« Sans confiance, pas d'avenir » Laurent Berger, CFDT

SYNDICALISME Le secrétaire général de la CFDT estime que la confiance est malmenée par l'exécutif. Or, c'est la clé de voûte de toute perspective d'avenir. En témoigne le « Pacte pour le pouvoir de vivre », qui conjugue enjeux environnementaux et sociaux.
Laurent Berger (CFDT): « N'est-ce pas le déficit de confiance qui donne à beaucoup le sentiment que leurs enfants vivront moins bien qu'eux-mêmes ? »
Laurent Berger (CFDT): « N'est-ce pas le déficit de confiance qui donne à beaucoup le sentiment que leurs enfants vivront moins bien qu'eux-mêmes ? » (Crédits : Ludovic Marin / AFP)

LA TRIBUNE - Dans l'éventail des mots composant votre lexique de syndicaliste, quelle place conférez-vous à la confiance ? Des vocables conditionnant le dialogue social, est-il le plus névralgique ? Mais aussi le plus vulnérable ? Il n'y a pas de « contrat » - support cardinal de la doctrine cédétiste - sans confiance...

LAURENT BERGER - La confiance est constitutive de toute relation humaine, mais elle ne se décrète pas : elle se construit à l'épreuve des faits. Elle est un élément fondamental du dialogue social. Car elle signifie loyauté, reconnaissance de l'interlocuteur dans sa légitimité et sa capacité de s'engager, volonté « réelle » d'ouvrir la discussion - aussi musclée se révélera-t-elle par la suite. Et en effet, pas de contrat sans confiance. Celle-ci est la « clé de voûte » des contributions aboutissant au compromis et à l'accord que les parties seront déterminées à mettre en oeuvre, elle est aussi un pivot au moment d'appliquer les lois et les mécanismes de régulation qui nous assurent de « vivre ensemble ». Parfois elle n'est pas suffisante pour aboutir mais s'il n'y a ni traîtrise ni duplicité, elle est alors préservée et peut « resservir ». À d'autres moments, elle est rompue ; il n'y a jamais de séance de rattrapage...

Vous êtes syndicaliste depuis vingt-quatre ans, mais êtes aussi l'héritier de ce que François Chérèque, Nicole Notat, et même Edmond Maire ont semé avant vous. De ce prisme étalé sur plusieurs décennies, constatez-vous une altération des « conditions » de confiance entre partenaires sociaux, mais aussi avec l'ensemble des protagonistes du dialogue social et en premier lieu l'État ?

Sur une période aussi longue, cette « ligne de confiance » est bien sûr irrégulière, puisqu'elle est liée en premier lieu au comportement des acteurs, mais aussi aux particularismes de l'époque. Aujourd'hui, ce qui est nouveau et conditionne nécessairement le lien de confiance, c'est que les transformations auxquelles nous sommes exposés sont colossales et évoluent à très grande vitesse. Personne vraiment ne sait où nous allons car la période est pleine d'incertitudes. Pour exemples, prenons le changement climatique et la justice sociale. Plus personne ne peut nier que la situation environnementale dépasse chaque jour un seuil un peu plus critique que la veille, et ceci dans un mouvement d'accélération phénoménal. Sans confiance, comment peut-on espérer freiner puis stopper cette course folle ? Sans confiance, comment pouvons-nous nous rassembler autour d'un nouveau modèle de développement qui à la fois endigue, répare, et réenchante ? Quant à l'enjeu de la justice sociale, n'est-ce pas le déficit de confiance qui donne à beaucoup le sentiment que leurs enfants vivront moins bien qu'eux-mêmes ?

Sentiment d'autant plus délétère qu'il encourage au repli, à l'individualisme, à l'égoïsme, des réflexes mortifères pour la personne autant que pour la société. Or « la » solution est et plus encore sera collective.

Cette érosion d'une confiance appréhendée dans sa dimension sociétale fait-elle écho à celle que pourraient constater les acteurs du dialogue social dans l'entreprise ?

