
« Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants » : attribué à divers auteurs, de Saint-Exupéry au chef Seattle en passant par les sages africains, cet aphorisme n'a jamais été autant d'actualité. Qu'allons-nous léguer à nos enfants ? Une planète en mauvais état. Un monde fait d'inégalités croissantes. A moins que la finance ne vole à notre secours... Accusée auparavant de tous les maux - en flattant l'avidité naturelle des individus, la finance n'a-t-elle pas engendré une exploitation insatiable des ressources naturelles et du capital humain ? - la voici promue planche de salut.
Car pour sauver le monde des maux qui l'accablent, il va falloir investir afin de produire de l'énergie propre, décarboner nos infrastructures et nos activités, améliorer les rendements agricoles, assurer la santé et la prospérité de tous... Dans un rapport de 2017, l'OCDE avançait même le chiffre de près de 7000 milliards de dollars d'investissement annuels nécessaires d'ici 2030 pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat et ceux du développement durable de l'ONU. Or, où se trouve l'argent sinon dans la finance ? Mieux encore, la crise de 2008 a accéléré la prise de conscience des financiers. Plus question de 'faire de l'argent avec de l'argent', sans réfléchir aux conséquences. En outre, alors que la gestion des risques est leur cœur de métier, les financiers ont compris, notamment grâce au rapport 2015 de Mark Carney, alors gouverneur de la banque d'Angleterre, que le réchauffement climatique entraînait des risques pour les entreprises, les banques, les assureurs.
Pas étonnant que la finance se soit, en partie au moins, convertie à l'impact. Avec la définition suivante : d'abord, l'intentionnalité, autrement dit, il faut, en investissant, vouloir avoir un impact positif et non se contenter de 'ne pas nuire', à la planète ou la société. Ce qui induit l'additionnalité : il s'agit d'ajouter quelque chose à l'investissement lui-même. Et enfin, la mesurabilité. Cette dernière reste un casse-tête. Quels critères mettre en place ? Faut-il évaluer la nature de l'impact ou son amplitude, ou des deux ? Les réflexions, sur ces sujets, vont bon train. D'ailleurs, la Place de Paris, qui se rêve en hub mondial de la finance à impact, a lancé, le 25 mars dernier, à l'initiative du secrétariat d'Etat chargé de l'Economie Sociale, Solidaire et Responsable et de Finance for Tomorrow, des travaux visant à approfondir les méthodologies de mesure.
Car la France a une longueur d'avance. Ainsi, elle a, dès 2015, mis une réglementation en place, sous la forme d'un reporting selon des critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG), que les entreprises doivent présenter aux investisseurs, complété par la loi Energie et Climat de 2019. Puis, en 2016, elle a créé le label Investissement Socialement Responsable (ISR). Et le nombre de fonds d'investissement labellisés ne cesse de croître. Au 31 août 2020, ils étaient 508 (soit 204 milliards d'euros, gérés par 79 sociétés de gestion). En mars 2021, ils étaient 690, pour un total de près de 500 milliards d'euros d'encours.
Responsabilité et rentabilité
Partant du principe que les entreprises ont besoin d'argent pour leurs activités et leur développement, l'objectif de la finance à impact est de les inciter à mettre en œuvre des transformations qui iront dans le sens du bien commun. Reste maintenant à faire en sorte que tous les investisseurs soient convaincus que l'investissement responsable est bien rentable. Car la philosophie de cette finance n'a rien à voir avec la charité. C'est d'ailleurs ce qui fait sa force...
Les investisseurs exigent des rendements. Au traditionnel duo risque/rendement s'est substitué le trio risque/ rendement/ responsabilité. Et ça marche ! Fanny Picard, fondatrice et dirigeante du fonds Alter Equity, rappelle que la performance de l'indice MSCI Europe a été de 104% entre 2010 et 2020, tandis que celle de l'indice MSCI Europe ISR a, elle, augmenté de 158% ! « Les entreprises les plus responsables sont moins risquées et elles ont mieux traversé la crise », explique Edith Ginglinger, professeure de finance à l'université Paris-Dauphine. Autant dire que les investisseurs qui cherchent de l'impact, social ou environnemental, positif, ont été récompensés. De quoi en convaincre davantage de les rejoindre ?
Pour l'heure, fait remarquer Thierry Sibieude, professeur titulaire de la Chaire Innovation et Entrepreneuriat social à l'Essec, selon le rapport du Global Impact Investing Network de 2019, les fonds ISR ne représentent que 10% du total des fonds et la finance à impact, 0,2%... « Mais il y a, de la part des grands investisseurs - Amundi, en France ou BlackRock, à l'international, une vraie conversion sur l'environnement et le social », indique Edith Ginglinger. Et la relève est là ! Les étudiants, à Paris-Dauphine, à l'Essec ou ailleurs, se pressent dans les cours traitant de ces enjeux. « Même s'ils intègrent la finance traditionnelle, ils apporteront ces éléments avec eux et seront à même de la faire changer », assure Thierry Sibieude.
Toujours est-il que la finance à impact doit, pour avoir toujours plus... d'impact, mettre en place des outils non seulement pour les institutionnels, ceux qui prennent des 'tickets' de plusieurs millions d'euros dans des entreprises, mais aussi les petits épargnants, dont la force de frappe est considérable, en France en particulier et encore plus depuis les confinements. Nombre d'institutions bancaires et de compagnies d'assurance proposent désormais des produits en ce sens. « Nous devons encore faire évoluer l'offre pour la massifier », relève toutefois Raphaèle Leroy, directrice de l'Engagement d'entreprise de la banque de détail de BNP Paribas en France. C'est en effet de cette façon que la finance pourra démocratiser l'investissement à impact et surtout, changer d'échelle.
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