Cryptomonnaies : trois questions sur le krach qui a fait tomber le bitcoin de son piédestal

Depuis l'effondrement du marché crypto, le bitcoin ne parvient toujours pas à inverser la décrue amorcée le 21 avril. Cette tendance annonce-t-elle un retournement durable ? Est-ce la fin de l'âge d'or du bitcoin ? Trois questions pour comprendre les origines et les mécanismes du krach, au travers des regards d'experts.
Jeanne Dussueil
(Crédits : DADO RUVIC)

Après être repassé au-dessus du seuil fatidique des 30.000 dollars mardi, le bitcoin peine à remonter la pente et à repasser ce pallier fatidique. En cause, l'effondrement historique la semaine dernière, pendant lequel le marché a perdu plus de la moitié de sa valeur, passant de 3.000 milliards de dollars de valorisation à 1.400 milliards - en seulement en six mois -, sur l'ensemble des 12.000 cryptomonnaies estimées. Sur la seule journée du mercredi 11 mai 2022, dans le sillage des valeurs Tech au Nasdaq prises par la crainte du resserrement des politiques monétaires, un vent de panique a fait perdre 200 milliards de dollars au précieux jeton. Est-ce "la fin d'une époque", comme le prédisent certains ? Pire, le début d'un "risque systémique" ?

  • Un krach inédit ou un remake des krachs précédents ?

Le krach du bitcoin au mois d'avril n'est pas inédit en terme de volumes. Il l'est toutefois par sa nature. Car contrairement aux krachs précédents, souvent directement liés à des attaques sur des plateformes d'achat-ventes de jetons, cet effondrement, après des mois de hausses, est ressenti dans tout l'écosystème.

« La baisse du bitcoin de plus de 17% en avril 2022 semble signer la fin d'une époque pour la reine des crypto-monnaies, en réalisant le pire mois d'avril de son histoire », affirme à La Tribune Reda Aboutika, expert des marchés financier chez XTB France.

La première crise retentissante du précieux jeton remonte à 2014, lorsque la plateforme d'échanges de bitcoins Mt. Gox fait faillite, suite à un vol d'une valeur de près de 470 millions de dollars à l'époque. D'un pic de plus de 1.100 dollars en 2013, il plafonne alors deux ans plus tard aux alentours des 230 dollars. C'est l'une des plus fortes chutes dans l'histoire de ce crypto actif créé en 2009.

« Le seuil psychologique à 30.000 dollars a été testé à trois reprises avant que les prix ne décollent vers de nouveaux records en octobre et en novembre 2021. Il convient également de rappeler la forte chute de 2018, il s'en est suivi un plongeon de plus de 80% en l'espace d'un an », se rappelle encore Reda Aboutika.

Dans leurs souvenirs de bulle, les fans du bitcoin citent aussi l'année 2017 et la crise Coincheck, une autre plateforme japonaise piratée qui a dû verser alors 400 millions de dollars après un vol de plusieurs centaines de millions de dollars par des hackers. Autre année citée, 2021, celle qui marquant l'interdiction officielle de la Chine de miner des cryptos (le processus informatique qui rémunère le mineur et sur lequel la Chine était une nation leader). Mais sur ces deux événements, la course sous-jacente du bitcoin n'est pas stoppée, excepté un faible reflux suite au message envoyé par Pékin.

Cette fois-ci, beaucoup d'observateurs l'admettent, la ruée vers le jeton s'inscrit dans un autre contexte, autrefois porté par la digitalisation accélérée en plein Covid-19. « La corrélation du bitcoin avec les valeurs technologiques américaines se renforce depuis le mois de mars et s'établit désormais à 0,77 avec le Nasdaq. La corrélation à 40 jours avec l'indice américain S&P 500 a de son côté atteint un record à 0,82 », note Reda Aboutika.

« Cependant malgré la baisse des actifs numériques, le bitcoin fait mieux que certaines actions américaines telles que Netflix qui affiche 70% de baisse depuis ses plus hauts », nuance de son côté François Laviale, président d'Alphacap digital asset management.

La fin du bitcoin décorrélé des marchés

Ensuite, face à l'engouement pour les cryptos en 2021, de nombreux acteurs institutionnels et bancaires ont lancé de nouveaux produits financiers liés aux crypto-actifs. Autrement dit, la réaction en chaîne n'est plus seulement restreinte aux communautés pro-crypto. Elle s'est décuplée.

2022 signe-t-elle donc la fin de la décorrélation du bitcoin des soubresauts des marchés qui était pourtant la promesse inhérente à l'actif décentralisé ? « Si le stablecoin USDT résiste, il n'y aura pas de contagion et le système en sortira renforcé », affirme Philippe de Gouville, CEO et cofondateur d'Ismo.

  • Que révèle l'effondrement des stablecoins ?

L'autre enseignement de ce « carnage » se trouve en effet sur les « stablecoins ». Contrairement au bitcoin et aux autres protocoles blockchain, ce jeton numérique est adossé au cours d'une devise « fiat », le plus souvent au dollar. Le prix du stablecoin respecte ainsi une stricte parité (1 dollar = 1 Tether USDT) dans le cas des stablecoins dits « collatéralisés ». Mais dans le cas des stablcoins algorithmiques, la parité est définie par par un algorithme, rappelle Reda Aboutika.

