Armement : les dessous de l'offre commune Naval Group/Fincantieri au Canada

Naval Group et Fincantieri ont soumis à Ottawa une offre commune basée sur le design de la frégate FREMM pour la fourniture de 15 navires de combat de surface à la marine canadienne... mais en dehors de l'appel d'offres lancé par le ministère de la Défense canadien.
Michel Cabirol
Le Canada doit prochainement décider quel sera l'heureux groupe sélectionné pour construire 15 frégates aux standards de l'OTAN en coopération avec le chantier d'Halifax, Irving Shipbuilding Inc, le maître d'oeuvre du programme Navire de combat canadien (NCC)

C'est un coup de poker de la France au Canada. Naval Group et Fincantieri ont soumis à Ottawa une offre commune basée sur le design de la frégate FREMM pour la fourniture de 15 navires de combat de surface à la marine canadienne, comme La Tribune l'avait annoncé en juillet dernier... mais en dehors de l'appel d'offres lancé par le ministère de la Défense canadien. Le 30 novembre, ils ont donc envoyé une offre non sollicitée avec le plein soutien des gouvernements français et italien, selon nos informations.

Emmanuel Macron doit d'ailleurs passer un coup de téléphone au Premier ministre canadien Justin Trudeau pour appuyer cette offre non sollicitée, explique-t-on à La Tribune. Très clairement, la France et l'Italie jouent la carte politique. Surtout la France. Car l'Italie étant beaucoup plus concentrée sur l'Australie où se joue actuellement une compétition à 24 milliards d'euros avec la fourniture de neuf nouvelles frégates accompagnée d'un transfert de technologies pour la Royal Australian Navy. Fincantieri propose la FREMM italienne face à Navantia (frégates F100) et à BAE Systems (T26), Naval Group ayant déjà été éliminé de cette compétition.

Un programme faramineux

C'est un programme faramineux qui aiguise l'appétit des plus grands chantiers navals au monde. Et pour cause, le Canada doit prochainement décider quel sera l'heureux groupe sélectionné pour construire 15 frégates aux standards de l'OTAN en coopération avec le chantier d'Halifax, Irving Shipbuilding Inc, le maître d'oeuvre du programme Navire de combat canadien (NCC) désigné début 2015 par le ministère de la Défense canadien. La nouvelle flotte doit remplacer les destroyers Tribal (classe Iroquois de 5.100 tonnes) et les frégates City (classe Halifax de 4.700 tonnes) vieillissants. La construction du premier navire de combat canadien doit en principe commencer au début de l'année 2020.

Douze sociétés ont été présélectionnées pour participer au processus d'achat. Elles ont reçu une demande de propositions en octobre 2016 : Alion Science and Technology Corp (États-Unis), Atlas Elektronik (Allemagne), BAE Systems (Grande-Bretagne), Naval Group (ex-DCNS), Fincantieri (Italie), Lockheed Martin Canada, Navantia, Odense Maritime Technology (Danemark), Saab Australia, Leonardo (Italie), Thales Nederland et ThyssenKrupp Marine System (Allemagne).

Irving joue clairement BAE Systems

Pourquoi une offre non sollicitée? Parce que Naval Group et Fincantieri n'ont pas voulu rentrer dans le processus d'acquisition compliqué et, semble-t-il biaisé, d'Irving pour le compte du gouvernement canadien. D'ailleurs, plusieurs candidats ont dans le passé demandé au gouvernement canadien de changer ce processus. En vain. Une méfiance suscitée par le fait que les candidats doivent communiquer en amont des données très sensibles à Irving, qui est peuplé de conseillers américains et britanniques. En outre, il s'agit d'un appel d'offres sur le design du bâtiment sans aucune certitude que le gagnant soit impliqué dans la phase de la construction.

Enfin, l'historique du processus n'incite pas non plus à la confiance. Alors que le Canada semblait résolu à mener "un processus d'approvisionnement ouvert, équitable et transparent", il mènerait un jeu trouble en faveur de BAE Systems, allié à Lockheed Martin Canada. Et pour cause, il a changé les règles pour permettre à la frégate T-26 de concourir. Explications : "En juin 2016, nous avons annoncé une méthode d'acquisition simplifiée conçue de façon à obtenir ces navires plus rapidement", avaient fait remarquer les services publics et approvisionnement du Canada (SPAC). Comment ? "Cette nouvelle méthode permettra au Canada de sélectionner, au moyen d'un processus concurrentiel, une conception de navire de guerre existante pouvant être modifiée afin de respecter les exigences de la Marine royale canadienne et de permettre aux soumissionnaires d'offrir et d'intégrer des systèmes et des équipements canadiens aux navires de guerre".

