Crédit immobilier : pourquoi la réforme du taux d’usure n’aura pas lieu

Les courtiers le répètent : le taux d’usure, malgré sa récente hausse, reste un frein à la croissance du marché du crédit immobilier. La Banque de France réfute à nouveau cette analyse et prévoit un nombre record de crédits accordés en 2022, malgré un fléchissement du marché depuis l’été. Une éventuelle réforme du taux d’usure s’avère trop compliquée à mettre en place, pour un bénéfice attendu incertain à l’horizon de six mois ou d’un an. Explications.
Le taux d'usure a augmenté de près de 50 points de base à 3,05% pour un crédit immobilier de 20 ans et il devrait augmenter encore plus fortement en janvier.
Le taux d'usure a augmenté de près de 50 points de base à 3,05% pour un crédit immobilier de 20 ans et il devrait augmenter encore plus fortement en janvier. (Crédits : DR)

Jamais le taux d'usure n'aura suscité autant de controverses. Pourtant, sur le papier, tout est simple. Ce taux (assurances et frais annexes compris), maximum légal qui s'impose à tous les prêteurs, est révisé chaque trimestre par la Banque de France, selon une formule de calcul inscrite dans la loi depuis 2006. Il vise, selon le législateur, à protéger les ménages contre des taux excessifs (usuriers) appliqués au crédit.

La formule de calcul elle-même est simple. Elle applique la règle des « quatre tiers », soit une moyenne arithmétique des taux constatés (à la signature du contrat de crédit) sur les trois mois précédents la révision du taux d'usure, augmentée d'un tiers.

Pourtant, cette méthode est de plus en plus contestée par des associations de courtiers en crédit immobilier et d'autres professionnels de l'immobilier, dont certains accusent même la Banque de France de « vouloir casser le marché immobilier » et, de façon plus soft, par les banques et... quelques politiques. Selon le Figaro, le ministre du Logement, Olivier Klein, s'est ainsi inquiété du taux d'usure auprès du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, lors d'une réunion jeudi dernier. En revanche, les associations de consommateurs restent pour l'heure à l'écart du débat.

De fait, le taux d'usure est confronté à une situation inédite de brusque remontée des taux face à laquelle il s'ajuste avec un décalage d'un ou deux mois. C'est le fameux « effet de ciseaux » qui provoquerait une éviction d'un nombre croissant de ménages du crédit immobilier, les banques refusant d'accorder des crédits à des taux jugés trop faibles, face à un profil de risque trop élevé.

Réforme introuvable

Au cours de l'été, certains courtiers évoquaient près d'un dossier sur deux refusés à cause du taux d'usure, d'autres une fourchette de 30 à 40%. Un courtier en ligne Pretto avance une estimation plus faible, de 11%. Pour la Banque de France, « ces chiffres ne sont pas réalistes ». Aujourd'hui, le taux d'usure est de 3,05% pour un crédit immobilier sur 20 ans, alors que les taux moyens (hors assurances) varient de 1,79% (selon la Banque de France) à 2,05 % (selon Crédit Logement) en octobre. Cela laisse toujours peu de marge de manœuvre pour rémunérer l'assurance, le risque, la distribution et la ... marge des banques (qui reste un secret jalousement gardé).

Du coup, chacun avance sa réforme du taux de l'usure, de l'exclusion de l'assurance emprunteur du taux effectif, à la prise en compte des seuls barèmes de taux (et non des contrats signés) en passant par une révision mensuelle du taux d'usure pour mieux « coller » au marché (idée fraîchement accueillie par les banques).

Le hic est que toutes ces propositions nécessitent le vote d'une loi. « Quand on se souvient du travail accompli en 2006 pour trouver un consensus avec toutes les parties prenantes, je vois mal le Parlement s'engager à nouveau pour plusieurs mois de débats sur ce sujet sensible. D'autant que le bénéfice attendu d'une réforme serait sans doute devenu inutile dans six mois ou un an », avance un expert de l'immobilier.

Rôle d'amortisseur

Toutefois, la Banque de France, hostile à toute modification du taux d'usure, ne méconnaît pas le problème. « Le taux d'usure a eu incontestablement un rôle d'amortisseur, avec parfois, des frictions sur certains dossiers. Ce taux a cependant sensiblement augmenté en juillet, puis plus fortement en octobre et il le sera à nouveau plus fortement en janvier prochain, compte tenu d'un effet de base plus élevé », explique-t-on au siège de l'Institution.

De fait, le taux d'usure a grimpé de 17 points de base en juillet (contre un recul d'un point de base en avril) et de 48 points de base en octobre. Soit presque dix points de base par mois, sensiblement le même rythme de progression du taux moyen constaté (hors assurances). Bref, l'ajustement est temporaire et tout devrait rentrer dans l'ordre avec la normalisation à venir des taux. Au final, le manque à gagner serait plutôt du côté des banques et surtout des courtiers, parfois sacrifiés pour gagner quelques points de base sur leurs commissions. En revanche, les emprunteurs ont globalement profité du taux d'usure, assure la Banque de France, qui a permis de mieux lisser dans le temps la hausse des taux. Le taux moyen d'un crédit immobilier reste d'ailleurs très inférieur en France à la moyenne de la zone euro (3,3%).