« Les stablecoins ont été créés pour servir de passerelle entre le monde réel, celui de la devise fiat, et le monde de la blockchain. Le stablecoin est un peu la version du compte bancaire du monde des cryptos. L'outil est pratique et communément utilisé comme crypto de refuge ou pour passer facilement d'une crypto à une autre. », explique Philippe de Gouville.

Or, c'est de cette nuance technique que le krach sur le stablecoin TerraUSD (UST) est survenu en 2022, entrainant avec lui une réaction en chaîne et la panique de voir les actifs se dévaluer sur l'ensemble du marché crypto.

« Le mécanisme consiste à créer des jetons sur un stablecoin jumeau, en l'occurrence le Luna. Pour obtenir ces Luna qui sont vendus à un prix décoté, les spéculateurs des cryptos sont incités à vendre le stablecoin-mère (UST), ce qui les retire de la circulation ».

Résultat, face à cette décrue soudaine d'UST, « le risque est que le fondateur de Luna vendent les milliards de dollars de bitcoins détenus pour soutenir l'UST », explique Philippe de Gouville.

Un paradoxe, tandis que les stablecoins ont, à l'origine, été créés pour pallier à la volatilité du bitcoin.« Les stablecoins sont aussi placés dans des portefeuilles de liquidités. Ils y sont prêtés contre des rémunérations attractives, pour être utilisés dans des opérations complexes de DeFi. Ces schémas ne sont pas sans rappeler parfois ceux ayant amené la crise financière de 2008 », ajoute Philippe de Gouville.

Depuis cette décrue soudaine, les stablecoins continuent de s'enfoncer (Tether, USDCoin, Binance USD, Dai, entrainés par le TerraUSD qui a perdu plus de 79,6% en 7 jours, selon coinmarketcap.com.

« Par essence, il n'y a pas de banque centrale dans le monde des cryptos, donc personne pour sauver le système en dernier recours », rappelle Philippe de Gouville.

  • Est-on face à une crise « systémique » ?

Toute la question est donc de savoir si ce krach marque le début d'un reflux plus durable pour les cryptos, entre jetons 100% décentralisés, les cryptos sur des blockchain privées moins décentralisées, les stablecoins, les monnaies numériques des banques centrales (MNBC) et même les NFT.

« En réalité, ces chutes brutales des prix dans un contexte de forte volatilité sont monnaie courante et peuvent être constatés à chaque cycle du bitcoin. Très souvent, la phase de capitulation laisse place à une phase d'accumulation qui propulse les prix du bitcoin vers de nouveaux records », anticipe Reda Aboutika. Mais de nuancer :  l'adoption du bitcoin par les institutionnels et par Wall Street ne présage rien de bon pour le bitcoin »

« Les cryptos se sont toujours relevées », surrenchérit Philippe de Gouville. « Cette crise est une crise de liquidités qui sonne le glas pour tous les stablecoins algorithmiques. Si le stablecoin USDT résiste, il n'y aura pas de contagion et le système en sortira renforcé », ajoute-t-il.

« Les conditions pour un retour du marché crypto haussier sont nombreuses : l'inflation doit retomber, la guerre en Ukraine doit cesser, les confinements en Chine doivent prendre fin, la consommation doit se maintenir et la Réserve fédérale doit adoucir le ton. D'un point de vue graphique, le bitcoin doit parvenir à s'installer au-dessus des 48.000 dollars », conclut Reda Aboutika.

Jeanne Dussueil

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Commentaires 7
à écrit le 27/05/2022 à 22:12
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La nature du Krach n'est pas la même effectivement. Il y a trois facteurs qui ont ébranlé la confiance, le premier c'est l'effet visible des hausses des taux directeurs des banques centrales sur le cours des cryptos. Le deuxième qui reste corrélé au ...

à écrit le 25/05/2022 à 5:51
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C'est le cycle des 4 ans. RDV au prochain halving les loosers En attendant continuez de manger vos cailloux ;)

à écrit le 22/05/2022 à 9:40
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C’est quand même bizarre cette monnaie qui a tout d’un instrument de spéculation et qui est souvent défendu par les anarcho-gauchistes au nom de la haine de l’état ?

à écrit le 21/05/2022 à 20:15
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C'est un peu la crise également en ce moment, même avec le soutient de l'argent public les marchés financiers sont baissiers également.

à écrit le 21/05/2022 à 9:36
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Ce n'est pas grave. Tout ça va s'arranger : c'est un actif spéculatif.

à écrit le 21/05/2022 à 9:14
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on a un ' prix' de 1400 milliards pour des actifs qui valent 0.........je solde les graviers de monde jardin.....800 euros piece; grouillez vous, y en n'aura pas pour tout le monde, et a l'heure de l'inflation, rien ne vaut un actif bien tangible ( ...

à écrit le 21/05/2022 à 6:11
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.... AhAhAhAhAhAhAhAhAh......

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