Patrimoine : les CGP commencent à flirter avec les cryptomonnaies

Alors que le marché des cryptomonnaies est ébranlé par la faillite de la plateforme FTX, tombée sous de fortes présomptions de fraude, de plus en plus de conseillers en gestion de patrimoine (CGP) manifestent leur intérêt pour ces actifs alternatifs, le plus souvent à la demande de leurs clients. Une tendance qui soulève néanmoins plusieurs questions à la fois sur le devoir de conseil des conseillers, la compréhension des clients et la régulation encore souple qui encadre les cryptomonnaies.
Jeanne Dussueil
« Nous voyons les acteurs de la crypto s'intéresser aux conseillers en gestion de patrimoine et commencer à réfléchir sur une logique BtoB...»
« Nous voyons les acteurs de la crypto s'intéresser aux conseillers en gestion de patrimoine et commencer à réfléchir sur une logique BtoB...» (Crédits : DR)

« On a le sens du timing ! », plaisante Laurent Ovion, le directeur innovation et crypto du groupe DLPK, maison-mère de la plateforme multiservices de gestion de patrimoine Nortia. C'est en effet en pleine crise des cryptomonnaies, aggravée par la faillite retentissante de la plateforme d'échanges de cryptos FTX, que Nortia, qui regroupe 2.400 conseillers en gestion de patrimoine (CGP), dont 1.200 actifs, et la plateforme d'échanges française Coinhouse, ont annoncé un partenariat inédit de distribution.

Il s'agit pour Nortia de référencer sur sa plateforme trois produits-phares de Coinhouse : l'achat/vente de cryptos, les livrets cryptos et la gestion pilotée. « L'objectif est de proposer aux CGP, et à leurs clients, une solution afin de mieux appréhender ce type d'investissements réunissant le meilleur des deux mondes », proclament les deux partenaires.

Pas de chance, la chute de FTX a entraîné dans son sillage d'autres acteurs du secteur, comme le prêteur de cryptos Genesis. Même Coinhouse est touchée, alors que FTX était l'une de ses contreparties sur ses livrets, à hauteur de 5 à 20% selon les livrets. En outre, Coinhouse a confié une partie de ses dépôts à Genesis, le spécialiste du prêt-emprunt de cryptos et est donc exposée à cette plateforme entre 20% et 40%, selon les livrets.

Mais ce scandale a surtout provoqué une immense crise de confiance à l'égard des cryptomonnaies, un univers encore trop opaque, peu compréhensible pour les non-spécialistes et trop peu (ou pas du tout) régulé. Et au final, ce n'est pas moins de 1.000 milliards de dollars de capitalisation, toutes cryptos confondues, qui sont partis en fumée depuis le pic de 2021.

Un intérêt croissant chez les CGP

Pour autant, DLPK persiste et signe et défend son nouveau partenaire. « Il n'y a aucune faute de Coinhouse avec Genesis. Il s'agit d'une contrepartie qui a un problème de liquidités sur son système de prêt-emprunt. Nous ne sommes pas impactés, nos partenaires CGP non plus car nous n'étions pas sur ce livret », avance-t-il.

L'affaire jette en tout cas une lumière crue sur la structuration du marché de l'investissement en cryptos auprès des professionnels de la gestion de patrimoine. « Nous voyons les acteurs de la crypto s'intéresser aux conseillers en gestion de patrimoine et commencer à réfléchir sur une logique BtoB... La discussion est ouverte », confirme Elizabeth Decaudin, déléguée générale Groupe CNCEF (Chambre nationale des conseils experts financiers), l'une des plus importantes associations. Mais, cet « intérêt certain pour ce type d'actifs nous semble encore à la marge, même si les demandes sont croissantes », précise-t-elle.

Si certains CGP se tournent vers les cryptos, c'est aussi parce que la loi, pour l'heure, ne leur pose aucune barrière à proposer du bitcoin ou de l'ether, les deux leaders de ce marché naissant, où pullulent quelque 20.000 crypto-actifs, tous plus ou moins adossables à de nouveaux produits d'épargne.

