Contestées, les entreprises se cherchent une raison d'être

Avec la loi Pacte, les entreprises peuvent inscrire leur raison d'être dans leur statut. Un moyen de rétablir la confiance à condition que ce nouvel outil ne soit pas galvaudé.
Jean-Dominique Senard (à dr.), coauteur du rapport préfigurateur de la loi Pacte, et Emmanuel Faber, PDG de Danone, ont porté la réforme du Code civil.
Jean-Dominique Senard (à dr.), coauteur du rapport préfigurateur de la loi Pacte, et Emmanuel Faber, PDG de Danone, ont porté la réforme du Code civil. (Crédits : Ludovic Martin/AFP)

Comment une entreprise limite-t-elle son impact environnemental ? Quelle politique énergétique a-t-elle adoptée ? Avec quels fournisseurs travaille-t-elle ? Dans quelles conditions ? Quelle organisation du travail applique-t-elle ? Peut-on avoir confiance dans sa volonté et sa capacité à participer au bien commun ? Toutes ces questions deviennent de plus en plus pesantes dans l'arbitrage que réalise un consommateur au moment de choisir un produit, une marque plutôt qu'une autre, ou même un candidat avant de rejoindre une entreprise.

« Cette vigilance et cette exigence croissantes à l'égard de l'entreprise s'exercent aussi en interne par les salariés eux-mêmes », souligne Pascal Demurger, directeur général du groupe MAIF dans son livre, paru en juin, L'entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus (éd. de l'Aube), préfacé par Nicolas Hulot.

Servir le bien commun

« Les attentes du grand public à l'égard des entreprises n'ont jamais été aussi grandes. La société exige que les entreprises, à la fois publiques et privées, se mettent au service du bien commun », écrivait en 2018 Larry Fink, patron de BlackRock, le plus grand gestionnaire d'actifs de la planète, dans sa lettre qu'il envoie chaque année aux patrons des sociétés dans lesquelles il a investi. L'année suivante, le financier est allé un cran plus loin en appelant ces mêmes entreprises à définir leur raison d'être, c'est-à-dire la manière dont elles participent à l'intérêt général. « La raison d'être est, bien sûr, plus qu'un slogan ou une campagne marketing, c'est ce qu'une entreprise fait chaque jour pour créer de la valeur pour l'ensemble de ses parties prenantes », écrit-il.

Ces parties prenantes désignent aussi bien les clients que les collaborateurs et les fournisseurs, mais aussi les collectivités, les ONG et la société civile au sens large. En France, cette injonction semble avoir trouvé un certain écho, notamment parce que la loi Pacte, promulguée le 22 mai, modifie le Code civil et donne désormais la possibilité aux sociétés qui le souhaitent d'inscrire, en sus de leur objet social, leur raison d'être dans leur statut, après qu'elle ait été acceptée par les actionnaires. Atos, le géant des services informatiques, est la première entreprise du CAC 40 à s'être emparée de cette nouvelle option. Le 30 avril, lors de son assemblée générale, ses actionnaires ont approuvé la décision de donner à l'entreprise la mission de « contribuer à façonner l'espace informationnel » en supportant le développement de technologies plus responsables.

Veolia, elle, s'est donné pour mission de « ressourcer le monde ». « À l'heure où beaucoup contestent l'action et l'apport des entreprises à l'ensemble de la société, il me semble nécessaire de rappeler leur utilité, à commencer par celle de Veolia. Plus notre entreprise démontrera qu'elle est au service de l'ensemble de ses parties prenantes, plus elle sera acceptée et reconnue », a déclaré Antoine Frérot, le PDG de Veolia, rappelant ainsi l'idée qu'une relation de confiance se bâtit, se gagne mais ne se décrète pas.

Des engagements évalués

Le géant du pneu Michelin et le distributeur Carrefour se sont prêtés au même exercice. Danone, qui souhaite « apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre », ambitionne de décrocher la certification B Corp (pour Benefit Corporation) à l'échelle mondiale, neuf de ses filiales l'ayant déjà obtenue. Né en 2006 aux États-Unis, ce label est octroyé aux sociétés commerciales répondant à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance ainsi que de transparence envers le public. Mais les mastodontes du CAC 40 n'ont pas l'apanage du sujet. L'entreprise Camif, spécialisée dans l'ameublement local et durable, n'a pas attendu la promulgation de la loi Pacte. En France, c'était l'une des premières sociétés, fin 2017, à avoir inscrit dans ses statuts sa mission sociale au bénéfice de l'homme et de la planète. Le groupe MAIF, d'ailleurs historiquement lié à la Camif (la coopérative était initialement réservée à ses sociétaires enseignants), s'est lui aussi engagé sur cette voie. L'assureur niortais affirme même être « la première grande entreprise française à s'engager sur la voie de l'entreprise à mission », nouvelle qualité qui rend contraignants les objectifs principaux découlant de sa raison d'être.

