Le secteur spatial savait depuis quelques temps que le marché des lancements allait connaître une période difficile, puisque la plupart des lanceurs de référence finissent leur carrière tandis que leurs remplaçants accusent du retard. Il ne reste plus que cinq Ariane 5 et un Vega à lancer avant qu'Ariane 6 et Vega C prennent la relève. La transition sera très courte et donc périlleuse si de nouveaux retards sont constatés ou si un accident retarde l'entrée en service des nouveaux modèles. Ce sera la même chose entre le H-2A et le H-3 japonais. Le remplacement de l'Atlas 5 de ULA (United Launch Alliance) par le nouveau Vulcan prendra plus de temps, mais il n'y a déjà plus aucun créneau sur le lanceur sortant et son successeur n'a pas encore volé. Le New Glenn de Blue Origin, lui aussi en retard, ne peut pas servir de solution de rechange.
SpaceX, grand gagnant de l'abandon de Soyuz
Chez Arianespace, la pression du marché étant surtout sur l'orbite basse, il avait été envisagé d'utiliser le renfort du Soyuz pour faciliter la transition. Ailleurs, ILS (International Launch Services) proposait son Proton russe aux opérateurs qui ne voulaient pas voir leurs options se limiter au seul recours à SpaceX. L'invasion russe a brutalement mis fin à la disponibilité de ces solutions de remplacement.
Eutelsat, qui est présent aussi bien sur le segment géostationnaire que sur celui des constellations sur orbite basse via sa participation de 22,9 % au capital de OneWeb, est en première ligne des opérateurs affectés. Eva Berneke, nommée en décembre à la direction générale de l'opérateur, rappelle que celui-ci a toujours eu pour politique de diversifier ses fournisseurs de lancements pour sécuriser son accès à l'espace. « C'est super-important », insiste-t-elle, en rappelant que quatre satellites géostationnaires doivent ainsi être lancés dans les six à sept mois. A contrario, OneWeb avait initialement tablé sur le seul Soyuz et a été contraint de réviser sa politique dans l'urgence, en signant des accords avec SpaceX - son concurrent - et avec l'agence spatiale indienne Isro. Cela devrait suffire pour la première génération de satellites.
Situation de force majeure
« Nous sommes techniquement dans une situation de "force majeure" et fort heureusement c'est prévu dans les contrats », explique Stéphane Israël, PDG d'Arianespace, pour décrire son inconfortable situation face à OneWeb. Arianespace ne sera toutefois pas écarté des solutions alternatives : elle fournira les adaptateurs pour les nouveaux lancements. L'arrêt du Soyuz était en réalité déjà prévu, mais en 2023. Son remplacement par Ariane 6 et Vega C avait déjà été décidé en 2014, dans la foulée de l'invasion de la Crimée. « C'est arrivé plus tôt que prévu et nous avons onze lancements à recaser dans le manifeste ».
Cela va nécessiter une accélération de la montée en cadence d'Ariane 6, qui reste tributaire du succès des derniers essais au sol et des premiers essais en vol. « Nous ferons de notre mieux pour fournir des solutions, notamment pour nos clients institutionnels, mais à la fin ce sera à eux de prendre leurs décisions. C'est un vrai défi ». Par chance, cette période de transition intervient aussi au moment d'un creux historique de la demande pour les satellites géostationnaires et avant le rebond impulsé par les constellations.
Eva Berneke, reste confiante dans l'évolution du marché, avec l'arrivée d'Ariane 6, la continuation de SpaceX, mais aussi l'arrivée de nouveaux entrants comme Blue Origin et les micro-lanceurs qui offriront eux aussi des solutions valables pour ses microsatellites dédiés à l'Internet des Objets. Mais il ne faut pas croire que ces micro-lanceurs pourront lancer les constellations telles que Galileo, rappelle Stéphane Israël. Leur marché est de lancer de très petites charges et de tester de nouvelles technologies, comme MaiaSpace, autre filiale d'ArianeGroup, prévoit de le faire.
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