En effet, pour l'instant, le simple conseil aux souscripteurs d'actifs numériques ne requiert pas d'enregistrement obligatoire, contrairement aux quatre services qui nécessitent un l'enregistrement obligatoire PSAN en France depuis la loi Pacte de 2019 (la conservation, l'achat-vente contre euro, l'échange crypto contre crypto et l'exploitation d'une plateforme de négociation d'actifs numériques). Cet enregistrement a d'ailleurs une portée plus limitée qu'un agrément, généralement sur les seules problématiques d'honorabilité des dirigeantes et de lutte contre le blanchiment.

Un appétit pour le risque toujours présent

« L'explosion de l'univers des cryptos en 2021 nous obligeait à nous y intéresser car tout le monde en parlait. J'ai engagé deux ou trois formations en interne pour mes collaborateurs avec des réactions très variées : ceux qui n'y comprenaient rien ou s'en méfiaient, et ceux qui se sont montrés très enthousiastes », raconte à La Tribune Hugo Mancuso, de Millesime Family Office, partenaire de Nortia, qui décrit également des « clients emballés », en septembre dernier, lors d'un événement dédié à l'investissement crypto.

Malgré le krach et la crise de confiance suscitée par l'affaire FTX, les CGP aguerris des cryptos y croient : « Les clients pour beaucoup sont en perte. Mais plus les cours baissent, plus ils sont à l'écoute et s'y intéressent. L'effet FTX sur le dernier mois a paradoxalement créé un besoin de compréhension et encore plus d'intérêt », avance Antoine Cauchy, CGP au sein du cabinet lillois Treeefle. « On ne peut pas être en dehors d'un actif qui attire des flux », souligne-t-il.

Ses clients sont principalement âgés de plus de 60 ans, « car les plus jeunes réalisent les investissements eux-mêmes », pour placer 15.000 à 20.000 euros, voire 100.000 euros, sur un patrimoine global estimé « entre 2 et 30 millions d'euros ».

Même ordre de grandeur pour Hugo Mancuso : sur un patrimoine financier de 3 millions d'euros, ses clients se risquent aux cryptos aux alentours de 50.000 euros placés. « Les motivations sont le développement de son patrimoine, la diversification de ses actifs, l'appétence au monde numérique et l'investissement long terme », détaille-t-il.

Une régulation qui reste à venir

Mais est-ce le rôle des CGP de recommander ce type de placement hautement spéculatif à ses clients ? La question s'est d'ailleurs déjà posée lors de la vente, parfois à haute dose, de fonds spéculatifs (mais agrées Ucits pour une commercialisation auprès des particuliers) gérés par H2O Asset Management, qui dégageaient certes des rendements élevés avant de s'effondrer. « C'était une gestion du risque et de l'allocation qui n'étaient pas forcément adaptés. On était sur des fonds performants, on aurait dû faire des arbitrages », se souvient aussi Laurent Ovion de DLPK.

« On fait déjà du spéculatif sur des produits spéculatifs. Notre job est de doser le risque », argumente de son côté le CGP Antoine Cauchy qui a lui-même investi pour la première fois en bitcoin « lorsqu'il était sous les 10.000 euros en 2016 ou 2017 ». « On vend avant tout une classe d'actifs que le client veut avoir car elle répond à ses objectifs et à ses capacités. Sinon, c'est hors de question. C'est du cas par cas », souligne encore Hugo Mancuso.

La mise en œuvre de la réglementation européenne MICA, qui va encadrer les cryptoactifs à partir de 2024, pourrait rassurer les hésitants. Même si le degré de régulation nécessaire pour assainir le secteur fait encore débat.

« Il faut un marché des cryptos qui se régule tout seul. Avec l'affaire FTX, on voit que la centralisation a des limites. Pour que nos acteurs français fonctionnent, il faut plus de transparence, des audits certifiés, une preuve de réserve, et la non détention des actifs des clients comme sur les plateformes d'échanges traditionnelles. Il faut éviter une chaîne d'acteurs centralisés », propose ce CGP de 24 ans.