Actuellement, au sein des entreprises sont mises en oeuvre les nouvelles instances représentatives du personnel : les comités sociaux et économiques (CSE), issus des ordonnances de la loi travail de septembre 2017. Chaque jour les militants en témoignent : les conditions de mise en oeuvre des CSE sont la cristallisation de ce sujet si central de la confiance. Car les cas de figure couvrent un large spectre de situations, au gré du climat de confiance caractérisant le dialogue social. On voit le bon et beaucoup plus souvent le pire... Le gouvernement disait vouloir faire confiance au dialogue social et il ne lui a pas donné les moyens. Et trop d'entreprises en ont profité pour réduire ce dialogue social à peau de chagrin.

Justement, vous aviez déclaré accueillir « avec confiance » l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, vous aviez ensuite affirmé aborder « dans la confiance » les premiers chantiers avec le gouvernement. À partir de quand, dans le cadre de quel dossier, avez-vous éprouvé que cette confiance se délitait ?

Dès la fin du mois d'août 2017, dans le cadre de ces fameuses ordonnances. Elles furent le premier théâtre de ce qui allait dominer par la suite : la logique s'imposant était celle de l'unilatéralité et de la verticalité, celle de la seule efficacité économique, de l'abaissement des contraintes pour les entreprises, de la vulnérabilisation du dialogue social, celle, finalement, d'un abandon progressif du « sens » et des politiques sociales. Mais pouvait-il en être autrement dès lors qu'à l'espoir d'une démarche « véritable » de dialogue, de consultation, de concertation se substituait une logique purement individuelle ?

À l'aune du dernier sujet de discorde, la réforme de l'assurance-chômage, estimez-vous qu'aujourd'hui cette confiance est brisée ? À quelles conditions peut-elle, selon vous, se régénérer ?

Soyons clairs : il n'y a pas d'affect lorsqu'on négocie avec un employeur, le patronat ou le gouvernement. L'ensemble des acteurs sont dans un rapport de force, il s'agit simplement de viser un accord équilibré, un compris partagé par tous, et cela seules les conditions de la confiance le déterminent. En l'occurrence, le plus dommageable n'est pas que nous ayons échoué à signer un accord et que nous soyons en profond... désaccord avec l'issue finale ; c'est la manière, parfois mensongère, employée par nos interlocuteurs du gouvernement. Déclarer que telle mesure permet de lutter contre la précarité alors qu'elle a pour seul but de faire des économies sur les chômeurs est inacceptable. Et fallacieux. Ne pas assumer ses actes, voilà ce qu'il y a de plus destructeur à l'égard de la confiance. Cette stratégie est apparue d'autant plus intolérable qu'elle succédait au prometteur discours présidentiel posant l'acte 2 de son quinquennat. Très équilibré, il évoquait les nécessités de performance, de multilatéralisme, mais aussi de progrès social, de respect et d'accompagnement des plus fragiles. Patatras, la réforme de l'assurance-chômage est venue brutalement compromettre cette perspective.

Plus que tout, la confiance exige la cohérence entre les discours et les actes. Je ne donne aucune leçon, mais personne ne peut me prendre en défaut d'énoncer des propos différents selon les circonstances ou les publics auxquels je m'adresse.

En matière de dialogue social, la confiance résulte aussi de « valeurs » pratiquées par les protagonistes : loyauté, courage, respect, honnêteté... Parfois, elle est mise à l'épreuve par les institutions, qui exercent une pression sur lesdits protagonistes. Mise à l'épreuve qui peut être si aiguë qu'elle emporte dans son flot les ultimes résistances. Ce spectre peut-il contaminer le chantier, brûlant, de la réforme des retraites ?