En toute logique, la future frégate britannique T-26 semblait bien exclue de l'appel d'offres. La Type 26 Gobal Combat Ship (5.400 tonnes) proposée par BAE Systems n'est pas "un navire de guerre existant" (sic)  puisque la première tôle de la tête de série de cette frégate doit être découpée ce mois-ci. "Le gouvernement a confirmé, sous réserve de la signature des contrats, que la première tôle d'acier sera coupée sur le type 26 à l'été 2017", avait affirmé début février l'analyste spécialisée pour la Défense à la chambre des communes (House of Commons), Louisa Brooke-Holland.

Toutefois,les Canadiens ont voulu sauver le soldat BAE Systems. Ils ont demandé au ministère de la Défense britannique de procéder en urgence à une revue finale de conception (Final critical design review ou FCDR) de la T26. Ce qui a été fait en mars dernier. Puis, Irving Shipbuilding a opportunément inséré en mai dernier l'avenant 37 dans l'appel d'offres permettant de relancer la frégate britannique. Cet article autorise les chantiers à concourir à l'appel d'offres canadien à condition de présenter un programme ayant procédé à la fameuse FCDR. Le tour de passe-passe est joué alors que la revue britannique aurait dû intervenir au 1er août 2016 et non en mars dernier. On est donc loin du bâtiment de guerre déjà existant exigé au départ par les Canadiens. Y a-t-il une connivence entre BAE Systems et Irving Shipbuilding sur le projet d'acquisition des 15 frégates?

Une solution "sur étagère"

Naval Group et Fincantieri unissent leurs savoir-faire pour présenter au gouvernement canadien "une solution sur étagère déjà éprouvée en mer et reposant sur le design de la frégate FREMM (plateformes italiennes mais CMS et systèmes de combat français, ndlr)", selon le communiqué commun des deux groupes. Dans le cas où cette offre serait acceptée, les frégates seraient construites au Canada sur le chantier naval d'Irving Shipbuilding "dans des délais très courts, ce qui garantira une participation maximale de l'industrie canadienne et la création d'emplois localement, dans le cadre d'un transfert de technologie complet et dédié", ont expliqué les deux groupes navals.

Des fournisseurs canadiens seraient par ailleurs intégrés à la supply chain mondiale des deux sociétés. Naval Group et Fincantieri ont déjà collaboré dans le cadre de plusieurs grands projets navals, y compris pour le développement conjoint de la FREMM. Cette frégate est un navire polyvalent capable d'exécuter tout type de missions dans tous les domaines de lutte (antiaérienne, anti-sous-marine, anti-surface, attaque terrestre, navire de commandement tactique, etc.). Les variantes polyvalentes et de lutte anti sous-marine sont déjà en service au sein des deux grandes marines de l'OTAN.

Michel Cabirol

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Commentaires 7
à écrit le 05/12/2017 à 21:54
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La France semble faire une habitude de ces procédés un peu à la limite... Récemment encore le gouvernement français a proposé à la Belgique de fournir ses Rafale en dehors de l'appel d'offres qui sans doute ne devait pas être favorable à la France fa...

le 06/12/2017 à 13:51
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C'est écrit d'avance.... Pseudo appel d'offre pour se coucher devant les américains. Habituel chez les canadiens, hollandais, belges, suédois, polonais, etc, etc...

à écrit le 05/12/2017 à 11:59
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Le fait d'acheter 15 frégates et les conditions proposées au Canada par l'association Navale Group et Fincantieri sont exceptionnelles construction sur place accès au technologie et mains d'oeuvres Canadienne en somme les mêmes conditions que pour le...

à écrit le 05/12/2017 à 9:46
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Le transfert de technologie est à éviter. Que ce soit un transfert sur des systèmes déjà dépassés par de nouvelles conceptions techniques, d'accord. Sinon à la longue, nous perdrons tout, notamment les emplois compétents sur ces techniques en France,...

à écrit le 04/12/2017 à 22:38
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Risible. Encore un appel d’offre truqué dont le vainqueur est connu d’avance. Mais pourquoi participons nous aux appels d’offres canadiens........

le 06/12/2017 à 11:49
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bah justement, l'idée avec cette offre, c'est qu'on n'y participle pas.

à écrit le 04/12/2017 à 20:28
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Il faut tout de même remarquer que la modification de l'appel d'offre est én but de permettre à BEA systeme dè concourir.... Espérons que çe pays n'oubliera pas se que nous avons accepter pour l'accords de libre échange entre nos pays.....

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