Les rebelles de Wall Street se sont retournés contre Robinhood

Wall Street n’a finalement pas accueilli la célèbre plateforme de trading à bras ouverts. Malgré un prix d’introduction fixé à 38 dollars, soit la limite basse de la fourchette indicative, le titre a perdu hier 8% lors de sa première journée de cotation au Nasdaq. Les zones d’ombres sur son modèle économique et les nombreuses enquêtes des régulateurs pèsent sur le titre. La société, créée en 2013, est toutefois valorisée environ 30 milliards de dollars.
La plateforme Robinhood créée par Vlad Tenev a fait une entrée chahutée au Nasdaq.
La plateforme Robinhood créée par Vlad Tenev a fait une entrée chahutée au Nasdaq. (Crédits : Reuters)

Cela devait être la consécration de la disruption et de l'esprit rebelle à Wall Street. Au terme de sa première journée très attendue de cotation au Nasdaq, le cours de l'action de la plateforme de trading Robinhood a finalement clôturé à 34,82 dollars, en baisse de 8 % par rapport à son prix d'introduction de 38 dollars.

La mobilisation des utilisateurs de la plateforme n'a finalement pas joué. Au contraire, sur les forums de discussions Reddit, les activistes des réseaux sociaux appelaient depuis plusieurs jours à « se venger » de la plateforme, qui avait dû couper à maintes reprises les transactions sur les valeurs « mêmes » (valeurs décotées) au plus fort de la spéculation autour du titre GameStop en janvier dernier. La société avait, avant l'introduction, présenté à maintes reprises « ses excuses » pour avoir coupé les positions sur GameStop.

Pourtant, Robinhood avait pris soin de fixer un prix d'introduction à 38 dollars, soit le bas de la fourchette indicative et de se réserver une part importante aux particuliers et à ses utilisateurs (entre 20 et 35%) des actions mises sur le marché. Traditionnellement, seuls les investisseurs institutionnels ont accès à des introductions de sociétés très médiatisées et convoitées (ce qui garantit en principe une montée des cours lors des premiers jours de cotation lorsque les particuliers commencent à leur tour d'acheter des titres).

Leçon d'humilité

Mais, finalement, la demande n'a pas été au rendez-vous pour cette société qui a pourtant révolutionné le trading en ligne et attiré des millions de jeunes américains vers la Bourse. Seulement un quart des introductions en Bourse voient leurs cours chuter dès la première séance. « C'est une leçon d'humilité », a déclaré hier le fondateur et PDG de la société, Vald Tenev.

La société est quand même capitalisée autour de 30 milliards de dollars, un montant bien supérieur aux 12 milliards de dollars de valorisation obtenue par Robinhood lors de sa dernière levée de fonds en début d'année et l'opération lui a permis de lever près de 2 milliards de dollars. La société avait déjà levé en urgence 3,4 milliards de dollars en janvier et février, essentiellement pour assurer ses appels de marge auprès des chambres de compensation.

En comparaison, la plateforme de trading sur les cryptoactifs Coinbase, introduite au Nasdaq en avril dernier, cote 6% en dessous de son prix de référence (235 dollars contre 250 dollars), soit une capitalisation de 35 milliards de dollars, et le principal broker américain, Charles Schwab atteint 124 milliards de dollars de valorisation. Robinhood se paie environ 20 fois ses revenus estimés pour 2021 contre seulement cinq fois pour Charles Schwab.

Une tornade venue d'ailleurs

Reste que l'histoire de Robinhood est digne du mythe américain. Créée en 2013 par un jeune homme d'origine bulgare, la plateforme s'est construite autour de l'idée de démocratiser la Bourse en proposant une application mobile de trading à la fois simple, ludique et gratuite. En 2020, année de confinement, le chiffre d'affaires a bondi de 250% à près d'un milliard de dollars. Des millions de jeunes américains confinés, et souvent bénéficiaires de chèques gouvernementaux en raison de la crise sanitaire, se sont mis à jouer en Bourse comme au casino. D'autant que la plateforme s'est rapidement diversifiée sur les options et les cryptomonnaies.