Tout est toujours affaire de femmes et d'hommes, donc de personnalités et de comportements. Je préférerai toujours pour interlocuteur quelqu'un avec qui je serai en profond désaccord mais qui sera respectueux, franc, direct, intègre, à quelqu'un d'« idéologiquement » proche de moi mais cynique, fourbe, manipulateur, spécieux. Sur le dossier des retraites, l'engagement, réaffirmé le 19 octobre 2018 par la ministre Agnès Buzyn et le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, est que la réforme sera qualitative et non pas financière. C'est dans ce cadre que la concertation se déroule, pour l'heure, en confiance. Si les règles du jeu changent, il y aura rupture de confiance.

Au printemps, avec Nicolas Hulot vous avez initié le Pacte du pouvoir de vivre, soutenu par 44 organisations, déterminé à démontrer qu'enjeu écologique et enjeu social doivent, mais surtout peuvent être accomplis harmonieusement. Tout pacte est scellé dans la confiance entre les protagonistes. Sur quels fondements, dans ce cas précis, l'avez-vous construite ?

Nous étions, au départ, 19 organisations signataires, aux pedigrees et vocations parfois éloignés. Entre une ONG qui fait du plaidoyer et un syndicat attaché au dialogue social, la nature de l'engagement militant est différente. Si nous avons réussi à nous rassembler et à bâtir ensemble dans le respect de nos diversités, dans la tolérance de nos potentielles divergences, c'est parce que la clé de voûte est bien la confiance. Et la confiance notamment dans la méthode retenue : nous avons travaillé par petits groupes thématiques, aucune organisation ne participait à tous ces groupes et pourtant toutes avaient confiance dans la conduite desdits travaux. Nous nous sommes fait confiance parce que l'objet de notre aventure est bien plus essentiel que nos egos et intérêts respectifs, ce qui fait commun entre nous est bien plus important que ce qui peut nous diviser : accomplir une transition écologique rapide en la conjuguant avec une justice sociale qui se préoccupe des plus fragiles. Symbole de cet « esprit » résolument altruiste qui anime le collectif : personne, lorsqu'il s'exprime, ne songe à mettre en avant l'organisation qu'il représente, chacun s'efface derrière l'enjeu poursuivi.

Cet « enjeu poursuivi », c'est celui d'un horizon, c'est surtout celui d'un « sens ». Or la crise de confiance protéiforme qui affecte l'époque résulte en premier lieu de l'atrophie, voire de l'absence de sens...

Indéniablement. À quoi faisons-nous face ? Au recul du consentement à la solidarité, qui mécaniquement fait progresser l'individualisme et fragmente la société. Il n'y a pas une, deux ou trois France : un grand nombre de France coexistent, rivalisent, parfois se haïssent, veulent même faire sécession. Espérer réunir toutes ces France dans une seule France, aspirer à revitaliser le vivre, l'inventer, le bâtir ensemble, ceci dans le respect de toutes les singularités qui sont le trésor de cette vaste communauté, ne sont envisageables que si les individus comprennent pour quoi et vers quoi on veut les rassembler. S'il est assuré qu'on leur donne le pouvoir et la capacité d'agir, qu'on leur accorde les moyens de leur émancipation, que l'accomplissement d'un dessein commun fondé sur la solidarité apparaît à leurs yeux plus essentiel que le confort individualiste. Autant de gages, pour eux, de se réaliser et d'être responsables. C'est ce que l'on appelle le sens.

L'antonyme de « confiance » oscille entre deux extrémités : méfiance et défiance. L'une et l'autre caractérisent l'appréciation des Français pour un grand nombre d'institutions, ce que démontre l'étude aussi spectaculaire qu'inquiétante du Cevipof « Crise de la confiance politique 2009-2019 ». En queue du classement desdites institutions générant de la confiance figurent les partis politiques (12 %). Ils sont devancés par les médias (25 %), les banques (28 %)... et les syndicats (seulement 30 %). L'exigence d'aggiornamento est aussi endogène...