Changement de modalités de calcul

En attendant, la Banque de France a quand même discrètement changé les modalités de calcul du taux d'usure à partir du 1er juillet, et ce dans le strict cadre prévu par la loi.

Elle est ainsi passée de la modalité « période restreinte », habituellement appliquée lorsque les taux sont relativement stables et qui porte uniquement sur les données du premier mois du trimestre, à la modalité « période étendue » qui couvre plus précisément le trimestre (données exhaustives sur le premier mois, échantillon représentatif sur le deuxième mois et ajustement de données agrégées pour le troisième mois, à défaut d'une remontée des données à temps).

Cette dernière modalité, plus lourde à mettre en place, explique en partie le coup de boost d'octobre sur le taux d'usure. Elle devrait être maintenue au premier semestre, le temps que le cycle de hausse s'essouffle.

Au siège de la Banque de France, une conviction demeure : le temps de la réforme n'est pas d'actualité. « Nous serions les premiers à le savoir ! », avance un responsable de l'institution, qui multiplie cependant les échanges avec le gouvernement et les professionnels du crédit sur l'état de santé du crédit immobilier.

Un nombre record de crédits accordés en 2022

L'argument massue de la Banque de France en faveur du statu quo reste le nombre record de crédits immobiliers accordé. « Après un premier semestre exceptionnel, nous assistons depuis l'été à une normalisation de la production, mais certainement pas à un effondrement », commente Marie-Laure Barut-Etherington, directrice générale adjointe à la Banque de France, sur les chiffres de production de crédits de septembre. « La production cette année devrait atteindre un nouveau record, exception faite de l'année 2021 tout à fait particulière », ajoute la responsable des statistiques et des études. Fin septembre, le taux de croissance du crédit à l'habitat est de 6,2%, un niveau proche de sa moyenne des cinq dernières années.

Ce tableau contraste cependant avec celui dressé par l'Observatoire du Crédit Logement, référence sur le marché du crédit immobilier. Selon ses derniers chiffres, la production de crédit est en baisse de près de 11 % fin octobre en glissement annuel. La chute serait même de 32% en octobre (en glissement trimestriel). « La revalorisation du taux d'usure a certes permis un accroissement des taux des crédits immobiliers, mais la nouvelle phase de relèvement des taux de la BCE a pesé sur les marges bancaires. L'offre de crédit n'a donc pas pu se redresser suffisamment, à la différence de ce que l'on constate généralement à l'automne », note l'Observatoire.

Divergences de vues

Cette divergence d'appréciation du marché n'est pas nouvelle. Ce fut le cas notamment en avril 2020 lorsque Crédit Logement avait anticipé un effondrement du marché... qui n'a finalement pas eu lieu. Les deux parties expliquent ces différents par des périmètres différents.

De fait, l'Observatoire ne remonte que les données de crédits cautionnés, qui ne représentent que 25 à 30 % du marché (les banques mutualistes ont peu recours à la caution), avant d'effectuer un redressement pour estimer le marché. Ce qui peut être difficile à pratiquer dans un marché qui s'ajuste et où les politiques commerciales peuvent être très différentes d'un réseau à l'autre. Ces divergences (croissantes) jettent toutefois un trouble, si bien que la Banque de France et l'Observatoire ont tout récemment décidé d'échanger sur leurs méthodologies respectives.

Reste que toutes les banques constatent un ralentissement de la production, dont la principale cause serait une baisse de la demande dans un contexte d'inflation et de baisse de pouvoir d'achat. « Nous ne constatons pas de rupture dans l'offre de crédit, même s'il peut y avoir des arbitrages au sein des réseaux », confirme de son côté la Banque de France, qui s'appuie sur ses enquêtes qualitatives auprès des banques.

Selon un courtier, récemment interrogé par BFM TV, la hausse des taux a même du bon : elle devrait rééquilibrer le pouvoir entre le vendeur et l'acquéreur au bénéfice de l'acquéreur. Finalement, tout s'ajuste.

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Commentaires 3
à écrit le 08/11/2022 à 0:16
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L'article serait-il financé par François Villeroy de Galhau, président de la banque de France ? La parole est aux seuls députés, représentants élus qui ont des comptes à rendre au Peuple ; et non à un vulgaire fonctionnaire quidam, non élu !

à écrit le 07/11/2022 à 20:01
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personne n'a hurle quand ca allait dans l'autre sens, rendant solvables des gens pas solvables sans apport quon a pu genereusement endetter a 25 ans..........vous n'allez pas me dire que personne ne voyait le retour de l'ascenceur, si? faut arreter l...

le 09/11/2022 à 5:23
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Nous avions la période de plus values immobilières où ça attirait beaucoup de monde attirés par l'argent facile, vous savez, tout ce beau monde avide pour donner la leçon, à présent la chute des prix provoquée par la dureté des prêts va faire l'inver...

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