« Fintech : c'est comme si l'économie du digital avait gagné quatre ou cinq ans d'un coup » (Guillaume Pousaz, CEO de Checkout.com)

ENTRETIEN. La licorne Checkout.com, spécialisée dans les infrastructures de paiement en ligne, vient de boucler une nouvelle levée de fonds de 450 millions de dollars, portant ainsi sa valorisation à 15 milliards de dollars. En moins de deux ans, cette start-up britannique, fondée en 2012 par Guillaume Pousaz, aura réussi à se hisser parmi les fintechs les mieux valorisées au monde. Retour sur un parcours inédit dans un monde numérique qui bouge à grande vitesse. Entretien avec Guillaume Pousaz qui nous explique sa vision d’avenir des métiers du paiement.
Diplômé d’HEC Lausanne et de l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne, Guillaume Pousaz a fondé Net Merchant, avant de lancer en 2012 Checkout.com, prestataire de paiement en ligne.
Diplômé d’HEC Lausanne et de l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne, Guillaume Pousaz a fondé Net Merchant, avant de lancer en 2012 Checkout.com, prestataire de paiement en ligne. (Crédits : Checkout.com)

LA TRIBUNE - Votre dernière et troisième levée de fonds valorise votre société à 15 milliards de dollars, soit une valorisation multipliée par 7 depuis votre première levée en 2019. Que vous inspire ces chiffres qui peuvent donner le tournis et comment expliquez-vous cette envolée de la valeur de Checkout.com ?

GUILLAUME POUSAZ - Quand nous avons lancé la société en 2012, jamais nous n'aurions pensé atteindre cette valorisation aujourd'hui. En revanche, nous avons toujours été convaincu du potentiel immense qui s'offrait à nous dans le domaine des paiements en ligne, et encore plus aujourd'hui quand je regarde mes enfants interagir avec le Web et leur mobile.

Bien sûr, ces valorisations peuvent paraître élevées mais quand nous comparons nos chiffres et nos performances avec ceux de nos compétiteurs, nous restons meilleur marché pour nos investisseurs ! Le taux de croissance de nos revenus est de plus de 90% en 2020 et notre "pipeline" de clients est parmi les plus importants au monde, à un moment où le métier traditionnel du commerce est en train de basculer dans la vente en ligne. Enfin, nous attachons beaucoup de soin à nous entourer d'investisseurs de qualité, présents à la fois dans le coté et le non coté, qui seront susceptibles de nous accompagner vers une cotation du groupe.

Envisagez-vous une introduction en Bourse dès cette année ?

Non, il n'y a pas d'urgence à entrer en Bourse cette année. Nous allons tout d'abord observer la probable cotation de notre concurrent américain Stripe, qui devrait intervenir dans les prochains mois. Il faut ensuite se rappeler que notre première levée de fonds remonte à seulement dix-neuf mois ! Nous ne subissons donc aucune pression de nos investisseurs. Enfin, même si les infrastructures de paiement en ligne séduisent beaucoup actuellement les investisseurs, compte tenu des taux de croissance de l'e-commerce, nous voyons beaucoup plus loin que cela.

Comptez-vous étoffer votre offre de services au-delà de la collecte de l'argent auprès des commerçants ?

Notre choix de départ a été de créer notre propre infrastructure de paiement, qui permet à nos clients commerçants de se connecter directement sur les réseaux de paiement, comme MasterCard, Visa ou Alipay, sans intermédiaire et partout dans le monde. Nous sommes donc à la fois la banque acquéreuse et la plateforme de paiement. Dans un monde aussi dynamique que le nôtre aujourd'hui, cela a déjà une certaine valeur. Mais il existe également de nombreux aspects à traiter, comme le payout (transfert des fonds vers un compte bancaire NDLR), la vérification du consommateur (KYC), le paiement des fournisseurs, la gestion de la trésorerie ou l'analyse des paiements. Tous ces services permettent d'augmenter la satisfaction de nos clients mais également nos revenus.

Notre vision est celle d'une banque du futur pour les acteurs en ligne. Nous pensons que les commerçants 100% en ligne n'ont pas les mêmes interactions avec une banque qu'un marchand traditionnel. Et Checkout.com a clairement vocation à devenir la banque des commerçants digital native car nous sommes idéalement positionnés pour leur proposer d'autres services financiers, avec des économies d'échelle très importantes au regard des volumes traités.

Comment expliquez-vous votre forte croissance sur un marché pourtant hyper-compétitif ?

Ce coup d'accélérateur a plusieurs explications. Tout d'abord, la pandémie a provoqué un changement incroyable de la vitesse à laquelle le commerce a basculé dans l'e-commerce. C'est comme si l'économie du digital avait appuyé sur la touche d'avance rapide et gagné quatre ou cinq ans d'un coup. De nombreuses études convergent vers ce constat, notamment avec un changement radical des usages des consommateurs vers le tout numérique, sans retour en arrière. L'autre aspect essentiel est que nous nous concentrons sur des commerçants en ligne qui grandissent eux-mêmes très vite.

Que ce soient Samsung ou Deliveroo, ce sont des acteurs qui affichent des taux de croissance de 30 à 40% par an. Et, peu de gens le savent, nous sommes également derrière de nombreuses fintech européennes, comme Lydia en France, ou Revolut ou Transferwise au Royaume-Uni. Enfin, après deux premières levées de fonds, nous avons gagné énormément de clients. La combinaison des trois a permis de clôturer une année exceptionnelle et 2021 s'annonce également exceptionnelle, avec une prévision de 80% de croissance cette année.

Comment analysez-vous l'absence des banques sur le marché du paiement en ligne ?