La croissance a été phénoménale tout en révolutionnant l'univers barbant et coûteux du courtage.Toute la question est de savoir si Robinhood pourra maintenir son rythme de croissance effréné.

Pour Robinhood, ces derniers mois tumultueux ont permis à la société d'améliorer ses process, surtout les fonctions conformité et support clients. Elle est aujourd'hui en capacité de gérer une croissance rapide. La déconfiture d'American Online dans les années 90 est encore dans les mémoires.

Par ailleurs, Robinhood doit désormais affronter une concurrence de plus en plus forte de courtiers en ligne qui se sont inspirés de son modèle gratuit, mais aussi d'acteurs qui revendiquent une plus grande transparence dans l'exécution des ordres. Enfin, chacun s'interroge sur l'avenir de Robinhood en cas de retournement des marchés. Sa croissance est en effet très liée à la montée de la Bourse. Et ses millions d'utilisateurs, souvent novices, pourraient disparaître aussi vite qu'ils sont apparus en cas de dégringolade des indices.

Un modèle remis en question

Mais la principale difficulté de la plateforme sera de défendre son modèle économique, qui repose sur le payment for order flow, une pratique controversée mais légale qui consiste à vendre à des sociétés de trading, souvent de trading à haute fréquence comme Citadel Securities, des gros paquets d'ordres. De cette pratique, Robinhood tire l'essentiel de ses revenus.

Pour la plateforme, ce modèle permet aux petits porteurs d'investir en Bourse avec zéro commission. Mais certains jugent, comme le redouté Gary Gensler, le nouveau patron de la SEC, le gendarme de Wall Street, que cette technique est une source de nombreux conflits d'intérêt, qu'elle fausse les lois du marché et qu'elle profite surtout aux market markers« Ces plateformes ne sont pas gratuites. Ce sont des applications sans commission, le coût étant intégré à l'exécution de l'ordre », avait récemment estimé le régulateur lors d'une audition au Congrès.

Aujourd'hui, ce modèle économique est clairement remis en question. La gamification des applications boursières (interface sous la forme de jeux pour acheter et vendre des actions) est également dans le collimateur. De nombreux élus américains s'inquiètent des risques d'addiction, surtout depuis le suicide d'un jeune utilisateur de Robinhood au plus fort de la folie spéculative de Wall Street en début d'année.

Le shérif est en ville

Au plus fort de l'affaire GameStop, Paul Jorion, éminent spécialiste des marchés financiers américains, avait déclaré à La Tribune « le shérif va arriver », sous-entendu, pour remettre de l'ordre dans tout ce bazar! Et, effectivement, on peut dire que le shérif est en ville.

De fait, Robinhood ploie sous le nombre des enquêtes des régulateurs, allant du paiement de garanties record à des pannes, sans oublier le gel de certaines transactions. Le mois dernier, le FINRA, l'association professionnelle de régulation, avait infligé une lourde amende de 70 millions, accusant la plateforme d'avoir fourni « des informations trompeuses » à ses utilisateurs.

A la veille même de son introduction en Bourse, la société a dû informer le marché qu'elle faisait l'objet d'une nouvelle enquête de la SEC sur la vente d'actions GameStop ou AMC à ses salariés, avant que les restrictions que ces valeurs soient mises en place.

En outre, la FINRA se penche sur le fait que le PDG n'a pas d'agrément auprès de l'association. De son côté, Robinhood estime que Vald Tenev n'est pas obligé d'en avoir un. Malgré tout, toutes ces enquêtes à répétition commencent à inquiéter.

A Wall Street, les contes de fées ne se terminent pas toujours bien.

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Commentaires 2
à écrit le 31/07/2021 à 3:17
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Des zones d'ombres sur le business modèles... c'est un euphémisme! En tout cas c'est une success story ou le rêve américain pour son dirigeant bulgare qui a pu monétiser Robinhood aux fonds d'investissement... dont les fonds de pension des retra...

à écrit le 30/07/2021 à 11:11
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Ouais bon 30 milliards quand même...

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