Un actif (pas) comme les autres

Les mentalités évoluent vite. De plus en plus de CGP considèrent désormais les cryptos comme un actif financier parmi d'autres. « Ce n'était pas le cas il y a deux ans mais aujourd'hui il y a une réglementation », observe Antoine Cauchy. « Oui, les cryptos peuvent être considérés comme un outil de diversification », confirme Hugo Mancuso.

Cette « banalisation » des cryptos n'est cependant pas partagée par tous dans le monde du conseil en gestion de patrimoine, une profession elle-même réglementée. « Si certains actifs numériques sont équivalents à des instruments financiers (security tokens...), tous ne sont pas qualifiables en tant que tels. Instruments financiers, non, nouvelle classe d'actifs indubitablement », estime Elizabeth Decaudin. Même avis du côté de la Compagnie des CGP, une autre organisation professionnelle : « dans la mesure où notre droit national ne reconnaît pas la nature d'instruments financiers aux crypto-monnaies, nous ne pouvons pas leur attribuer cette qualité », indique un porte-parole.

Un encadrement pour les CGP

Dans l'intervalle, « être accompagné par un CGP, qui serait également prestataire de services sur actifs numériques (PSAN), enregistré auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) nous paraît être l'une des solutions », renchérit Elizabeth Decaudin. « Il est important pour tout conseil sur des opérations en actifs numériques de passer par des acteurs régulés en France via le statut de PSAN », abonde la Compagnie des CGP, qui attend aussi « la mise en place d'« une harmonisation régulée autour des sociétés fournissant des actifs numériques ».

Sauf que pour l'heure, l'AMF distribue les passeports PSAN qu'au compte-goutte. A ce jour, seule une cinquantaine d'acteurs ont obtenu l'enregistrement - et aucun pour un agrément - et Coinhouse est d'ailleurs la première plateforme hexagonale à l'avoir obtenu. Les démarches sont longues et rien ne garantit qu'un conseiller, même motivé, soit prêt à cet effort, surtout compte tenu de toutes les contraintes réglementaires qui pèsent sur son activité.

« Il s'agit de bien expliquer aux clients la volatilité de l'investissement et le fait que les cours soient décorrélés de ceux des monnaies à cours dit légal (...). Les CGP qui se lancent dans ce type d'activités doivent avoir, selon nous, une réelle technicité », prévient Elizabeth Decaudin. « Quand on aura un marché plus régulé, on pourra vendre directement des produits », espère cependant Hugo Mancuso dans un avenir proche.

Jeanne Dussueil

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Commentaires 6
à écrit le 16/12/2022 à 19:13
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Conseiller en Gestion de Patrimoine. Les conseilleurs ne sont jamais les payeurs...mais ils se font payer quoi qu'il arrive. De quoi y laisser son patrimoine. Remember Madoff et son super schéma de Ponzi

à écrit le 16/12/2022 à 12:19
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"le meilleur des deux mondes " ... ou le pire !!!! Déjà que les épargnants n'acceptent pas les aléas de la bourse et en ignorent les arcanes ( voir rachat des actions edf ) de là à se lancer dans les cryptomonnaies ? D'autant que les cgp ne maît...

à écrit le 16/12/2022 à 11:48
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Les cryptomonnaies ne sont que des pompes à fric !

à écrit le 16/12/2022 à 11:05
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Les gens font ce qu'ils veulent avec leur argent, mais il faut appeler un chat un chat : les kryptos sont des actifs purement spéculatifs, et en aucun cas des supports d'investissements. Même si tout un tas de gens bien intentionné prétendent le con...

le 16/12/2022 à 13:36
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c est clair que les cryptos c est de la speculation pure : j achete aujourd hui pour revendre plus cher demain. a la base ca n a acune valeur contrairement a une action qui est la part d une societe. Mais vu que la FED et la BCE ont ouvert en grand l...

à écrit le 16/12/2022 à 9:18
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dans les pyramides de ponzi, il faut toujours un flux de gogos pour que les early adopters puissent sortir.........il est urgent que les petits speculateurs y foncent, certains gros souhaitent se desengager.... et quand ce public arrive apres la bata...

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