C'est un métier très dynamique, avec des changements rapides, des besoins nouveaux qui nécessitent une forte adaptation et une concentration des efforts. Il faut pouvoir répondre à la demande d'un commerçant qui souhaite vendre rapidement ses produits en Egypte ou au Pakistan, à travers une solution unique. Les banques ne sont pas capables de proposer de tels services aujourd'hui. Elles conservent bien sûr leur utilité sociale, notamment pour les dépôts et les crédits mais l'univers de l'Internet est très compétitif et il faut savoir déployer des solutions fiables très rapidement. Si vous voulez gagner en Formule 1, il vaut mieux avoir un bon moteur !

Le scandale Wirecard a-t-il pesé sur votre activité et l'industrie du paiement en général ?

Pour être franc, je ne connais pas Wirecard et je ne les ai jamais rencontrés dans les appels d'offres. Je note aucun changement sur l'activité ou sur la régulation elle-même. La régulation est un élément clé de notre métier car elle permet d'être un 'level playing field', de mettre tous les acteurs sur un même plan avec les mêmes contraintes et les mêmes chances.

Êtes-vous aujourd'hui rentable ?

Nous sommes profitables, et depuis le début de l'aventure. C'est sans doute ce qui nous distingue d'une grande majorité de fintech en Europe. Nous avons toujours été très discipliné sur la rentabilité et c'est la raison pour laquelle cela nous a pris un certain temps pour nous développer. Au début, nous embauchions peut-être une personne par mois et aujourd'hui nous avons cinquante nouveaux collaborateurs depuis le 1er janvier. Et, une fois de plus, dans le domaine des paiements, les économies d'échelle sont extraordinaires.

Alors pourquoi avoir levé, en moins de deux ans, 830 millions de dollars ?

Avant 2019, notre bilan était celui d'une start-up ! Or, dans ce métier, la solidité financière est une question clé pour nos clients pour qui nous devons être un tiers de confiance. Ils aiment savoir qu'ils confient leur chiffre d'affaires à un partenaire solide financièrement. Certains de nos gros clients, qui pèsent des dizaines de milliards, préfèrent clairement discuter avec des partenaires aux reins solides. Ensuite, cette solidité financière est également appréciée des régulateurs partout dans le monde. Nous avons des licences en France, au Brésil, à Singapour ou en Australie. Il est donc primordial de bien capitaliser chacune de ces entités régulées. C'est un point enfin important pour nos partenaires, comme Visa ou MasterCard. Les paiements impliquent en effet des collatéraux, sous forme de dépôts, auprès de ces prestataires, qui sont proportionnels aux volumes traités.

Vous comptez faire des opérations de croissance externe ?

Le marché des paiements est encore très fragmenté et il existe de nombreuses opportunités. Mais nous ne faisons pas des opérations de fusions & acquisitions pour augmenter notre taille. Nous faisons exclusivement de l'acquisition de talents ! Nous sommes avant tout une entreprise de technologie et deux tiers de nos effectifs sont des ingénieurs. Racheter une société nous permet ainsi d'accélérer notre recrutement. L'an dernier, nous avons réalisé quatre acquisitions, dont la société française ProcessOut, qui a nous permis de muscler rapidement notre présence à Paris. Nous prévoyons sans doute quatre à huit acquisitions cette année.

Quelle est votre activité en France ?

C'est déjà un marché important pour nous, avec plus d'une centaine de clients, comme Cheerz, L'Occitane, Edenred ou Deliveroo. Avec le Brexit, Paris a même vocation à devenir notre hub européen. Nous sommes en effet la seule fintech britannique à avoir demandé et obtenu, il y a deux ans, une licence auprès du régulateur français. Nous allons ainsi pouvoir continuer à servir l'Europe, qui pèse environ la moitié de notre activité, depuis Paris.

Quelle sont vos ambitions à l'international ?

Les trois plus grands marchés au monde du paiement en ligne sont la Chine, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Nous sommes quasiment le leader au Royaume-Uni et nous nous développons rapidement aux Etats-Unis. Enfin, nous souhaitons proposer nos solutions en Chine dont le marché domestique est dominé par deux acteurs locaux, Tencent et Alibaba. Mais notre objectif est d'accompagner les commerçants chinois à l'international et non de viser le marché domestique où des acteurs bien plus gros que nous se sont cassés les dents. Par exemple, les Chinois sont devenus les plus gros opérateurs de jeux vidéos et ils ont besoin de partenaires pour les vendre dans le monde entier.

Et vos principaux chantiers pour 2021 ?

Nous nous sommes focalisés l'an dernier sur notre solution de payout, qui permet aux commerçants de payer leurs factures ou leurs collaborateurs directement depuis leur compte Checkout, sans passer par leur banque. Nous allons lancer cette année deux nouveaux chantiers. Le premier vise les marketplaces, qui permettent aux petits commerçants d'exister sur Internet. Il y a énormément de services à développer sur ce segment en plein développement, ne serait-ce qu'en termes de conformité. Le second chantier concerne l'authentification dans le cadre de la directive européenne DSP2, un domaine sur lequel nous avons développé en interne une solution.

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Commentaires 2
à écrit le 18/01/2021 à 19:14
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Le digital ou la démonstration du majeur à l'économie de marché qui peine à trouver des clients tandis que les bulles numériques acquierent des utilisateurs sur les dettes illimitées des banques centrales...

à écrit le 18/01/2021 à 8:07
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"La banque du futur" Ou la banque qui vous dira ce que vous devez acheter, comment vous devez l'acheter, pourquoi vous devez l'acheter et quand vous devez l'acheter, la banque du futur au sein d'une dictature financière c'est d'abord et avant tou...

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