Faillite FTX : le portefeuille personnel, une alternative aux plateformes d’échanges pour gérer ses cryptomonnaies ?

Après le séisme provoqué par l’affaire FTX, le marché des cryptos a du mal à se stabiliser avec des plateformes qui subissent une perte de confiance et des retraits massifs. Une partie de ces capitaux migre vers des portefeuilles personnels, qui permettent de détenir en direct des actifs numériques, sans dépendre d’une entreprise. Mais si ces alternatives dites décentralisées ont des avantages, elles présentent aussi des inconvénients et des risques.
Maxime Heuze
Ledger a annoncé la sortie d'un nouveau portefeuille de cryptomonnaies appelé Stax (à droite sur la photo) qui devrait favoriser l'adoption de ces appareils d'après la marque.
Ledger a annoncé la sortie d'un nouveau portefeuille de cryptomonnaies appelé Stax (à droite sur la photo) qui devrait favoriser l'adoption de ces appareils d'après la marque. (Crédits : Ledger)

L'hémorragie n'est pas finie. Pénalisées par la chute brutale, en novembre, de la deuxième plus grande plateforme d'échanges de cryptomonnaies, FTX, les plateformes subissent des retraits massifs et une perte de confiance de leurs clients. Binance, numéro un mondial, qui détiendrait 71 milliards de dollars de fonds, a vu 3,6 milliards être retirés de sa plateforme entre le 8 et le 15 décembre, selon l'analyste Nansen.

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Suite aux scandales à répétition, les portefeuilles personnels, des moyens alternatifs pour conserver ses actifs, pourraient bien devenir de sérieux concurrents aux plateformes. En quoi consistent ces alternatives ? Sont-elles plus sécurisées ?

1000 et 1 supports pour les portefeuilles cryptos

Concrètement, un portefeuille crypto est doté d'une adresse de réception qui se compose d'une suite de caractères unique (par exemple : 1A1zP1eP5QGefi2DMPTfTL5SLmv7DivfNa). Appelée clé publique, cet identifiant est inscrit sur une blockchain (un réseau d'ordinateurs qui valident et enregistrent des transactions) pour la rendre unique, traçable et infalsifiable.

Pour accéder à cette adresse et aux fonds qui y sont conservés, le propriétaire doit y associer un code unique, appelé une clé privée. Une fois en possession de ces deux suites de caractères, un propriétaire de portefeuille peut envoyer et recevoir des fonds en cryptomonnaies, des actifs numériques inscrits sur une blockchain. Il est ensuite possible de confier ces deux clés à une plateforme qui les conservera pour ses clients ou bien de les détenir en main propre sur un support physique ou numérique, de manière décentralisée (puisque sans intermédiaire).

Dans cette deuxième option de conservation, il est possible de choisir parmi une multitude de supports: applications pour smartphones, logiciels, extensions pour navigateurs, appareils spécialisés ou même papier!

« A la création de Bitcoin en 2009, une des premières méthodes utilisées pour conserver sa clé privée était de l'écrire sur un bout de papier », se souvient Alexandre Stachtchenko, consultant et directeur crypto et blockchain chez KPMG. Un support bien peu pratique pour interagir avec la blockchain via internet qui a amené, dès 2010 des entreprises à développer des sites internet promettant de garder les portefeuilles de leurs clients.

Mais, déjà il y a dix ans, les plateformes ont montré leurs failles. En 2013, suite à la banqueroute de la plateforme Mt Gox, des membres de la communauté décident de travailler sur des appareils pour sécuriser et simplifier l'utilisation et la détention des cryptomonnaies en main propre. En 2014, la startup française Ledger et sa concurrente tchèque SatoshiLabs planchent chacune de leur côté sur l'idée d'un support physique avant de sortir leurs premiers produits (des appareils ressemblant à des clés USB pouvant conserver une clé privée), toutes les deux en 2016. Quelques années plus tard, d'autres concurrents ont aussi lancé leurs supports physiques pour crypto. Ils répondent au noms de Coldcard, Shiftcrypto ou encore SatoChip.

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En parallèle, avec les débuts d'Ethereum en 2015, l'autre blockchain phare la mieux valorisée après Bitcoin, de nouveaux types de portefeuilles personnels, cette fois-ci virtuels, ont émergé. Ces très nombreux coffres-forts numériques pour cryptos peuvent prendre la forme d'extensions pour navigateur à l'image de Metamask, mais aussi d'applications mobiles comme Trust Wallet ou encore de logiciels pour ordinateurs comme Exodus, Atomic Wallet ou Zelcore.