La crise de confiance affecte quasiment toutes les institutions. Le monde syndical n'est bien sûr pas épargné par cette crise de confiance. Pour y remédier, nous devons changer l'image du syndicalisme, développer de la proximité avec l'ensemble des travailleurs - et ceux notamment qui nous sont les plus éloignés -, faire valoir un syndicalisme qui réfléchit, dialogue, construit et s'engage...

... Y compris, comme c'est le cas avec le Pacte pour le pouvoir de vivre, dans le champ sociétal, hors de ses périmètres de compétences traditionnels ?

Je le crois. Nous devons élargir notre terrain d'action. Le sujet écologique est un excellent exemple : pendant longtemps, il n'a été « que » un problème de société puis une question politique. À la CFDT nous y étions bien sûr sensibles, sans pour autant l'aborder comme un sujet social à part entière. Il est devenu un enjeu social fondamental, légitimant naturellement notre intervention.

La Fédération des acteurs de la solidarité, présidée par Louis Gallois, est le dernier « entrant » du Pacte pour le pouvoir de vivre. « Il n'y a pas d'avenir pour un individu comme pour un collectif ou une société s'ils n'ont pas confiance en l'avenir », rappelait récemment celui qui préside également le conseil de surveillance de PSA (La Tribune du 7 juin 2019). Que manque-t-il pour cimenter cette confiance ? Le consumérisme, l'immédiateté, le technologisme, la financiarisation, le mercantilisme si puissants autorisent-ils un quelconque espoir?

Les raisons d'espérer, c'est d'abord au niveau local, micro, qu'on les saisit. Dans les solidarités et les initiatives locales prospère une multitude d'innovations qui n'attendent qu'à essaimer et qui rappellent que tout ne repose pas, loin de là, sur les niveaux national ou européen. D'autre part, aux deux angoisses principales, écologique et sociale, qui obstruent l'avenir, il faut apporter des réponses claires et surtout qui embarquent collectivement vers une espérance et, pour cela, un « projet ». En l'occurrence, la réponse ne peut pas être uniquement locale, elle ne peut pas non plus être seulement domestique, elle doit être européenne. Il est l'heure d'initier ce pacte climat-finance-emploi préconisé par nombre de spécialistes, il est temps de créer une banque du climat déterminée à libérer les moyens financiers et les investissements massifs qu'exige une transition écologique socialement responsable, socialement équitable, et même socialement performante. À cela doivent être agrégées des politiques de solidarité, car c'est la solidarité qui fonde la confiance dans la société et, concomitamment, le consentement à la citoyenneté, le consentement à l'impôt, la créativité et l'engagement au service d'un avenir commun. À ces conditions, et même s'il est un peu naïf de l'avouer ainsi, on peut espérer restaurer la fraternité.

Commentaires 5
à écrit le 08/07/2019 à 11:29
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Nous savons bien que les syndicats et leur fédération sont subventionné par l'UE de Bruxelles avec l'argent des citoyens de chaque "membre du club" européen! Cotisation volontaire obligatoire!

à écrit le 08/07/2019 à 11:23
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"Sans confiance pas d'avenir" mais sans avenir pas de confiance! Nous voulons des actes, pas des mots, pour diminuer notre méfiance!

à écrit le 08/07/2019 à 11:08
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les Français ont confiance uniquememet aux maires ! et non a la minorité de dignitaires décideurs

à écrit le 08/07/2019 à 10:55
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Ça tombe bien, comment peut on vous faire encore confiance à vous autres syndicats alors que vous allez de défaites en déroutes ? Des salaires au ras des pâquerettes, des conditions de travail qui se dégradent perpétuellement, du dumping social ...

à écrit le 08/07/2019 à 10:49
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hollande aussi il a seme sa confiance reenchantee pour tous! puis il a coule l'economie tout ce qu'il a pu, avant de retourner sa veste, histoire que sa tete ne finisse pas au bout d'une pique apres c'etait plus dur de planquer les 40.000 nouveaux ...

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