Le groupe mutualiste, qui n'a ni capital social ni actionnaire, a choisi de mettre la notion « d'attention sincère portée à l'autre » au coeur de sa philosophie. L'assureur a présenté cette raison d'être en assemblée générale et doit désormais s'atteler à lui donner une traduction juridique et définir des engagements concrets (politique d'achat, énergétique, organisation du travail, etc.) envers ses parties prenantes. Dans cette optique, la MAIF déploie d'ores et déjà « un management par la confiance ». « Il ne s'agit plus de simplement commander, d'ordonner, de surveiller, mais bien d'accorder sa confiance, de déléguer, d'offrir des marges de manoeuvre réelles, de nourrir une relation plus adulte et plus constructive », expose Pascal Demurger dans son ouvrage. « Ce seront des engagements évaluables, sur le plan quantitatif et qualitatif, et opposables. Si nous ne les respectons, nous perdrons la qualité d'entreprise à mission. D'un point de vue de la gouvernance, nous allons mettre en place un comité de suivi de cette mission, composé de sociétaires, de salariés et de partenaires. C'est extrêmement engageant, ce n'est pas de la cosmétique », nous affirmait Dominique Mahé, président du groupe MAIF, dans une précédente interview.

Gare au «Green Washing»

Reste que certaines « raisons d'être » sonnent davantage comme des slogans publicitaires et que le doute persiste : et si l'entreprise à mission relevait plus d'une quête d'image que d'une quête de sens ? C'est ce que craignent certaines associations qui anticipent une vague de « green ou social washing ». « Nous estimons que la création d'un statut d'entreprise à mission n'est pas une bonne évolution, car cela introduit une confusion avec les entreprises de l'Économie sociale et solidaire (ESS), qui elles ont des obligations statutaires et légales au sens de la loi Hamon », explique Juliette Renaud, de l'association Les amis de la Terre, qui milite pour que toutes les entreprises soient tenues responsables juridiquement de l'impact négatif de leurs activités sur l'environnement et la société. Si demain une entreprise à mission ne respecte pas ses engagements, aucune sanction juridique ne lui sera infligée. Son seul risque sera d'écorner sa propre image. « Le statut d'entreprise à mission relève presque de l'autodéclaration », regrette Juliette Renaud.

« Il ne faudrait pas que seules les grosses sociétés s'en emparent, simplement pour une question d'image. Ma crainte c'est que, demain, chaque entreprise se présente comme entreprise à mission et que le statut soit galvaudé », ajoute Ludovic Aventin, fondateur de Terra Hominis, qui aide les jeunes vignerons à s'installer via une plateforme de financement participatif. Cette PME de six personnes, située dans l'Hérault, a entrepris toutes les démarches pour obtenir la qualité d'entreprise à mission. Son objectif consiste à préserver la diversité des vignerons, en créant du lien entre les amateurs de vin et les vignerons, et ainsi dynamiser les territoires ruraux, tout en favorisant la création d'emplois. « Pour nous, devenir entreprise à mission, ne changera rien dans les faits. Mais avoir cette étiquette est un moyen de conforter la confiance de nos investisseurs, de rassurer les futurs et de recruter plus facilement des personnes qui partagent nos valeurs », explique l'entrepreneur.

Le nouveau code civil

La loi Pacte vient modifier le Code civil. L'article 1835 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. »

Du grand groupe à la PME, à chacun sa raison d'être

  • Atos : contribuer à façonner l'espace informationnel
  • Carrefour : être leader de la transition alimentaire pour tous
  • Camif : proposer des produits et services pour la maison, conçus au bénéfice de l'homme et de la planète
  • Crédit agricole : agir chaque jour
  • Danone : apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre
  • Maif : porter une attention sincère à l'autre
  • Medef : agir ensemble pour une croissance responsable
  • Michelin : offrir à chacun une meilleure façon d'avancer
  • Nutriset : apporter des propositions efficaces aux problématiques de nutrition et de malnutrition
  • Opnesclassrooms : rendre l'éducation accessible
  • Terra Hominis : préserver la diversité des vignerons
  • Veolia : ressourcer le monde

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Commentaire 1
à écrit le 19/07/2019 à 8:50
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Les entreprises ne sont pas contestées, prenez les chansons de kery james, un des rares rapeurs contestataires et lui-même remarque que ce sont les petites entreprises et les PME qui payent pour les grosses tout comme ce sont les classes moyennes qui...

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