Concrètement, ces supports numériques font la même chose qu'un bout de papier ou qu'un support physique. Ils conservent les clés privées de leurs utilisateurs avec comme petite nuance de proposer à ces derniers de se connecter à leur portefeuille directement depuis leur ordinateur ou leur smartphone en tapant un simple mot de passe.

Le gros avantage de ces portefeuilles ou coffres-forts personnels tient dans le fait qu'ils sont uniquement accessibles à leur propriétaire et que ce dernier peut s'y connecter et réaliser des transactions à tout moment. A l'inverse, lorsque ce portefeuille est hébergé sur une plateforme, il peut devenir inaccessible si cette dernière le décide. Et, depuis le scandale FTX, la communauté crypto sait maintenant qu'une plateforme peut même détourner les fonds des portefeuilles dont elle a la garde.

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Malgré les avantages de ces portefeuilles personnels (physiques, extensions de navigateur, logiciels ou applications), ils ne sont, pour l'heure, que peu utilisés. Sur 221 millions de détenteurs de cryptomonnaies dans le monde, comme estimé dans un rapport de Crypto.com en juillet 2021, les plateformes dominent largement le marché. Changpeng Zhao, le PDG de Binance, a déclaré que son entreprise comptait 85 millions de clients en 2021. Loin derrière, le support numérique Metamask a affirmé avoir franchi les 21 millions d'utilisateurs en novembre 2021 quand Ledger a vendu moins de 6 millions de supports physiques depuis 2016 et Satochip, créé en 2021, à peine 2.000.

Des portefeuilles personnels pas sans risque

Comment expliquer une telle suprématie des plateformes ? D'abord par le côté pratique des systèmes centralisés. Il est en effet très simple de convertir des euros en crypto et de les envoyer à quelqu'un via Binance, Kraken ou Coinbase. Difficile en revanche d'acheter des bitcoins avec ses euros directement depuis un portefeuille personnel. Les utilisateurs de ces supports doivent en général se rendre sur une plateforme pour envoyer des actifs vers leurs portefeuilles.

Vient ensuite la question de la sécurité. Les portefeuilles installés sur une extension, une application ou un logiciel, ne sont pas sans danger puisque « toute clé qui n'est pas sécurisée sur un support hors d'internet est soumise au risque de vol par piratage », résume Alexandre Stachtchenko.

Ainsi, un virus peut assez facilement trouver le moyen de se connecter à une application ou une extension web pour voler les cryptomonnaies de l'utilisateur infecté. En août 2022, 8.000 utilisateurs de l'extension Slope, concurrente de Metamask, ont eu le malheur de voir leur portefeuille crypto être siphonné. La cause de ces vols? L'entreprise derrière Slope conservait les clés privées de ses utilisateurs dans un Datacenter et ce dernier s'est tout simplement fait pirater. Face à ce risque, les supports physiques promettent d'empêcher le vol par piratage puisque ceux de Trezor et de ses concurrents, Satochip et Ledger, demandent une action manuelle avant toute transaction. Les utilisateurs génèrent aussi leur portefeuille directement sur le support physique ce qui empêche à priori leurs constructeurs d'avoir accès à la clé privée de leurs utilisateurs.

Problème, si l'ordinateur sur lequel était installé un support numérique ne démarre plus ou si un utilisateur perd son support physique, il n'a plus de moyen d'accéder à sa clé privée et donc à ses cryptos. Pour pallier ce problème et permettre à leurs utilisateurs d'accéder à leur portefeuille en cas de perte ou de bug d'un support, Ledger, Metamask et autres fournisseurs de services leur proposent de noter une phrase de récupération. Cette phrase de 24 mots sert de moyen de secours pour importer sa clé privée sur un nouveau support. Reste cependant un problème, l'utilisateur ne doit pas perdre ou se faire voler sa phrase de récupération.

Vers une évolution de la législation européenne

Enfin, « il existe aussi un risque que la conservation en main propre soit interdite à l'avenir », prévient Alexandre Stachtchenko. Le règlement européen Market in Crypto Assets (Mica) qui doit entrer en application en 2024 pour réguler les activités crypto a failli inclure l'interdiction des portefeuilles personnels avant que les députés ne reviennent sur cette décision. « Les régulateurs peuvent avoir beaucoup de mal voire être incapables de connaitre l'identité d'un détenteur de portefeuille décentralisé et de geler ses fonds, ce qui ne plaît pas aux autorités européennes », conclut ce dernier.

Malgré toutes ces contraintes, les usagers des cryptos semblent avoir choisi leur camp entre les plateformes et les portefeuilles personnels. Les entreprises de supports physiques ont affiché, sur le mois de novembre, des hausse de leurs ventes sur un mois de 200% à 400% pour Trezor et Ledger et de 25% pour Satochip.

Maxime Heuze

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