la même force, le droit européen », explique un conseiller de Bercy.

Au passage ; la Commission saisit l'occasion pour inclure dans ce paquet législatif pour inclure les cryptomonnaies, comme le bitcoin, prisé dès son origine par les criminels en toute genre. Les fournisseurs de services liés à ces nouveaux actifs devront donc strictement appliquer les mêmes règles anti-blanchiment que les banques ou sociétés de gestion, à savoir notamment l'identification du client, la traçabilité des transactions ou gestion des alertes en cas de doute. Ce qui devraient accroître sensiblement leur base de coûts, comme c'est déjà le cas pour les néobanques, également dans le collimateur des superviseurs.

De même, Bruxelles souhaite instaurer une limite pour les paiements en espèces, fixée à 10.000 euros, alors qu'il existe aucun plafond dans certains pays (il est de 1.000 euros en France) Ce sera sans doute un sujet sensible de négociation, notamment avec les Allemands, qui cultivent une préférence pour les paiements en cash.

Explosion du coût de la conformité

Toutes ces propositions devraient bénéficier du soutien sans équivoque des Etats membres et du Parlement. Difficile, en effet, de s'opposer à la lutte contre le blanchiment. Mais, comme toujours, le diable sera dans les détails. Mais, cette fois, les principes sont à la fois fermes et clairs, dans un cadre d'un corpus réglementaire européen unique.

Le principal risque sera d'ajouter de la complexité à la complexité, sans gage d'efficacité. Depuis la crise financière de 2008, le secteur financier doit faire face à une explosion de la réglementation anti-blanchiment et, d'une manière plus large, de la conformité. « La conformité représente un coût équivalent à 5 % de notre chiffre d'affaires », nous a récemment confié une grande banque privée parisienne.

Dans une grande banque, comme BNP Paribas, le service de la conformité représente ainsi près de 4.000 personnes et elle dû recruter massivement, plusieurs centaines de postes, après sa lourde condamnation aux Etats-Unis en 2015 pour non-respect des embargos. « Nous avons un croisement d'obligations de plus en plus poussées sur des sujets de plus en plus sensibles », souligne un banquier.

De fait, la quasi-totalité des amendes infligées en France par le régulateur contre le blanchiment. L'heure n'est plus à la mansuétude et ce, pour tous les acteurs financiers, petits ou grands.

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Commentaires 3
à écrit le 22/07/2021 à 9:53
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LOL ! 1% tandis que le consortium de journalistes qui enquêtent sur les pâradise papers estime à 25% l'argent de la finance liée aux activités mafieuses. Ils ont pas internet à Bruxelles ?

à écrit le 21/07/2021 à 18:52
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et pour la lutte contre la fausse monnaie pour sauver les riches et couler les pauvres dans l'inflation ils font quoi les choux de bruxelles ?

à écrit le 21/07/2021 à 17:03
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Depuis le temps, Bruxelles fait bien plus de médiatisation que de choses bien concrètes qu'elle passe sous silence!

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